Même si je ne suis plus tellement impliqué dans l’univers des cryptomonnaies, je continue à en suivre l’actualité.
Maintenant que le cours du Bitcoin a bien monté, je reçois bien sûr des appels de personnes qui me demandent comment choisir une cryptomonnaie avec du potentiel, ou bien encore s’il est toujours temps d’investir dans les cryptos.
Concernant la première question, je suis surpris que peu de gens, lorsqu’ils investissent dans une cryptomonnaie se posent la question de connaitre l’équipe derrière le projet.
Pour moi, il s’agit du point à vérifier en priorité et sans conteste, le plus important.
Aujourd’hui, après avoir un peu creusé le sujet, je suis convaincu que le projet Bitcoin fédère les meilleurs développeurs et les projets les plus aboutis, simplement à un rythme qui ne correspond peut-être pas aux attentes de la communauté.
Concernant la deuxième question, elle me déçoit un peu, car elle implique, et c’est le cas de l’écrasante majorité des acquéreurs de cryptomonnaies, une volonté de revendre plus tard, principalement en euros ou en dollars. Et donc, lorsqu’on regarde la motivation de 99% des participants, il s’agit principalement de spéculer. Si les participants étaient réellement convaincus du bien-fondé des cryptomonnaies, ils ne les échangeraient éventuellement que contre des biens et des services, et pas contre d’autres monnaies papiers.
Bien entendu, le caractère spéculatif est renforcé par les variations de valeurs des cryptomonnaies.
A ceux qui veulent trader, je leur propose plusieurs informations, susceptibles de nourrir leur réflexion.
Et pour évoquer l’un des problèmes qui devrait finir par se poser à la communauté, il me faut parler du Tether.
Pour commencer, il faut savoir qu’une part importante de l’écosystème en rapport avec les cryptomonnaies repose sur ce que l’on appelle les « stablecoins ».
Par essence, un « stablecoin » est adossé fixement à une valeur ou à un panier de valeurs, typiquement le Dollar US. Ce « stablecoin » peut être géré comme un Dollar, sans les inconvénients d’avoir à gérer les aspects légaux du US dollar. Cela permet à des échanges purement cryptomonnaies d’émerger, sans s’embêter des contraintes légales, du type KYC.
Bien sûr, pour que cela fonctionne, il faut être sûr de la parité d’échange et que celle-ci soit constante.
Parmi les deux plus importants stablecoins utilisés par le marché, on trouve le USDC, le stablecoin émis par Coinbase qui pointe à la 12ème place du classement des cryptos, avec une capitalisation de 5 milliards environ... et surtout le Tether (USDT en abrégé) qui pointe à la troisième place du marché avec une capitalisation de près de 25 milliards de dollars US.
Les créateurs du Tether l’ont appeelé Realcoin en 2014, avant que le concept ne soit repris par une société Tether Inc., dont il est apparu que ses dirigeants étaient les mêmes que ceux de Bitfinex, un échange basé à Hong Kong.
Il y aurait beaucoup de choses à dire sur le Tether, mais pour présenter les choses de manière très synthétique : Tether ressemble un peu (beaucoup) à une arnaque.
Le point clé de l’affaire est que les dirigeants de Tether ne se sont jamais privés d’imprimer des quantités phénoménales de Tethers et n’ont jamais fourni la preuve d’un audit financier digne de ce nom. Il y a eu des annonces bien sûr, mais qui n’ont jamais abouti à un véritable audit.
Je connais Tether depuis 2017, et à ce moment là, le système garantissait une convertibilité de 1 USTD pour 1 Dollar US.
En 2019, ils ont changé leurs affirmations pour indiquer que chaque Tether émis serait à « 100% soutenu par leurs réserves », lesquelles demeurent sans audit sérieux.
