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Gilles Lerat

Gilles Lerat

Ingénieur de formation, j’ai sauté dans le bain de la création d’entreprises dès ma sortie de l’école. Je me suis spécialisé dans la sécurité informatique. Après avoir revendu ma société à un groupe informatique, je me suis dirigé vers le cinéma, ce qui n’est peut-être pas la meilleure option, compte tenu de l’environnement économique actuel.

Je suis à la fois émerveillé en permanence par les prouesses technologiques actuelles et extrêmement inquiet des défis qui nous attendent sur les plans énergétiques, économiques, et surtout sur le plan démographique.

Tesla, Uber, Netflix : jusqu’à quand les licornes voleront-elles ?

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Introduction

L’inconvénient de rédiger un article en plusieurs fois (quand vous êtes pris par votre activité), c’est que vous êtes parfois rattrapé par l’actualité. C’est ce qui vient de se produire avec cet article, que j’ai commencé le 20 Octobre 2018 et que je ne peux terminer qu’un mois plus tard ou presque. Entre temps, les résultats du troisième trimestre des sociétés high techs ont été dévoilés et ces jolies licornes ont fendu l’air de leurs longues ailes pour continuer à défier les lois économiques et même osons le dire, le simple bon sens. Qu’importe, mon article n’en est que d’autant plus d’actualité.

Reprenons donc.

Il ne se passe pas une semaine sans que Tesla, Uber ou Netflix ne fasse l’actualité. Surtout Tesla.

Tesla

Ici même, sur ObjectifEco, Charles a suivi les aventures de Tesla et de son charismatique PDG, Elon Musk, en faisant le point sur les bonnes raisons selon lesquelles le titre devait baisser.

Jusqu’à ce jour, alors que le quatrième trimestre 2018 est déjà bien entamé : la capacité de Tesla à léviter au-dessus du bon sens économique défie l’imagination (et les « shorts »).

J’aimerais à mon tour apporter ma modeste pierre à la contribution de l’édifice sur Tesla, mais aussi sur Uber et sur Netflix. Car j’ai bien l’impression que le destin de ces 3 sociétés est lié d’une certaine façon.

Pour me démarquer de ce qui a été écrit sur Tesla depuis le début, je vais également regarder 2 indicateurs qui ne sont pas spécialement dans le radar des marchés : le manque flagrant de managers expérimentés et l’accoutumance de la société Tesla à avancer sans se soucier des résultats.

Commençons par ce qui est peu sujet à discussion : les chiffres.

Les chiffres

Depuis 2010, date de son entrée en bourse, Tesla a levé 19 milliards et a « produit » si l’on peut dire, 9 milliards de cash flow négatif.

La société Statista a produit le graphique ci-dessous des résultats nets de Tesla de 2008 à 2017.
2018-10-21 16 48 16- Teslas net loss 2008-2017   Statistic
A ce stade, pour rester pudique, il vaut mieux ne pas parler de 2018….

Enfin si, parlons en justement, ou plutôt laissons parler Wolfstreet qui a fait l’étude pour nous sur une base trimestrielle.
2018-10-21 16 58 03-Tesla Discloses Worst Quarterly Loss Ever But Where Are the 17000 Model 3 Cars

La situation s’annonçait périlleuse pour les résultats du 3ème trimestre, sauf si l’on écoutait le principal intéressé :
Elon-Musk-Promises

C’est bien, donc Tesla n’aura plus jamais besoin de lever d’argent… Ce qui me rappelle d’ailleurs des déclarations du même acabit faites également par Elon Musk … en 2012.
Tesla Wont Need More Money


Malheureusement, je n’ai pas pu retrouver le tweet de l’intéressé. Je crois qu’à ce moment, le souvenir de la crise de 2008 était plus présent dans son esprit et donc il passait moins de temps à tweeter.

En Octobre, coup de théâtre : Tesla accélère l’annonce de ses résultats d’une semaine, et révèle le 24, un résultat d’exploitation fortement positif de l’ordre de 311 millions de dollars qui faisait suite à un second trimestre très déficitaire, comme à l’habitude.

Je suspecte fortement que toutes les magouilles comptables ont été mises à contribution pour arriver à ce résultat aussi étonnant.

Je ne suis pas le seul à le penser. D’autres avec plus de capacités que moi pour analyser la situation ont étudié les subterfuges légaux qui ont été mis en place et dont la finalité est toujours un peu identique : gagner du temps et terrifier définitivement les « shorts ».

Ce qui me semble important, c’est la distorsion dans l’esprit de Musk (et des autres dirigeants) : quand vous avez passé 15 ans sans jamais produire de résultat positif, mais que malgré tout la bourse vous récompense, vous n’avez presqu’aucune incitation à devenir raisonnable en matière de tenue des comptes.

A mon avis, Elon Musk est désormais trop addict à la « célébrité » que lui apportent ses annonces tonitruantes. Et il aura beaucoup, beaucoup de mal à focaliser son attention sur la rentabilité, sauf si cela sert son objectif médiatique. Et donc, le cirque va continuer jusqu’à ce que le marché ne l’accepte plus.

