Dès son évocation, on savait que le rapport ne ferait pas de vieux os. La couverture de l’épais fascicule était déjà marquée du poids de l’une des armoires qu’il avait déjà commencé à caler, et qu’il irait retrouver bien vite une fois sa présentation à la presse (plusieurs fois repoussée) terminée.
C’était couru d’avance. Quelques informations avaient filtré, notamment dans un Figaro tout ragaillardi d’avoir trouvé des éléments croustillants à jeter en pâture à ses lecteurs, le temps que le gouvernement fasse quelques grimaces et prenne ses distances d’un ensemble de propositions parfaitement blasphématoires.
Il faut dire que le petit Louis n’y est pas allé de main morte ! Il propose ainsi sans vergogne de baisser les charges salariales et patronales de 30 milliards d’euros ! Bon, ok, c’est en trois ans. Du point de vue libéral et compte-tenu de la catastrophe qui s’annonce au niveau de l’emploi en France, c’est plus une gentille papouille qu’un choc, mais c’est déjà un début (en tout cas, c’est mieux que la dose de couenne fiscale que déversent actuellement Ayrault et la clique enragée du Moscovici à Bercy-Les-Paniers-Percés). Et pour financer cette baisse de cotisations de 30 milliards, le brave Louis propose une diminution qu’il dit « massive » des dépenses publiques, présentée comme bien plus importante que celle de 10 milliards envisagée dans le projet de loi de finances actuellement discuté au Parlement. Du reste, ce ne sera pas dur si l’on se remémore le fait que cette baisse de 10 milliards … est en réalité une hausse de 1 milliard.
Baisse drastique des charges compensée par une baisse drastique des dépenses publiques ? Lorsque les bruits de couloirs se sont confirmés et que les rumeurs sont parvenues aux oreilles de tous les fonctionnaires concernés, tous les muscles du mammouth administratif et gouvernemental se sont tendus d’un seul coup – poing ! – comme sous l’effet d’un tétanos fulgurant, et le rapport, à peine posé sur son dos, a donc sauté comme un bouchon de champagne à la fin d’un Tour de France des amphétamines.
Immédiatement, le ministre en sapin a posément expliqué que « Le rapport Gallois est un élément qui sera extrêmement sérieux mais ce n’est pas le seul point de vue qui compte », sous-entendu qu’un tel point de vue comptait d’autant moins qu’il allait sabrer une partie de l’électorat de la gauche. On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde et donc pas de l’électorat avec les élus dont la sinécure dépend qu’il soit bien brossé dans le sens du poil. Pour le ministre du travail, l’oubli d’un tel rapport sera donc rapide et sans remords.
Quant à son minustre de tutelle, Moscovinividivici, il n’a pas hésité à qualifier l’ensemble du projet Gallois avec la précision glaciale d’un neurochirurgien décrivant une belle lobotomie : « Le pouvoir d’achat, c’est très important, mais nous ne voulons pas de réforme qui, dans un contexte difficile pour le pouvoir d’achat, brutalise la société française » Pensez donc : diminuer les dépenses de l’Etat, favoriser les entreprises, redonner du pouvoir d’achat, c’est, à l’évidence, « brutaliser » la société française. L’aveu caché ici est que l’Etat, c’est la société française, toute la société française. Le parasite est devenu si gros qu’il ne voit plus son hôte, caché sous les plis gluants et omniprésents de sa ventripotente importance. Accessoirement, je pense que si on demandait vraiment aux Français, ils aimeraient vraiment bien être « brutalisés » de la sorte.
(Evidemment, cette "brutalisation" se transformerait rapidement en déroute pour les socialistes de droite et de gauche, en baisse drastique des émoluments de toute cette brochette de saprophytes gouvernementaux, et pour le coup, eux se sentiraient largement brutalisés. Comme je le notais il y a quelques mois, cela ferait 7000 malheureux mais 65 millions d'heureux.)
Même les penseurs piposophes comme Jacques Attali, célèbre sur ce blog pour nous avoir offert de nombreuses séances hilarantes d’abdominaux gratuites, ont pu jeter leur pelletée de terre sur le travail de Gallois : « La compétitivité ne se réduit pas à la baisse des charges sociales mais c’est l’innovation, la recherche, le goût du risque ». Goût du risque et de l’innovation que ce gouvernement (et les précédents) auront mis un point d’honneur à fusiller méthodiquement avec la mise en place d’une fiscalité ahurissante, d’un principe de précaution étanche à toute praticité réelle, à une culture de la connivence état/entreprise telle qu’il devient maintenant impossible d’envisager plus que l’artisanat ou l’expatriation voire la fuite si l’on a une idée brillante, … Du reste, Attali qui critique le rapport Gallois, c’est l’alcoolique en pleine crise de delirium tremens qui reproche son addiction à l’héroïnomane ; après tout, le brave Jacques a déjà montré qu’il ne faisait pas mieux que les autres en matière de rapports, les siens ayant été aussi bien enterrés que celui de Gallois.
Oui, on peut le dire : ce rapport Gallois, en se concentrant ainsi sur des leviers réalistes et sur des postes crédibles, ne pouvait pas être accepté par une intelligentsia qui comprend là que son avenir (financier) est directement en jeu. De tout ce fatras et de cet enterrement rapide, discret et de seconde classe par un gouvernement et un chef de l’Etat parfaitement minables, on retient surtout que toute la caste politicienne, qui a le plus à perdre de quelque changement que ce soit, s’est dressée pour l’oublier, lui propulsant moult armoires qu’il servira à caler dans l’une des caves humides de Bercy où l’on enferme le dissident fiscal occasionnel.
Sans surprise donc, la question la plus pertinente ne vient pas des politiciens ou des piposophes, mais bien d’un patron d’industrie, un petit gars confronté au réel, de l’autre côté du miroir fiscal dans lequel se mirent sans fin des élus sous hallucination permanente. C’est Carlos Goshn, le patron de Renault, qui exprime ainsi son soutien à Gallois :
« Si nous voulons créer des emplois et si nous voulons que l’industrie n’émigre pas de manière massive hors de France, nous avons besoin de réduire les charges qui pèsent sur le travail. Il faut traiter ce problème, on n’a pas besoin d’un rapport de plus. »Oui, Carlos, bonne remarque : un nouveau rapport est-il utile alors que ceux qui ont été confrontés au monde de l’entreprise savent ce qu’il faut faire pour redresser ce pays ? Est-ce utile si c’est, devant le sacrilège des propositions, pour l’enterrer aussi sec ?
Et surtout, est-ce utile alors que tout montre, de façon évidente, que le pays ne donnera aucun coup de volant avant de taper dans le mur ?