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Acrithène

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Acrithène est doctorant en finance, auteur d'un blog où il tente de combler le fossé séparant la science économique du grand public.

Le Blog d'Acrithène

Ce que le capitalisme vous offre, ce que le socialisme vous prend… et ce qu’il vous rendra, ou pas

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La Sécurité Sociale n’a d’assurance que le nom. Son mode de fonctionnement ignorant largement le profil de risque de l’assuré dans le calcul de sa cotisation, elle constitue principalement un mécanisme de transfert de richesses entre citoyens. C’est la raison pour laquelle sa survie dépend de son caractère monopolistique et obligatoire.

Dans un article précédent, je vous avais produit le graphique ci-dessous. Il montrait que depuis 1980, des 12 000€ d’augmentation (net d’inflation) du prix d’un salarié moyen pour les entreprises, seuls 4 000€ avaient été récupérés par les salaires nets. Mon interprétation de ce graphique était que l’essentiel des gains de productivité des trente dernières années avaient été avalées par la collectivisation. J’ai été un peu surpris de la naïveté de certaines réactions.
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Il y a eu deux types d’objections à mon analyse. D’abord, que, contrairement à ce que je sous-entendais, la chose n’étais pas la responsabilité du socialisme, vu qu’elle concernait aussi les gouvernements de droite. Sans doute existent-ils des nuances dans le socialisme, mais l’essentiel de la droite française est socialiste, sa partie la plus libérale étant, à mon avis, le centre.

L’autre objection est que cet argent que nous prend l’Etat d’une main, il nous le rend d’une autre. Certes, il ne le garde pas dans ses poches, sans quoi il serait capitalisé au lieu d’être en faillite. Mais penser que l’argent que vous donnez vous revient d’une autre manière est d’une grande candeur. Économiquement, cela n’a pas beaucoup de sens de menacer les gens de prison s’ils refusent de se donner de l’argent à eux-mêmes. Mais surtout, il est évident que la raison même du système est que les gens qui payent ne soient pas ceux qui reçoivent. L’objet de ce billet est de vous en convaincre.

C’est quoi, une assurance ?

La Sécurité Sociale se présente officiellement sous la forme d’une assurance, ce qu’elle n’est pas du tout.

Le principe fondamental d’une assurance est de mutualiser les risques de sorte que personne n’y gagne en moyenne, mais que chacun en profite par élimination de l’incertitude qui pèse sur son avenir. Mathématiquement, le rôle d’une assurance est d’éliminer la variance sans affecter l’espérance, grâce à la loi des grands nombres. Le rôle de l’assureur est de transformer un dé numéroté de 1 à 6 en un dé ayant 3,5 sur chacune de ses faces. Dans un système d’assurance, chacun paye donc ce que l’assureur estime qu’il coûtera en moyenne. Et ainsi, le montant de la prime d’assurance dépend fondamentalement du risque de l’assuré, de sorte que personne ne soit assuré au dépend des autres.

La Sécurité Sociale ne fonctionne absolument pas de cette manière. Elle n’évalue jamais les risques individuels. Votre cotisation à l’assurance maladie ne dépend pas de votre âge ou de votre mode de vie. Ce que vous payez à l’assurance maladie dépend de votre salaire. Les salariés mieux payés sont-ils davantage malades ? Votre cotisation à l’assurance vieillesse est tout aussi indifférente à votre espérance de vie. Votre cotisation chômage n’est pas non plus calculée selon le risque de perdre votre emploi et de ne pas en retrouver un.

Ce fonctionnement assure de facto une décorrélation des sommes cotisées et des bénéfices reçus. Il ne choquerait personne qu’on considère qu’une assurance auto qui pratique les mêmes primes d’assurance pour les bons et les mauvais conducteurs fait payer les premiers pour les dégâts causés par les seconds.

D’ailleurs, sur un marché concurrentiel (comprendre « libre et consenti »), une telle assurance ne survivrait pas, car les conducteurs présentant un profil de risque plus faible trouveraient à s’assurer à moindre frais chez la concurrence. Cette rupture entre le profil de risque et la prime d’assurance impose à la Sécurité Sociale son caractère monopolistique et coercitif, afin d’empêcher les bons assurés d’aller voir ailleurs.