Ca, c’est le premier point.

Le deuxième point concerne le packaging, la communication autour des produits et services de la société.

La stratégie de communication d’Elon Musk.

Sur ce point, la stratégie d’Elon Musk est claire : perpétuer « le hype », c’est-à-dire raconter une belle histoire ou sortir une nouvelle de son chapeau pour que les investisseurs arrêtent de se focaliser sur les revenus.

Pour cela, ils font en permanence des annonces, inventent de nouveaux produits : des camions autonomes, des lanceurs de flammes, des planches de surf, ou pourquoi pas de la Tequila ?
Tesla-Truck Tesla surfboard
Teslaquila
Lorsque le hype ne suffit pas, il faut focaliser l’attention du marché sur un autre indicateur. C’est ce que fait Tesla, avec un certain succès, il faut bien le reconnaitre. Tout est bon pour garder le cours de bourse à un niveau stratosphérique.

Et pourquoi est-ce qu’Elon Musk a tellement besoin de garder le cours de bourse le plus élevé possible ? C’est simple : son style de vie est payé par des emprunts sécurisés par ses actions Tesla.

Pour moi, c’est un signe supplémentaire que le système est complètement vicié. Mais en tout cas, pour l’instant l’édifice semble tenir.

Je crois qu’Elon Musk a vraiment senti qu’il ne pourrait pas ressortir un énième lapin de son chapeau et qu’il fallait absolument montrer qu’il pouvait devenir bénéficiaire. C’est ce qu’il a fait, au prix de nombreuses acrobaties.

Le troisième point, assez impressionnant, sur lequel les médias ont fait leur boulot d’investigation, concerne la fuite des managers. Franchement, le niveau de départ des managers de haut niveau, que les américains appellent les C-Level Executives, est impressionnant. Cette fuite désordonnée s’est même accentuée ces derniers jours avec le départ de Phil Rothenberg, VP du « Legal ». Il ne doit plus rester que Jeffrey Straubel en CTO.

Bien sûr, c’est un avertissement sur le fait que les managers savent que quelque chose ne tourne pas rond. Mais surtout, cela se traduit forcément par une désorganisation plus importante et donc plus coûteuse que ce que l’on veut bien nous dire.

Il n’y a pas de risques à dire que le départ d’autant de cadres dirigeants est un signe que les choses vont mal, quelles que soient les informations financières transmises par ailleurs.

Netflix

Commençons ici aussi par des chiffres intéressants : Netflix est ou serait responsable de 15% de tout le trafic Internet.

C’est effectivement énorme. Notez qu’en 2015, on annonçait déjà que Netflix et Youtube représentaient la moitié du trafic Internet aux U.S.

Ce qui est tout aussi intéressant, ce sont les pertes.

Là encore, Netflix accumule des déficits énormes et essaie de focaliser l’attention des investisseurs sur le nombre de nouveaux abonnés par trimestre. En oubliant de préciser que sur ce segment, elle a désormais capté plus de 137 millions d’abonnés, soit près de 2% de la population mondiale, tout confondu. Il sera difficile d’augmenter significativement ce chiffre…

On retrouve la stratégie développée par Tesla autour du nombre de nouvelles Model 3 construites par trimestre.

Comme Tesla par ailleurs, Netflix fait face à une compétition très féroce et aux poches très profondes : Hulu d’abord, mais aussi Amazon et Google, pour lesquels l’activité de streaming ne représente pas le cœur de leur activité. Et aussi Disney dont Netflix avait dépassé la capitalisation, il y a quelques jours lors de l’annonce des résultats du Q3.

C’est d’ailleurs l’analyse de Zerohedge : Netflix serait dans une mission d’asphyxie de la concurrence.

Quoi qu’il en soit, il est quand même clair que la stratégie de Netflix est tellement coûteuse que la suspicion d’être un schéma de Ponzi commence à se répandre ici et .
2018-10-22 00 22 51-Netflixonomics  Cash-Burning Machine Blows Billions On Content In Winner-Takes-


Uber

Uber est le cas classique de la société qui veut disrupter son marché et se présente avec une technologie pas assez révolutionnaire, ce qui permet à la concurrence de s’organiser un peu partout dans le monde, ce qu’elle fait sans état d’âme ( Gab, Didi, Lyft, Taxify,…).

Pour s’imposer, Uber est obligé de mettre en œuvre des budgets gigantesques et d’entretenir un déficit presque permanent. Voyons ces chiffres.

Voici le titre d’un article que l’on peut retrouver sur le site de Bloomberg et qui date de Mars 2018 :
2018-10-21 17 22 39-Uber Spent 10.7 Billion in Nine Years. Does It Have Enough to Show for It  - Bl

Mais ça, c’était avant.