En résumé : · Bitfinex n’a jamais fourni d’audit digne de ce nom · Leurs bureaux seraient à Hong Kong ... Mais il n’a pas été possible de les localiser précisément · Leur banque est au Bahamas et a entrenu le plus grand flou sur les demandes répétées concernant l’état des comptes de leur client · Le CEO et le CFO ne communiquent jamais. Seul le CTO, Paolo Ardoino est disponible de temps en temps et principalement sur Twitter · Ils impriment presque quotidiennement, comme des fous, et surtout ces derniers temps des Tethers dont ils nous demandent de croire sur parole, qu’ils sont garantis par un montant équivalent en dollars US ou bien en "réserves" |
Amy Castor a écrit en Janvier 2019 un historique des événements se rapportant à Tether qui déjà à l’époque mettait en évidence le caractère trouble de ce stablecoin. Son article avait déjà fait l’objet d’une parution dans Bitcoin Magazine en Février 2018... C’est dire à quel point le problème n’est pas nouveau.
Le graphique ci-dessous reprend l’évolution du Tether depuis sa création.
Le 30 Août 2020, Tether avait encore une capitalisation globale de 10 milliards USD.
Le 20 Janvier, ils ont largement dépassé les 24 milliards.
Comme la valeur est adossée au Dollar US, cela veut dire qu'on parle bien d'impression monétaire. Tether a, de fait, imprimé des quantités extraordinaires de monnaie passant par exemple de 20 milliards de Tethers (USDT) à 24,5 milliards en moins d’un mois....
Voici par exemple, le poste d’un utilisateur sur Reddit qui s’étonne le 17 Décembre 2020 de cette explosion de valorisation.
A ce stade, le fait que le Tether soit éventuellement une fraude ne devrait avoir qu’un impact limité sur le Bitcoin et les autres cryptos ... Sauf si on s’avise de penser que l’explosion de valorisation du Bitcoin de ces dernières semaines est étroitement corrélée à celle du Tether.
Coïncidence ?
Pas si l’on en croit cet article, très important, et qui commence à faire sensation, au sein même de la communauté crypto : « the Bit Short » qui est sorti récemment. La lecture est un peu longue, mais elle vaut vraiment le coup.
A plusieurs niveaux, la comparaison avec les événements de la crise financière de 2008, telle qu’explicité dans le film « The Big Short » est vraiment valide, notamment lorsque l’auteur fait part de sa rencontre avec Bob, un crypto-trader qui utilise un échange complètement décorrélé du dollar, Bybit.
Une autre manière d’évaluer la corrélation est via ce graphe fourni par Jacob Oracle dans son article qui affiche en simultané le cours du Bitcoin et la vélocité d’impression du Tether :
Le 24 Avril 2019, la cour de New York porte plainte contre iFinex, la société mère de Bitfinex et de Tether, indiquant que la société avait mélangé ses fonds et ceux de l’entreprise pour couvrir une perte de 850 millions de dollars.
Bitfinex a fait appel de cette injonction, et de report en report, a obtenu une date butoir au 15 Décembre 2020 pour produire les documents.
Chaque report obtenu leur donnait davantage de temps pour imprimer de plus en plus de Tethers USDT.
Le 15 Décembre 2020, ils ont réussi à obtenir un ultime délai qui portait l’injonction finale au 15 Janvier 2021.
Ce jour-là, Tether a produit 2,5 millions de documents (!) à la cour de New York et s’est en vanté dans un tweet.
Pourtant, à ce niveau, le fait de produire plus de 2,5 millions de docs est plus une obstruction qu’autre chose. Il y a un terme légal pour ce genre de comportement : un « Document Dump ».
Les représentants légaux de la société ont ensuite demandé un délai supplémentaire jusqu’au 15 Février (un de plus) qui leur a été accordé.
On pourrait se demander pourquoi les autorités, dont le pouvoir monétaire pourrait en apparence être menacé par le Bitcoin n’interviennent pas plus vigoureusement, pour révéler la fraude en forçant Tether à effectuer un audit, puisqu’ils affirment que chacun de leur USDT est soutenu par des avoirs équivalents en dollars ?
Sans doute que le temps de la justice n’est pas le même que celui de l’univers des cryptos.
Une explication plus machiavélique serait que les autorités attendent un gonflement supplémentaire de la bulle, pour faire davantages de dégats financiers et faire passer l’envie à un maximum de gens d’investir dans les cryptos.
