Gilles Lerat
(Accéder à la liste de tous mes articles)
Ingénieur de formation, j’ai sauté dans le bain de la création d’entreprises dès ma sortie de l’école. Je me suis spécialisé dans la sécurité informatique. Après avoir revendu ma société à un groupe informatique, je me suis dirigé vers le cinéma, ce qui n’est peut-être pas la meilleure option, compte tenu de l’environnement économique actuel.
Je suis à la fois émerveillé en permanence par les prouesses technologiques actuelles et extrêmement inquiet des défis qui nous attendent sur les plans énergétiques, économiques, et surtout sur le plan démographique.
Entreprendre dans le milieu du cinéma - Conclusion et perspectives
Audience de l'article : 3843 lecturesConclusions et perspectives.
Je vais essayer de me livrer à un exercice de prospective (comme chacun sait, la prédiction est un art difficile, surtout en ce qui concerne l’avenir) sur les services de cinéma.
Cette prospective s’appuiera un peu sur la tribune de Vincent Maraval, l’un des patrons de Wild Bunch, et une des personnes qui comptent dans ce milieu. Son « coup de gueule » paru dans le monde avait fait grand bruit à l’époque, notamment parce qu’il avait eu le courage de mettre nommément en cause des acteurs et actrices. Certains des intéressés l’avaient d’ailleurs accusé de « cracher dans la soupe ».
Mais surtout, je voudrais mettre en parallèle l’industrie du cinéma actuelle, et le nécessaire ralentissement induit par la crise mondiale à venir qui va nous (re)tomber sur la figure sous 5 ans (et plutôt avant).
La plupart des prospectivistes essaient simplement de tirer des lignes à partir des tendances de fonds actuelles. Moi, je pense que l’on va vers une grosse ligne de rupture, surtout en France où le niveau de subvention ne pourra tout simplement pas continuer…
Commençons par une bonne nouvelle : le cinéma, tout comme le théatre, sera toujours actif d’ici quelques années. Le système dans son ensemble a besoin de se fabriquer des stars, de les mettre en avant, et d’entretenir tout le « show business ».
Du côté des spectateurs, le cinéma reste un divertissement social, quelque chose que l’on va voir le plus souvent en groupe ou en couple. Et c’est encore l’une des sorties les moins chères, en particulier quand on la compare à l’opéra, au théatre, aux concerts ou autres sorties du style bowling. Le cinéma entretient le lien social : c’est un sujet de discussion entre amis, ou dans la famille.
Et puis, avec la crise, il faudra occuper les gens, les faire rire, rêver, les empêcher de se révolter contre le système.
Donc, le cinéma restera une industrie, presque stratégique, si j’ose dire.
Par contre, il va y avoir de la casse, notamment en France. A tous les niveaux, et surtout du côté de la distribution.
La production.
Pour les jeunes sociétés de production, le futur en France me semble nécessairement « low cost ».
Bien sûr, il y aura des exceptions.
Ceci dit, chaque gros projet représente un tel risque financier qu’il ne pourra être entrepris que par des sociétés bien établies.
Or, le modèle français, sous perfusion des subventions, n’est pas vraiment conçu pour fonctionner sur une échelle mondiale.
Les subventions issues du cinéma, des régions et des fonds européens vont devoir se réduire de manière drastique : pas forcément maintenant, mais dans un horizon de 5 à 10 ans, au fur et à mesure que la crise va s’intensifier.
Demandez aux grecs comment évolue la production cinématographique dans leur pays.
Et puis, quand l’Etat on aura marre de recaver Groupama, il demandera sûrement à "Cerise" de lever le pied sur les présentations du dimanche soir à la télévision. En tout cas, c’est ce que je crois.
On va donc voir s’élargir la faille déjà béante entre les superproductions et les productions à coût très réduit.
Le nombre de films produits pour le cinéma va diminuer, et on va assister en revanche à une explosion du nombre de films produits exclusivement pour la télévision, le Web ou pour la VaD.
Etant donné que les subventions vont se réduire et que les coûts ne suivront pas forcément, les sociétés de production seront forcées de se tourner de plus en plus vers le monde des entreprises.
Les chaines de télévision qui font encore la pluie et le beau temps dans le monde de la production ne seront pas en mesure de continuer à déverser autant d’argent. Les montants investis diminueront au fur et à mesure que leurs recettes publicitaires se rétréciront.
Parmi ces entreprises sollicitées, les plus intéressantes seront probablement les mousquetaires que constituent Amazon, Facebook, Apple et Google, auxquels se joindront peut-être Microsoft et Netflix, voire d’autres.
Comme indiqué précédemment, dans un proche futur, Amazon, Apple et Google sont vraiment les sociétés qui ont le plus vocation à s’imposer sur le marché du contenu, et à créer une « place de marché structurée » autour des films.
Apple mise énormément sur le cinéma via son offre iTunes.
Amazon a fait des efforts significatifs via son service Lovefilms.
Google est très actif sur son écosystème Google Play, même s’ils n’ont pas encore, à ma connaissance, lancé d’offres spécifiques pour les producteurs.
