Acrithène
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Acrithène est doctorant en finance, auteur d'un blog où il tente de combler le fossé séparant la science économique du grand public.
Le Blog d'Acrithène
Cooptation au sommet des grandes entreprises privées : une culture largement issue du service public
Audience de l'article : 2261 lecturesLes Grandes Ecoles et leur réseau de cooptation, tout le monde connait. Mais cette pratique est-elle plus forte dans les sociétés capitalistes dédiées à de mesquins profits d’actionnaires, ou dans ces entreprises dans lesquelles l’influence de la culture d’Etat garantit une sorte de prise en compte bienveillante de l’intérêt général ?
Ce billet présente deux tableaux issus d’un article académique de Francis Kramarz (ENSAE) et David Thesmar (HEC) qui ont étudié comment les réseaux de Polytechnique et de l’ENA structurent la relation des PDG avec leurs Conseil d’Administration et/ou de Surveillance, en se basant sur la seconde moitié des années 1990 et le début des années 2000. Ces tableaux montrent que la cooptation est une pratique ayant une forte dimension « service public ».
Le premier tableau présente la composition des directoires, conseils d’administration et de surveillance des sociétés françaises cotées en bourse, selon que leur PDG soit issu de l’ENA ou de l’Ecole Polytechnique, en faisant la distinction entre les polytechniciens ayant fait leur carrière entièrement dans le secteur privé ou en partie dans le secteur public.
Ainsi, pour prendre un exemple de lecture, dans les sociétés dans lesquelles le PDG est énarque, 16% des directeurs et administrateurs sont aussi énarques. Lorsqu’on pondère cette moyenne par la taille des sociétés, on arrive même à 31%. Ce qui signifie que la cooptation des énarques entre eux est d’autant plus grande que l’entreprise est importante. Guère étonnant vu que les mastodontes français sont pour beaucoup des constructions de l’Etat.
Plus intéressant, même s’il existe une forme de cooptation parmi les polytechniciens n’étant pas passé par la « case haut fonctionnaire », elle est beaucoup moins forte que celle des polytechniciens du public. En effet, la part des polytechniciens et énarques est de 37% dans les sociétés dirigées par un polytechnicien fonctionnaire (comprendre « ayant été fonctionnaire »), contre 24% pour les polytechniciens du privé.
Au-delà des pourcentages bruts, notez aussi les écarts. Par exemple, dans une société dirigée ni par un énarque ni par un polytechnicien, seuls 2% des administrateurs et directeurs sont des polytechniciens fonctionnaires. Un chiffre qui passe à 12% lorsque la société est dirigée par un polytechnicien fonctionnaire. Soit une multiplication par 6 en comparaison de la norme sans cooptation. Pour les polytechniciens du privé, ce multiple de cooptation n’est que de 2 (et à la limite pourrait s’expliquer par le secteur d’activité de l’entreprise plutôt que par la cooptation).
Le tableau suivant présente les coefficients de régression qui permettent de prédire l’origine desnouveaux directeurs/administrateurs en fonction de l’origine du PDG. Ainsi, le fait que le PDG soit un polytechnicien fonctionnaire augmente de 23 points de pourcentage la probabilité que les nouveaux administrateurs soient polytechniciens fonctionnaires. Cet effet n’est que de 5 points parmi les polytechniciens n’ayant jamais été fonctionnaires.
Enfin l’étude montre que ces réseaux permettent de réduire la probabilité de licenciement du PDG en cas de mauvaise performance de l’entreprise.
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Source : Kramarz, Francis & Thesmar, David (2012). « Social Networks in the Boardroom, » Journal of the European Economic Association
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