Ce compte Twitter, « StableCoin Printer » décrit en temps réel toutes les impressions monétaires des stablecoins.
Vous constaterez que depuis le 13 Janvier, il n’y a eu qu’une seule impression, certes très large, de 300 millions d’USDT le 20 Janvier.
Et comme par hasard, le cours du BTC hésite, n’arrive plus à se maintenir à hauteur de 40 KUSD.
Ainsi donc, le Bitcoin se trouverait de facto pris au piège d’une ou de plusieurs printing press alors même qu’il avait été concçu en réaction à l’impression monétaire des banques centrales.
Ce pauvre Satoshi Nakomoto doit se retourner dans sa tombe (à supposer qu’il s’agisse effectivement de Hal Finney).
La problématique Tether n’est malheureusement que l’une de celles qui affectent en ce moment l’univers des cryptos.
Il y a par exemple le chemin choisi par Microstrategy, un éditeur de logiciels d’informatique décisionnelle, qui sous l’impulsion de son fondateur, Michael J. Saylor a décidé d’investir en Août 2020, une grande partie de sa trésorerie dans le Bitcoin.
C’est une stratégie périlleuse, qui pourrait bien se retourner contre lui, comme l’a montré cet article de Trolly McTrollFace intitulé : Comment acheter du Bitcoin à 66 700 Dollars.
Un autre problème est le « potentiel intérêt » de BlackRock pour le Bitcoin, que les fans de la cryptosphère ont interprétés comme très prometteurs pour leurs investissements.
Dans les faits, ce serait plutôt le contraire. Je n’ai pas trop le temps d’élaborer. Je vous renvoie sur l’explication donnée sur le compte Twitter de CryptoWhale.
Bitcoin et un certain nombre de cryptomonnaies procèdent certainement d’une noble intention à l’origine. Je reste convaincu qu’elles ont un rôle à jouer.
Mais le fait est que l’augmentation soudaine de valorisation de ces derniers temps semble avant tout générée par un intérêt purement spéculatif.
Si jamais le Tether dont l’émission a permis de nourrir cette spéculation, venait à tomber à zéro, gare à la rechute. Il est faux de croire que, dans ce cas, la valorisation du Bitcoin et partant, des autres cryptomonnaies, ne serait affectée qu’à la marge.
Bonus Track : découvrez ce qui se passe lorsque Hitler découvre qu’il ne peut pas vendre ses Bitcoins.
(C'est un mème déjà exploité sur des tas de sujets; à consulter avec les sous-titres évidemment)
Une partie des liens utilisés pour écrire cet article :
https://crypto-anonymous-2021.medium.com/the-bit-short-inside-cryptos-doomsday-machine-f8dcf78a64d3 : the “Bit Short”, l’article à lire en priorité pour comprendre de quoi il ressort.
https://twitter.com/Tr0llyTr0llFace : le compte sous pseudonyme d’un auteur « négatif » sur les cryptomonnaies et sur Microstrategy en particulier.
https://twitter.com/bitfinexed : le premier à avoir exposé les pratiques douteuses de BitFinex.
https://amycastor.com/2019/01/17/the-curious-case-of-tether-a-complete-timeline-of-events/ : l’historique des évènements en rapport avec l’impression des Tethers.
https://jacoboracle.medium.com/backed-by-nothing-how-tether-created-the-largest-market-bubble-and-fraud-scheme-in-history-6b9595c26442 : un article important de Jacob Oracle.
https://www.reddit.com/r/Buttcoin/comments/kmyg8n/about_2_weeks_ago_there_were_20_billion_tethers/ : il y a 2 semaines, il y avait encore 20 milliards de USDT.
https://www.reddit.com/r/CryptoCurrency/comments/l17vvh/tether_submits_more_than_25_million_documents/ : en réponse à l’injonction du gouvernement, Tether produit 2,5 millions de documents.
https://www.reddit.com/r/Buttcoin/comments/kystsc/why_is_the_tether_printer_off/ : pourquoi l’imprimante Tether n’est-elle pas active ?
https://twitter.com/usdcoinprinter : le compte Twitter qui tient compte des impressions de stablecoins.