Il y a quelques jours, le 14 Novembre 2018, Uber a annoncé une perte combinée de 1,07 milliards de dollars pour le troisième trimestre (Juillet à Septembre). Cette perte se rapporte à un chiffre d’affaires de 2,95 milliards de dollars : ce n’est pas glorieux. Et surtout elle intervient dans un contexte de fort diminution de la croissance (seulement 5% par rapport au trimestre précédent).

Et pourtant, les investisseurs continuent d’injecter de l’argent. Et ce n’est pas nouveau. Les titres ci-dessous sont identiques à 2 ans d’intervalle. Ils n’ont pas pris une ride et pourraient facilement servir à commenter les résultats de ce trimestre.
2018-10-21 17 21 17-Uber cash machine - Recherche Google
Des trois licornes commentées dans cet article, Uber semble vraiment être la plus mal en point : elle n’a pas vraiment acquis de position dominante au niveau mondial, elle a parfois dû se contraindre à fusionner ses opérations dans certains pays avec celles de ses concurrents.

Elle est rentrée sur le créneau très concurrentiel de la livraison de repas, créneau sur lequel elle est face à une concurrence féroce qui la conduit à essayer des plâtres.

Mais comme Tesla et Netflix, Uber continue de se déployer tous azimuts, y compris avec des initiatives un peu surprenantes, et bien qu’il ait quasiment mis à l’arrêt ses projets de développement dans la voiture autonome, laissant ainsi le champs libre à Waymo, entre autres.


L’aspect stratégique de la situation pour le gouvernement américain

En toute bonne logique, les marchés devraient un jour finir par rentrer durablement en « risk off ». Ce jour-là, c’en sera fini de Tesla : le niveau de compétition sur son marché de prédilection est tel qu’elle sera obligé de se revendre à vil prix, et pas sûr qu’Apple ou Google accepte de casser sa tirelire pour la racheter.

En plus, Elon Musk a survécu à trop de vents contraires pour ne pas se sentir invulnérable : fort de la confiance de son fan-club et de ses appuis politiques réels ou supposés, il ira jusqu’au bout.

Pour Netflix, son succès repose avant tout sur sa capacité à faire croire aux marchés que seule compte la captation d’abonnés et que le jour où ils diminueront la cadence de création, la baisse du nombre d’abonnés sera minime.

Et pour Uber, ils font saliver leurs investisseurs en leur demandant de « tenir » jusqu’aux voitures autonomes, ce qui leur permettra de récupérer la totalité de la course.

Lors de la prochaine crise, la seule possibilité pour sauver Tesla, Uber, Netflix et toutes ces « machines à perdre de l’argent », sera que la Federal Reserve achète ouvertement et massivement des actions de ces sociétés (comme le font déjà la BOJ et la BNS).

Ce serait un signal fort envoyés aux investisseurs que les pertes n’ont vraiment plus d’importance dans la nouvelle nouvelle économie.

Et un signe encore plus fort à l’ensemble des forces opposées au dollar américain, que les jours de ce dernier sont comptés, et que tout cela ne pourra se terminer que dans une gigantesque supernova monétaire.

Est-ce que le gouvernement américain le fera ? Je ne le pense pas, car cela reviendrait à leur donner un avantage vraiment disproportionné par rapport à leurs concurrents respectifs : GM, Lyft, Disney qui sont par ailleurs des sociétés américaines.


Conclusion 

Des sociétés comme Uber, Tesla et Netflix : il en existe plein en ce moment. C’est la fête du slip.

Dans mon créneau, la cybersécurité, Blackberry vient de racheter la société Cylance pour 1,4 milliards de dollars en numéraire. La société, créée en 2012, venait de lever quelques mois plus tôt 120 millions de dollars.

C’est intéressant de parler de ces 3 boites, car elles partagent un modèle qu’elles présentent comme disruptif et une incapacité prouvée à simplement gagner de l’argent. Et à côté, il y a quand même malgré tout, des sociétés high tech très rentables telles que Google, Apple même si la croissance d’Apple semble fortement ralentir ces derniers temps.

Le fait qu’en 2018, elles continuent de battre des records en bourse (en tout cas pour Tesla et Netflix) est une démonstration presque mathématique de ce que les marchés financiers sont déréglés.

Ou pour l’écrire plus simplement, comme David Robertson, nous sommes rentrés dans une nouvelle bulle de la high tech. Mais celle-ci, contrairement à celle de 2000, dure depuis plusieurs années.

Cela va être de plus en plus difficile pour toutes ces sociétés de continuer à brûler du cash comme si de rien n’était, sous prétexte de sauver le monde ou de le rendre meilleur.

Et ça, quelque part, cela n’est que justice pour tous les petits entrepreneurs comme nous, qui sommes obligés de gagner de l’argent, selon les modèles économiques traditionnels.

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1 Commentaire

  • Lien vers le commentaire banville samedi, 17 novembre 2018 17:40 Posté par banville

    Bon papier j'aurais souhaité une autre conclusion mais malheureusement, elle est l'entière vérité!