Si on devait résumer le problème bancaire rapidement, on dirait ceci :
- Lors d’une panique bancaire, un afflux soudain de retraits des déposants peut faire écrouler un système financier relativement sain. Garantir les dépôts permet d’empêcher de telles paniques parmi les déposants, et donc de garantir la stabilité du système.
- Cependant, lorsque les dépôts sont garantis, le système bancaire a tendance à se développer de façon malsaine car les profits sont privés, et les pertes collectivisées.
- La première solution, d’inspiration libérale, consiste à ne pas garantir les dépôts et à peu réguler l’activité bancaire. Cette solution a pour avantage de permettre un financement performant de l’économie, mais le désavantage de ne pas garantir les dépôts.
- La deuxième solution est plus interventionniste. Elle garantit les dépôts, mais en contrepartie régule fortement les banques afin que la garantie des dépôts n’entraîne pas des prises de risques excessives.
- Quant à l’ânerie majeure, c’est d’à la fois garantir les dépôts et de déréguler l’activité bancaire. Auquel cas, l’Etat contraint les banques à faire n’importe quoi.
Garantie des dépôts et prise de risque
Le premier modèle, développé par John Kareken et Neil Wallace explique pourquoi, lorsqu’un gouvernement s’engage à garantir les dépôts, il accroit la probabilité de faillite des banques.
La télévision a très mal retranscrit la manière dont cet effet pervers apparaît. Le fait que les profits soient privatisées et les pertes socialisées n’a aucune raison de permettre aux banques de réaliser davantage de profits. En effet, l’avantage étant octroyé à toutes les banques, la compétition le répercute entièrement au bénéfice des épargnants. Grâce à la garantie, l’ensemble des banques se retrouvent en position de réaliser des investissements plus risqués sans faire prendre de risque à ses clients. Il est donc logique que les épargnants réclament de la banque une telle stratégie. Certes, cette exigence n’est pas explicite. Cependant, lorsque l’épargnant compare les taux offerts par les différentes banques, il est indifférent au risque qu’elles prennent, dans la mesure où son placement est garanti. Il ira donc naturellement vers l’institution offrant le meilleur rendement, et ce grâce à un investissement plus risqué garanti par l’Etat.
En une telle circonstance, la question éthique pour le banquier n’a plus beaucoup de sens pour comprendre l’économie. La banque qui ne profite pas de la garantie pour jouer une stratégie perverse n’est pas capable d’attirer des clients, et donc disparaît.
Autrement dit, lorsque les dépôts sont garantis, les banques n’y trouvent pas tant un intérêt financier qu’une contrainte venant des épargnants d’offrir un rendement élevé dont le risque est porté par les contribuables. Comprendre que la prise de risque inconsidérée découle simplement du fait que les déposants cherchent le meilleur rendement est essentiel. En effet, lorsque le gouvernement américain a décidé de laisser Lehman Brothers faire faillite, il n’a absolu pas créer un exemple efficace, dans la mesure où l’origine de la perversité ne se trouvait pas tant chez les actionnaires des banques que dans la propension bien naturelle des déposants à chercher le meilleur rendement.
Au contraire, si les dépôts ne sont pas garantis, les banques se spécialisent. Certaines acquièrent une réputation de prudence et attirent les clients frileux et leur versent de faibles intérêts, tandis que des banques réputées plus audacieuses offrent des intérêts plus élevés à des déposants prêts à prendre davantage de risque.
Liquidité et panique bancaire
Le second modèle, proposé par Douglas Diamond et Philip Dybvig en 1983 est encore plus célèbre.
Concrètement, une banque est une entreprise qui collecte l’épargne de ses clients, et la prête à des investisseurs qui l’utilisent pour créer des richesses. La création de ces richesses permet de rémunérer ceux qui ont financé les investissements, c’est-à-dire les déposants, en leur versant les intérêts du remboursement.
Mais dans ce cas, pourquoi les banques existent-t-elles ? Après tout, les épargnants pourraient directement prêter aux investisseurs sans passer par la banque.
La raison est que les épargnants veulent à la fois obtenir un rendement sur leur dépôt, ce qui implique de le prêter durablement leur argent, et en même temps pouvoir le récupérer à tout moment. La manière de concilier ces deux objectifs est de faire de la banque un pool de liquidité. Imaginons 100 épargnants, qui veulent investir dans un projet industriel, mais veulent pouvoir récupérer leur argent demain si l’envie ou le besoin leur en vient. Ils anticipent que 20 d’entre eux voudront effectivement reprendre leur argent demain, mais ignorent qui. Dans ce cas, il leur suffit de mettre l’ensemble de leurs ressources en commun, d’en garder 20% sous forme de billets, et de prêter 80% à des entreprises. Auquel cas, le problème est résolu. Les 20% en billets permettent à ceux qui voudront reprendre leur argent demain de le faire, et le reste permet à l’argent de faire des petits.
Ce système est un puissant levier de financement de l’économie et de rémunération de l’épargne. Cependant, il comporte un risque.
Imaginons en effet que le lendemain de cet accord, pour telle ou telle raison, l’ensemble de nos 100 clients se disent qu’en fait, 30 personnes vont réclamer leur argent précocement. Sachant les décisions prises la veille, les 100 clients savent que cela est impossible, et que pour honorer ses engagements la banque va devoir récupérer l’argent qu’elle a prêté à long terme. Cela va entraîner des pertes importantes, et les derniers à réclamer leur argent n’en récupéreront qu’une partie. La décision la plus rationnelle pour chaque client est d’alors de se précipiter au guichet pour récupérer son pécule avant les autres, de sorte que la prophétie, même si elle n’avait aucun fondement, devient réalité. On appelle cela une panique bancaire. Un phénomène à la fois rationnel et ne nécessitant aucun fondement réel.
Diamond et Dybvig suggèrent alors d’introduire la garantie des dépôts. En effet, une telle garantie enraye le processus destructeur décrit plus haut, et donc prévient les faillites bancaires inutiles ainsi que leur contagion par la panique.
Un problème insoluble ?
Les deux théories ne sont en rien contradictoires. Elles prennent le problème sous deux perspectives différentes. D’ailleurs, Diamond et Dybvig, qui écrivent les seconds, invitent leurs lecteurs à aller lire Karaken et Wallace. Depuis des modèles tentent d’intégrer les deux raisonnements.
On pourrait résumer le problème en deux questions/réponses :
- Que faire lorsqu’on fait face à une crise bancaire ? Diamond et Dybvig répondent : garantir les dépôts, sauver les banques.
- Que faire pour éviter de faire face à une crise bancaire ? Karaken et Wallace répondent : ne pas garantir les dépôts, ne pas sauver les banques.
Sans grande conviction, je choisirais personnellement la suppression de la garantie des dépôts, ou sa forte limitation. Au-delà de ses effets pervers, la régulation bancaire efficace qu’impose la garantie des dépôts me semble improbable, car le lobby bancaire fait du régulateur une marionnette à son service. La régulation par des déposants contraints par le risque à surveiller la réputation de leur banque me semble plus convaincante, et constitue la solution plusieurs fois millénaire.
Diamond, Douglas W & Dybvig, Philip H, 1983. "Bank Runs, Deposit Insurance, and Liquidity,"Journal of Political Economy, University of Chicago Press, vol. 91(3), pages 401-19, June.
Kareken, John H & Wallace, Neil, 1978. "Deposit Insurance and Bank Regulation: A Partial-Equilibrium Exposition," The Journal of Business, University of Chicago Press, vol. 51(3), pages 413-38, July.