Facebook s’est déjà associé à la Warner et à Miramax (filiale de Disney) entre autres pour promouvoir la location de films sur sa plateforme.
Enfin, il faut signaler la présence d’acteurs un peu plus marginaux (si l’on peut dire), tels que Dailymotion (groupe Orange) et autres, même si ces acteurs n’ont pas encore l’ampleur de ceux cités précédemment.
Netflix est l’un d’entre eux, et ils sont très attentifs à ne pas connaître le même sort que BlockBuster, l’ancienne star de la location de films.
La société vient d'ailleurs d'annoncer des résultats exceptionnels, et envisage de renforcer son implantation à l'internationale. Il sera l'un des acteurs de poids de la vidéo à la demande.
Je ne serais pas surpris de voir dans un avenir proche, Amazon produire des films en échange de la possibilité exclusive de vendre des billets dans les salles qui diffusent ce film (plus des parts de co-producteur, bien entendu). Evidemment, la France s’opposera à cette intrusion du géant américain au nom de la défense culturelle… avant de rentrer dans le rang, sous l’aimable pression des lobbies appropriés.
Face à la baisse de l’argent disponible et à l’augmentation prévisible du nombre de sociétés de production, le facteur différenciant, le scénario, va prendre d’autant plus d’importance.
Pour les sociétés de productions axées sur le low cost, le scénario sera l’un des piliers de la valeur ajoutée, et je crois à la création de sociétés spécialisées dans l’incrustation intelligente de produits publicitaires à l’intérieur des films.
Enfin, sujet un peu annêxe : je crois que le métier de star ne sera plus aussi rémunérateur qu’il l’a été. C’est déjà le cas à Hollywood et cela va prendre une ampleur incroyable. Le système américain ne pourra « supporter » qu’une dizaine de méga-stars qui portent un film sur le nom. Les autres acteurs et actrices devront se contenter d’un salaire raisonnable ou ajouter d’autres cordes à leur arc (ils le font déjà).
La distribution.
Le métier de la distribution est excessivement difficile, et il va le rester, sauf encore une pour les très gros films à vocation de blockbusters dont la distribution sera majoritairement l’apanage des studios eux-mêmes via leurs filiales françaises.
J’observe que de plus en plus, la distinction entre production et distribution s’estompe. Les sociétés de distribution comme le Pacte ne s’engagent en distribution que sur des projets sur lesquelles elles sont impliquées dès la conception.
Par ailleurs, devant la difficulté à trouver un distributeur, les sociétés de production se lancent souvent seules dans le métier de la distribution, ne serait-ce que pour avoir une chance d’obtenir leur film en salles.
Le métier de distributeur est à la fois le plus risqué, potentiellement le moins rémunérateur, et en même temps le moins glamour de toute la chaîne. Il est normal qu’il évolue fortement dans les années à venir.
Le métier de vendeur international de droits va aussi évoluer rapidement : il est moins risqué, et potentiellement plus rémunérateur que celui de distributeur lié à un territoire.
L’exploitation.
L’exploitation va continuer à bien se tenir pour les multiplexes et à être très difficile pour les autres.
Beaucoup de petites salles de cinémas vont se fermer quand les subventions ne seront plus là…
Le point essentiel ici est que les gens sont saturés d’images, de distractions,…
Ils ne vont venir voir un film que si celui-ci remplit sa promesse sociale : les faire rire ensemble, les émouvoir ensemble, ou bien leur fournir un sujet d’échange autour de la machine à café.
Malheureusement, l’exploitation est bien évidemment liée à l’emplacement, et en France, la plupart des emplacements intéressants sont déjà pris. Paris est quadrillé. Je ne pense pas que ce secteur soit celui qui voit éclore le plus d’entreprises prometteuses à l’avenir.
Les autres métiers d’avenir.
Il va y avoir heureusement quelques métiers numériques qui vont se développer autour du cinéma pour :
Ø Faciliter l’éclosion et la maturation de scénarios intelligents.
Ø Faciliter le rapprochement entre les entreprises de grande consommation et la production de films.
Ø Faciliter le financement. Le succès où l’échec de ces entreprises dépendra du succès des œuvres ainsi financées. La plupart des solutions de financement participatif concernent des particuliers, mais il me semble qu’il y pourrait y en avoir d’autres, plus rémunératrices, qui ne s’intéresseraient qu’aux entreprises.
Ø Faciliter le travail de préparation en amont du film (au niveau de la préparation du film).
Ø Faciliter le travail marketing en aval de la production du film : visualiser l’intérêt que suscite un film en particulier sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook, Google+,…) et les forums de discussion, générer le « buzz ».
Ø Développer l’interactivité entre le spectateur en salles et sur Internet, personnaliser au maximum l’expérience cinéma en fonction de chaque personne, et la prolonger sur Internet.
Vous l’aurez sans doute compris, c’est surtout à ce niveau, c’est-à-dire à celui des innovations liées au Web que je m’intéresse de plus près.