Pour conserver un regard froid sur le sujet, je me limiterai à son aspect financier. L’immigration coûte-t-elle de l’argent aux contribuables, ou au contraire en rapporte-t-elle ? Ce problème étant politiquement très clivant, il entraîne des débats récurrents et des études contradictoires reposant pour la plupart sur des sophismes. Les statistiques internationales compilées par l’OCDE dans son dernier rapport sur le sujet permettent de faire le point sur la question.
Le sophisme de la comptabilité instantanée
Il est d’abord nécessaire de dénoncer les raisonnements et études sophistiques portant sur le sujet.La manipulation la plus fréquente opérée par les économistes et comptables cherchant à montrer les bienfaits de l’immigration consiste à identifier les ménages immigrés et à faire la différence entre les prestations qu’ils reçoivent et les cotisations qu’ils versent. Si ce solde est négatif, l’immigration rapporterait davantage qu’elle ne coûte.
A ce jeu, il est facile de calculer que l’immigration rapporte de l’argent. Il suffit de constater que la part des immigrés dans les actifs est plus importante que dans les retraités. A l’évidence un immigré de trente ans ne coûte rien au système des retraites, et peu à l’assurance maladie… aujourd’hui. Si on appliquait cette méthode à la finance, on aboutirait à la conclusion qu’il faut toujours s’endetter davantage, vu que le différemment du remboursement aboutit à simplement l’ignorer dans une analyse « en instantané ».
Par cette stratégie, Xavier Chojnicki (Lille 2) trouve que les cotisations nettes des prestations d’un immigré étaient de 2 250€ en moyenne (2011). Cette « étude » est régulièrement citée dans la presse ou sur les plateaux télé pour justifier que l’immigration représenterait un gain pour la collectivité. Pourtant, une fois l’ensemble du cycle de vie pris en compte, le même auteur aboutit à une perte de 8 700€ par immigré. Olivier Monso (2008) dans une analyse comprenant aussi l’ensemble du cycle de vie aboutissait à une contribution négative semblable de 7 400€.
Seul le raisonnement intégrant l’ensemble du cycle de vie est économiquement valide, mais le raisonnement en comptabilité instantanée a au moins le mérite d’apporter une nuance utile dans l’appréciation des comptes actuels de l’Etat. L’immigration, causera peut-être d’importants déficits futurs, mais d’après les chiffres de X. Chojnicki, elle n’est pas responsable des déficits actuels, au contraire…
Il est aussi notable que, même en admettant ces chiffres négatifs, les ordres de grandeurs restent relativement faibles. Un million d’immigrés représenterait un coût, sur l’ensemble de leur vie, d’environ 7 à 9 milliards d’euros, c’est-à-dire équivalent à seulement deux années de subventions à l’audiovisuel d’Etat.
Pour l’OCDE, l’immigration serait déjà un coût
Cependant, même en adoptant la démarche de la comptabilité instantanée, l’OCDE conclut quant à elle que l’immigration représente déjà un coût pour la France, en désaccord avec les chiffres de l’étude de Chojnicki. D’après l’OCDE, les ménages immigrés auraient déjà en France une contribution fiscale nette négative de 1 450€, contrairement à la plupart des autres économies développées. Cette particularité de la France vient du fait que l’immigration française est en moyenne plus ancienne que dans les autres pays. Une plus grande proportion de ces ménages se trouve donc dans les tranches d’âge coûteuses.Le décalage temporel au cœur du problème
Comme je l’ai expliqué, le défaut central de l’analyse comptable « naïve » (instantanée) de l’immigration est qu’elle semble ignorer que les cotisations actuelles des immigrés – qu’elle comptabilise – crée des créances futures (retraites, maladies…) – qu’elle ne comptabilise pas.Pour corriger en partie ce biais, on peut en particulier exclure de l’analyse le système de retraites (cotisations et pensions), qui y est particulièrement sensible. Dans ce cas, les chiffres de l’OCDE montrent que les ménages immigrés reçoivent légèrement plus de prestations que les ménages natifs, et surtout payent nettement moins de cotisations. En tout, le solde des prestations et des cotisations (hors retraite) est de 4 000€ plus favorable pour le ménage étranger que pour le ménage natif. En faisant l’hypothèse grossière qu’un ménage natif a un solde moyen [prestations-cotisations] égal à zéro (équilibre financier parmi les natifs), cela signifie qu’un ménage immigré coûte en moyenne 4 000€ par an (hors retraites) à la collectivité.
