Dit comme ça, certains m’accuseront d’exagérer (comme si c’était le genre de la maison, vraiment !). Pourtant, la réalité est encore plus invraisemblable. Elle est rapportée par le journal l’Opinion qui est récemment tombé sur la pépite pondue par le CSA pour en faire un article, mi-consterné, mi-halluciné.
On le serait à moins : alors que la campagne va officiellement rentrer dans son côté pointilleux puisque les temps de parole seront, à partir de lundi, scrupuleusement comptés pour chacun des onze
Que voulez-vous, au Pays Des Droits de l’Homme, la liberté d’expression est millimétrée et la licence artistique ou le matériel de propagande électorale doivent méticuleusement respecter l’imprimatur du régime administratif officiel dans lequel baigne tout le pays (avec un délice étrange à la limite du syndrome de Stockholm). Et pour ce faire, le CSA entend bien définir ce qui est permis de ce qui ne l’est pas. Or, dans son article 9 (ah, ce parfum délicieux de légalisme léger !), le CSA pose l’interdiction dans ces clips de « faire apparaître tout emblème national ou européen », ainsi que proscrire tout hymne national.
Certes, la consigne existait mollement pour les précédents scrutins, mais le Conseil avait admis certaines latitudes qu’il entend bien ne plus conserver dorénavant. Si, jadis, on pouvait imaginer quelques images du drapeau tricolore flottant sur fond de ciel bleu et de Marseillaise, il n’en sera plus ainsi. Pour le CSA, utiliser ces marqueurs pourtant relativement normaux (pour ne pas dire bateau) dans un clip de campagne d’une élection nationale, ce serait prendre le risque que certains candidats « misent sur un nationalisme délirant » ; plus précisément, cette interdiction vise surtout à éviter que ces drapeaux (et cet hymne) soient « maltraités ou utilisés de manière négative ».
Diable. Fichtre. Palsembleu.
Nous sommes en France, au XXIème siècle, qui a apparemment rendu complètement les armes devant le politiquement correct et les lubies mentales de contrôle de la population d’une partie des « élites » zélées en charge de la pénible bureaucratie française.
À la découverte de cette information, l’esprit est pris de cette stupeur qui bloque ceux qui ont encore au moins deux doigts de lucidité. Devant l’avalanche de WTF épais et gluant qui déferle à l’occasion d’une telle décision, il devient immédiatement difficile de savoir par où commencer.
Comment ne pas voir l’atteinte liberticide invraisemblable et parfaitement disproportionnée posée par ce Conseil dont une dissolution dans l’acide sulfurique décamolaire impacterait favorablement le paysage audiovisuel français ? Comment ne pas voir que ce Conseil vient, avec la souplesse et la prestance des cuistres les plus dodus, de décréter ce qu’un clip de campagne devait ou pas contenir, privant ainsi les électeurs de la vision exacte des candidats qui se retrouvent, de façon indubitable, cantonnés dans l’expression de leurs idées ?
Et si on admet (ce qui est une erreur de raisonnement) qu’on puisse imposer des règles particulièrement contraignantes lors de l’exercice le plus spécifique du droit d’expression démocratique (puisqu’il s’agit d’une élection, celle du président, rien moins) comment ne pas être un minimum outré devant le choix des contraintes ? Tant qu’on y est, pourquoi ne pas interdire une couleur en particulier (le brun, au hasard ?), voire des angles de prise de vue (« pas de panos, coco, on veut des plans serrés, exclusivement ») ou au contraire, imposer un style musical tant qu’on y est ? (Ça aurait du chien : cette année, le CSA impose du zouk pour tous les candidats).
D’autre part, il est tout aussi difficile de refréner un petit réflexe glutéal lorsqu’on lit les raisons invoquées pour justifier ce nouveau trait de génie chez notre Haute Administration Télévisuelle.
Qualifier l’apparition d’un ou de plusieurs drapeaux tricolores ou européens dans un clip de campagne de « nationalisme délirant », c’est proprement… délirant : si ce n’est pas dans un clip de campagne pour un candidat à la présidentielle qu’on peut voir apparaître un drapeau, on se demande exactement quand on le peut sans sombrer dans un « nationalisme délirant », d’ailleurs surtout pas défini par le Conseil.
Et ce problème de définition floue se retrouve de la même façon lorsque le CSA entend prévenir toute utilisation contre nature de ces même drapeaux : alors que leur utilisation (leur existence même ?) est la preuve d’une tendance louche au « nationalisme délirant », leur non-utilisation est prônée pour éviter qu’ils soient « maltraités ou utilisés de manière négative ». Il faudrait savoir, à présent, si le risque est le plus fort que, pour un même drapeau, on tripote le nationalisme délirant par la face nord, ou qu’on le maltraite ou l’utilise de manière négative par la face sud, dans un « pile je gagne face tu perds » assez caractéristiques des excuses bidons pour fermer le clapet de ceux qui ne pensent pas comme il faut.
Car avec une telle définition floue (« manière négative », wtf ?), tout peut alors être interdit. On pourrait interdire fleur ou costume dans ces mêmes clips au motif qu’ils sont employés de « manière négative ». Après tout, lorsque Marine Le Pen utilise une rose bleue, c’est quasiment un clin d’œil à la fleur du Parti Officiellement Socialiste, détournement évident d’une symbolique pourtant si humaniste tagada et pleine de lutte sociale tsoin-tsoin ! Après tout, lorsque François Fillon enfile une veste, un soupçon de connivence, de corruption ou de dons indus plane immédiatement, n’est-ce pas ? Allez, zou, supprimons l’un et l’autre de ces clips de campagne : Marine devra se contenter d’un pot de chrysanthèmes (jaunes, pour ne froisser personne), et François pourra à la limite enfiler un petit pull jacquard, à condition qu’il bouloche et que ses manches soient un peu trop longues. La démocratie et la bonne tenue du Paysage Audiovisuel Franchouille sont à ce prix, mes enfants.
On peut, ou pas, être patriote. On peut, ou pas, trouver cette valeur désuète. Soit. Ces positions sont défendables. Mais en tout cas, en combattant ainsi l’expression de ce patriotisme, admis depuis des lustres, entré dans les mœurs et pour tout dire, franchement banal, en l’aspergeant de nationalisme avec un gros pinceau idéologique, le CSA ne fait qu’une seule et unique chose : exacerber le ressentiment à son égard et surtout, donner des arguments forts à tous ceux, nombreux, qui trouvent que trop d’institutions sont allées trop loin dans la lutte contre ce patriotisme au motif qu’il serait nationaliste.
Le CSA est un habitué de ces colonnes tant le ridicule répété de ses propositions défie l’entendement. Une fois encore, il se montre à la hauteur de sa réputation catastrophique et impose qu’on envisage, sérieusement, sa disparition pure et simple.