Ce que constate Les Echos, c’est que les prix de l’immobilier de l’Allemagne sont restés stables ces dix dernières années, là où ceux de la France ont plus que doublé. Et de conclure que si les salaires des Allemands ont pu être modérés sur la dernière décennie, c’est parce que la modération du prix de l’immobilier n’a pas mis la pression sur les salaires.
Cette explication laisse sceptique. D’abord elle suppose un marché du travail en grande forme, sur lequel les salariés sont en position de force pour que le coût du logement soit répercuté sur les entreprises. Or, alors que l’indice des prix du logement a, d’après le graphique des Echos, doublé, on a du mal à voir un tel suivi dans les salaires, qui de leur côté n’ont pas progressé beaucoup plus rapidement que l’inflation ces dix dernières années.
Généralement, les économistes considèrent que le coût de la vie se répercute sur les salaires. Cela vient du fait que le pouvoir d’achat procuré par le travail décroissant, il devient moins intéressant de travailler, et les salariés décident de travailler moins quitte à consommer moins. Cela s’appelle l’ « effet substitution ». Cet effet, en raréfiant l’offre de travail, provoque l’appréciation des salaires.
Mais l’immobilier n’est pas un bien comme les autres. Il est nécessaire. On n’y renonce pas parce qu’il est trop cher. Dans ce cas, la baisse de pouvoir d’achat provoque ce que les économistes appellent un « effet revenu », par lequel la baisse du pouvoir d’achat du salaire se traduit par une hausse de la quantité de travail offerte, afin que la baisse du salaire n’égratigne pas trop la consommation. Auquel cas, l’offre de travail augmentant, l’effet revenu devrait provoquer non pas la hausse mais la baisse des salaires, car le travail devient plus indispensable au travailleur. L’implication selon laquelle la hausse du prix du logement mène à une appréciation des salaires est donc totalement renversable.
Bref, l’existence d’un effet du prix du logement sur les salaires est loin d’être évident, ni même son sens.
Ce qui est certain, c’est qu’il existe une corrélation entre le déficit commercial et la hausse des prix de l’immobilier. Et il ne s’agit pas d’une découverte de Bercy. Le graphique qui suit (source) en donne un aperçu assez clair sur la période qui a précédé l’éclatement de la bulle immobilière américaine. La corrélation est même assez impressionnante pour deux choses qui paraissent au quidam relativement sans rapport.
Plus la balance courante (dont la balance commerciale est la principale composante) est déficitaire, et plus les prix de son immobilier s’apprécient. Expliquer cette observation est beaucoup plus complexe que ne le laisse entendre le ministère de l’économie.
Pour comprendre ce phénomène, il faut d’abord comprendre comment sont liés le déficit commercial, l’épargne et les investissements. En prenant l’exemple France/Allemagne, je vous avais déjà expliqué la relation comptable suivante :
Déficit Commercial = Investissement – Epargne
Je vous renvoie à mon précédent billet pour l’explication
Cela signifie, d’une autre manière, que le déficit commercial a comme contrepartie un crédit octroyé par le reste du monde à la nation commercialement déficitaire, c’est-à-dire une entrée de capitaux étrangers. Déficit commercial et entrée de capitaux étrangers sont indissociables, l’un nécessitant l’autre. Dans l’équation, la relation entre le déficit commercial et l’immobilier apparaît dans le compte des investissements, qui inclut les investissements immobiliers.
Dans la mesure où l’on suppose l’existence d’une réelle causalité entre les prix de l’immobilier et le déficit commercial, les explications moins fantaisistes que celles du ministère sont les suivantes.
- L’appréciation des prix de l’immobilier crée un besoin d’épargne étrangère, et donc cause nécessairement un déficit commercial. En effet, lorsque les ménages voient s’apprécier la valeur de leur patrimoine, ils peuvent en déduire une plus grande capacité de consommation, et donc d’importations. Symétriquement, la valeur du patrimoine permet aux banques une plus grande offre de crédit, qui peut requérir le recours à l’épargne étrangère. C’est alors la valeur du patrimoine qui modifie les comportements d’épargne et de consommation nationales. Le mécanisme par lequel la valeur de l’immobilier génère le déficit courant n’a donc aucun rapport avec les salaires ou le coût du travail. Reste à savoir, dans ce cas, ce qui crée initialement la hausse des prix de l’immobilier. Dans cette explication, la raison de l’appréciation des prix de l’immobilier devient centrale dans l’interprétation du déficit courant, ce qui pose des questions sur le marché du crédit et la politique monétaire, en général sources des bulles immobilières.
- La causalité inverse est que l’incapacité à exporter des biens nous force à payer les importations à crédit, ce qui crée un afflux de capitaux. Mais si le capital trouve peu d’intérêt à se placer dans l’investissement des entreprises domestiques, il va se déverser sur l’immobilier et en provoque l’appréciation.