Si on prend l’ensemble du cycle de vie en compte, et qu’on fait une analyse rétrospective des contributions fiscales et des services reçus, le solde devient logiquement particulièrement sensible à l’âge d’arrivée dans le pays. D’après les économistes de l’OCDE, pour les ménages dont le chef de famille a moins de 40 ans l’année de son arrivée, ce solde est positif et devient négatif quand il a plus de 40 ans à son arrivée.
Mais à nouveau, il convient d’être prudent dans l’analyse. Ce solde est la différence au cours de la vie entre l’ensemble des contributions fiscales et des prestations reçues à titre individuel (prestations sociales, aides, dépenses d’éducation) mais ne prend pas en compte les dépenses collectives (routes, défense, justice, police, et tous les dépenses de l’étatisme contemporain).
Réintégrer ces dépenses dans l’analyse serait extrêmement compliqué, et pas toujours justifié pour les dépenses qui ne sont pas proportionnelles à la taille de la population (par exemple le traitement de la dette). Cependant l’OCDE offre de comparer les natifs aux immigrés, ce qui permet de se faire une idée de la correction éventuelle à apporter.
Ainsi, d’après l’OCDE, un ménage immigré paierait, entre 25 ans (âge du chef de famille) et la fin de sa vie, 60 000€ de plus en impôts et cotisations qu’il ne recevra au titre des prestations individuelles. Mais ce chiffre est de 140 000€ pour un natif ! Une manière d’interpréter cette valeur, est que lorsqu’un ménage natif dont le chef de famille a 25 ans quitte la France et est remplacé par un homologue immigré, l’Etat devrait provisionner 80 000€ de pertes nettes. Et bien davantage si on suppose que le français moyen n’est pas représentatif du français qui décide d’émigrer.
La cavalerie comme solution
Comme je l’ai expliqué, si la France est déjà dans le rouge selon l’OCDE, c’est à cause de l’ancienneté moyenne de son immigration. D’après les chiffres de l’OCDE, si elle avait accueilli davantage d’immigrés sa situation budgétaire de long terme serait davantage dégradée, mais sa situation budgétaire présente serait peut-être meilleure, car l’immigré moyen serait plus jeune.Et sur ce point, l’étude de Xavier Chojnicki dérape totalement en proposant de résoudre le problème par une cavalerie (définition). Imaginons qu’un immigré rapporte 10€ en période 1 et coûte 20€ en période 2. En moyenne la perte est de 10€ par immigré sur le cycle de vie. Cependant, si à chaque période vous doublez le nombre de nouveaux immigrés, le coût total de l’immigration ne se manifestera jamais. En effet, en période 2, votre vieil immigré coûte 20€, mais deux jeunes immigrés vous rapportent 10€ chacun, soit 20€ en tout. Le solde est donc nul. En période 3, vous aurez 2 vieux immigrés, coûtant 40€, et 4 jeunes immigrés cotisants 40€. Solde nul à nouveau, et ainsi de suite…
Ce qui permet à X. Chojnicki d’affirmer à la fois que la moyenne est négative et que le total est quant à lui positif : « Pour autant, l’impact global de l’immigration sur les finances publiques est légèrement positif dans le long terme du fait de l’apport perpétuel d’individus d’âge actif… ». En même temps, on ne peut pas lui en vouloir, toute la Sécurité Sociale fonctionne en cavalerie, ignorant qu’il s’agit d’un mécanisme mathématiquement divergent et donc insoutenable.
Les natifs enfants d’immigrés
Pour être exhaustif, Chojnicki, pour rééquilibrer vers le positif son calcul d’une contribution moyenne négative de 8 700€ sur l’ensemble d’une vie, n’utilise pas seulement la cavalerie mais ajoute aussi la contribution des enfants d’immigrés. Et ce bien qu’il n’apporte aucune donnée sur le sujet.Il est évident que les secondes générations et les suivantes ne devraient pas être négligées dans les études du coût ou des bénéfices de l’immigration, qui se limitent en général aux « immigrés », c’est-à-dire aux premières générations.
Or les quelques données disponibles sur les « secondes générations » appellent le plus grand pessimisme. D’après Y. Algan (Sciences Po), C. Dustmann (University College London), A. Glitz (Barcelona GSE) et A. Manning (London School of Economics), les secondes générations dont les parents étaient issus du tiers monde sont en France bien plus mal loties que leurs parents (Algan et al., 2010). Les secondes générations du Maghreb auraient un taux d’emploi de 56,3% chez les hommes (vs. 66,3% pour les enfants de natifs) et 47,7% chez les femmes (vs. 58,9%). Ces taux seraient de 32,9% et 21,2% pour les fils et filles d’immigrés du reste de l’Afrique.