De plus, une assurance a pour objet de couvrir les aléas négatifs. Or une bonne part de la Sécurité Sociale fonctionne à l’envers d’une assurance vie, vu qu’une partie de ses prestations sont versées à la condition de votre survie. D’un point de vue financier, si un couple de quinquagénaire meurt dans un accident de voiture, l’ « assurance » empoche 400 000€ d’économie sur les pensions futures de retraite, et les soins de santé en fin de vie. La mort entraîne une perte en capital. Cette perversion dérive d’une confusion fondamentale entre l’épargne et l’assurance. Ici, elle mène à ce que l’"assurance vieillesse" se compose de deux instruments financiers : un instrument d’épargne + une assurance contre le risque de vivre !

La composition « assurantielle » de la retraite représente donc un transfert financier des assurés à faible espérance de vie vers ceux à forte espérance de vie, plus une assurance à l’envers pour les risques de morts accidentelles.

Dans n’importe quel système de marché un assureur offrirait pour un total de cotisation donné, une pension supérieure aux individus présentant une espérance de vie plus faible. C’est d’ailleurs ainsi que les assureurs offraient des pensions viagères plus fortes aux hommes jusqu’à ce que la Cour de Justice de l’Union Européenne décide que ce qui est statistiquement différent doit être assuré de la même manière.

Analyse chiffrée

Une analyse numérique des différentes branches de la Sécurité Sociale permet de rendre concrètes ces considérations un peu théoriques.

Assurance chômage

Dans mon exemple, notre salarié français moyen reçoit un salaire brut de 31 220€, soit 24 520€ de salaire net. La cotisation chômage est de 6,4% du salaire brut, c’est-à-dire 1 998€. D’après le simulateur de pole-emploi (source), cela lui donne droit, en cas de chômage et après 5 ans de travail à temps plein, à 16 747€ d’indemnités ARE (Allocation Retour à l’Emploi) annuelle.

Pour que notre salarié reçoive sur sa carrière la somme qu’il a donnée, il faudrait qu’il s’attende en moyenne à ce que les mois d’indemnisations chômage représentent une proportion p de l’ensemble de sa vie active, où p est la solution de l’équation suivante.

1 998€ x (1-p) – 16 747€ x p = 0€

Ce qui donne = 10,66%. Sur une carrière de 40 ans, cela signifie que l’assurance chômage est une bonne affaire si vous vous attendez à passer en moyenne 51 mois à recevoir les allocations chômage.

Si vous estimez que cette évaluation de votre risque moyen est très au-dessus de la réalité, c’est que vous payez pour d’autres. Personnellement, diplômé d’HEC, je trouve assez audacieux qu’on m’explique que la cotisation chômage est pour mon propre bien. Si c’est par « solidarité », qu’on porte le débat sur ce sujet et qu’on arrête d’appeler la chose « assurance ». Auquel cas, c’est bien sur le socialisme, c’est-à-dire la collectivisation des fruits du travail, que porte le sujet. Tout détestable qu’il est, le diplômé d’HEC ne paye pas plus de 3 000€ de cotisations chômage par an pour s’assurer lui-même.

Solidarité dîtes-vous ? Mais dans ce cas, pourquoi la fonction publique ne paie-t-elle pas de cotisations chômage au prétexte que la perte d’emploi est un risque qu’il lui est étranger ?

Assurance maladie

L’assurance maladie (…. maternité, invalidité, décès, solidarité) est aussi une jolie arnaque qui n’a pas grand-chose d’une assurance. Elle représente 13,85% du salaire brut. Dans notre cas du salarié français moyen, cela représente 4 324€ par an.

Pourtant, d’après le Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (source), la dépense moyenne remboursée pour une personne en âge de travailler (20-65 ans) tourne plus vraisemblablement autour de 1 500€ par an. A supposer une famille avec deux enfants, on arrive peut-être à 4 000€ de dépense moyenne pour 8 600€ de cotisations.

A nouveau, il y a décorrélation de la prime d’assurance payée avec le risque moyen encouru par le cotisant. Ce qui signifie qu’il ne s’agit pas d’une assurance. La cause de cette décorrélation, c’est qu’à l’échelle individuelle, l’écrasante majorité des dépenses de santé se trouvent en fin de vie. Autrement dit, les actifs en bonne santé payent pour les inactifs âgés en mauvaise santé.
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Mais après tout, ce dernier principe ne semble pas si absurde. Espérons que nous soyons tous vieux un jour. Mais dans ce cas, on ne parle plus seulement d’une assurance, mais d’un produit d’épargne qui déplace le pouvoir d’achat des jours heureux vers ceux plus difficiles. Cependant, l’assurance maladie ne fonctionne absolument pas comme un produit d’épargne : la preuve, elle n’a que des dettes. Explications…

Le calcul de 4 324€ de cotisation par an ne dérive en rien d’une estimation de ce que vous coûterez lorsque vous serez plus âgé, mais de votre salaire et de ce que coûte aujourd’hui la santé des personnes âgés (environ 6 000€ en moyenne par an au-delà de 65 ans) et surtout du nombre qu’ils sont aujourd’hui ! Le plus grand déterminant de la cotisation maladie n’est pas la dépense moyenne de santé au cours d’une vie, mais le salaire de l’individu et le ratio actifs/retraités ! Il ne s’agit donc en rien de prévoir à l’avance les risques pesant sur votre propre santé. Le ratio actifs/retraités n’aurait aucune importance si la structure de la pyramide des âges était invariable. Mais comme le montre le débat sur le système des retraites, ce n’est absolument pas le cas.

La meilleure preuve de cette totale décorrélation entre la prime d’assurance et le risque de l’assuré, donc entre ce qu’individu paye et ce qu’il reçoit, est que l’arrivée massive des papy-boomersentraînera de très importantes dépenses de santé. Si l’assurance maladie était vraiment un produit de prévoyance, elle aurait accumulée de l’épargne pour financer cette distorsion démographique, plutôt que d’avoir accumulé pas loin de 100 milliards d’euros de déficits depuis 2000.

Dans un billet précédent que je vous invite à lire, je vous montrais qu’à périmètre de remboursement stable, la distorsion démographique et l’évolution du coût de la santé impliqueraient une multiplication absurde par 5 des cotisations maladies d’ici 2030. Comme cette multiplication est impossible, le périmètre de remboursement va continuer à décroître d’une année sur l’autre, mais pas le montant des cotisations.

Notre salarié moyen paye donc aujourd’hui pour des soins qui ne seront plus remboursées lorsqu’il en aura lui-même besoin. Il ne paye donc pas pour s’assurer.

Assurance vieillesse

La retraite, j’en parle en long et en large sur ce blog. Je pense que le mieux est de vous laisser lire mon billet à succès qui montre par une simple règle de trois que la génération de 1950 a reçu 3€ de pension pour 1€ cotisé, et que celle de 1990 recevra, peut-être, 1€ pour 1€.

Lire : Retraites, pourquoi la jeunesse devrait se révolter

Cela dit, pour apporter quelque chose de nouveau, je vous propose le graphique suivant, repris à Peter Diamond (AER, 2004), Prix Nobel 2010. Ce graphique prend l’exemple de la retraite par répartition américaine, semblable à la nôtre dans son fonctionnement mais d’une étendue bien plus limitée. La courbe en pointillés mesure les transferts nets par génération. C’est-à-dire ce qu’a gagné chaque génération net de la valeur de ce qu’elle a cotisé. Le graphique s’arrête à la génération 1950, car ce que paieront et recevront les générations nées après 1950 reste très largement indéterminé aujourd’hui.
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Exemple de lecture : la génération américaine née en 1910 a reçue un transfert net de 400 milliards de dollars (de 2002) annuel. Pour l’ensemble des générations nées avant 1910, la somme s’établit à 8 000 milliards.

Que montre le graphique ? Que toutes les générations nées après 1935 ont un transfert net négatif. C’est totalement cohérent avec les modèles les plus classiques d’économie politique. La retraite par répartition ayant été mise en place en 1935 aux Etats-Unis, les politiciens l’ont fait payer aux américains dont les suffrages n’avaient alors aucun intérêt – les citoyens à naître qui ne voteraient au mieux qu’à partir de 1955 – et s’en sont servi pour acheter l’enthousiasme des électeurs du moment.

La deuxième courbe, en noir, représente la somme cumulée des transferts (échelle de droite). Cette somme en 1950 représente la facture restant à payer pour les cohortes nées après 1950. Dommage que les données françaises soient trop opaques pour reproduire ce genre de calculs.

Conclusion

La Sécurité Sociale n’est pas une assurance. Comme la plupart des constructions socialistes, elle s’approprie un concept puis cherche à en détourner le sens.

Si les réserves de fonds propres requis des assurances privées par la régulation prudentielle s’appliquaient à la Sécurité Sociale, le régulateur la mettrait immédiatement en faillite et le sauvetage de l’assureur AIG deviendrait une anecdote historique.

Si la Sécurité Sociale n’était pas un monopole et une obligation, elle ferait de même faillite. La raison en est qu’à l’échelle individuelle, les prestations reçues n’ayant que peu de rapport avec les cotisations payées, la part de la population lésée trouverait immédiatement à s’assurer librement ailleurs.


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