Au contraire, les enfants d’immigrés d’Europe du Sud affichent des taux d’emplois non seulement supérieurs à ceux de leurs parents, mais aussi supérieurs aux enfants de natifs : 71,5% pour les fils, 66,7% pour les filles.
L’étude d’Algan et al. est une comparaison entre pays européens, qui tend au regard des performances du Royaume-Uni et de l’Allemagne, à attribuer les échecs de nos secondes générations au moins autant à la France qu’aux immigrés. Au Royaume-Uni, les fils d’immigrés d’Afrique Noire ont un taux d’emploi de 60,6% contre 32,9% en France.
L’hétérogénéité de l’immigration
A l’évidence, l’analyse de l’immigration néglige de s’interroger sur qui sont les immigrés. Ce que montre l’OCDE, c’est que l’âge de leur arrivée est un facteur important dans le calcul de ce qu’ils « coûtent » ou « rapportent » au pays qui les accueille. Mais l’âge n’est pas le seul critère, l’étude d’Algan et al. montre que le pays d’origine est extrêmement déterminant aussi. D’autres qualités particulièrement importantes mais non observables sont décisives, en particulier ce qui motive les immigrés. Il est évident qu’un immigré attiré par des opportunités de travail ou d’investissement meilleures chez nous sera probablement plus rentable que son homologue mû par les promesses de la Sécurité Sociale.L’immigration peut être une chance, ou un fardeau
L’argument du Front National est que le surplus d’immigration vient prendre les emplois des natifs, comme si l’emploi était une donnée fixe qu’il faudrait partager. La gauche semble incapable de répondre sur le fond à cet argument, dans la mesure où elle adhère au même raisonnement fondamental : la logique des 35 heures étant semblable. Les syndicats contribuent à ce sophisme lorsqu’ils expliquent que reporter l’âge de la retraite n’a pas de sens en l’absence d’emplois, et que les personnes âgées devraient laisser la place aux jeunes. Des commentateurs sérieux allant du très libéral The Economist (lien) au très progressiste Paul Krugman (lien) démontent régulièrement ce sophisme, en vain.Or, pour faire simple, ce qui crée de l’emploi, c’est la hausse de la productivité ou la baisse du coût du travail. Ce qui crée du chômage, c’est la baisse de la productivité ou la hausse du coût du travail.
Lorsqu’un immigré entre en France pour travailler, il vient partager avec les natifs le poids du système social et de la dette, et donc réduit les cotisations et taxes prélevées sur chacun. Cela réduit le coût du travail et encourage l’emploi. Si on s’en tient à la logique économique (qui est réductrice), il faudrait accueillir le plus possible de ces gens.
Inversement, un immigré entrant en France et présentant un coût net pour le système social crée du chômage, car ce coût se répercute sur l’imposition de l’activité économique et en particulier le coût du travail. Il vaudrait mieux pour la collectivité des natifs que ces gens restent chez eux.
Mais suivant cette logique, il faudrait aussi expulser des centaines de milliers de français natifs : fonctionnaires oisifs, intermittents du spectacle et l’ensemble des personnes ayant une contribution sociale nette particulièrement négative et n’ayant davantage de droits que la jeune Leonarda que de la seule chance d’être nés en un endroit plutôt qu’un autre.
Dans ce système absurde, il faudrait s’inquiéter au moins autant de l’émigration des plus créatifs et productifs d’entre nous, qui ayant une contribution sociale nette excessivement positive, choisissent de s’expulser eux-mêmes.
Références
- Yann Algan, Christian Dustmann, Albrecht Glitz & Alan Manning, 2010. « The Economic Situation of First and Second-Generation Immigrants in France, Germany and the United Kingdom, » Economic Journal, Royal Economic Society, vol. 120(542), pages F4-F30, 02.
- Xavier Chojnicki, « Impact budgétaire de l’immigration en France », Revue Economique, 62(3), 2011 (lien)
- Olivier Monso, « L’immigration a-t-elle un effet sur les finances publiques ? », Revue française d’économie, vol. 23, n°2, pp. 3-56, 2008. (lien)
- OECD, International Migration Outlook 2013 (lien)