Concernant les auto-entrepreneurs, ce n’est évidemment pas nouveau puisque les différents aménagements budgétaires qui ont été mis en place depuis moins d’un an gomment peu à peu tous les avantages de ce statut pour le rapprocher de celui des indépendants. Et pour compléter le mouvement, le statut des indépendants est, à son tour, assommé de taxes et de cotisations sociales dont le calcul est rendu, à dessein, particulièrement complexe : lorsque le système est à ce point complexe que l’administration doit vous épauler pour que vous y compreniez quelque chose, vous devenez totalement dépendant de son bon vouloir, ce qui est fort pratique pour contrôler des professions qui se voulaient, au départ, indépendantes…
Et pour arriver à ce prodigieux résultat, l’État emploie l’arme du RSI.
Le RSI, c’est le Régime Social des Indépendants, autrement dit, la version « Indépendants » de la Sécurité Sociale, avec globalement les mêmes attributs que la sécurité sociale des salariés, en pire (oui, c’est possible) : une souplesse administrative parfaitement nulle et qui servirait d’étalon à la rigidité cadavérique s’il y en avait besoin et une opacité des comptes parfaitement en ligne avec l’ensemble des administrations françaises. Opacité d’ailleurs fort commode puisque l’argent de ce régime est ponctionné sur une population majoritairement composée de petits artisans et d’entrepreneurs unipersonnels, donc parfaitement captive et totalement incapable de trouver le temps de suivre, jour après jours, les obstacles administratifs qui leurs sont lancés dans les pattes. Cette capacité réduite de réaction des ponctionnés et des tondus offre toute latitude au RSI pour abonder (aussi discrètement qu’illégalement) aux autres régimes (notamment spéciaux), largement déficitaires et dont les craquements sourds commencent à se faire entendre.
Idéologiquement, on comprendra aussi pourquoi ce régime ne peut espérer aucune mansuétude du pouvoir. Par définition, il concerne des indépendants, c’est-à-dire, essentiellement, des gens qui se débrouillent très bien sans l’état et sans un tuteur. Pire : l’indépendant sait ce que lui coûte cette sécurité sociale obligatoire et mafieuse, ce service public aussi monopolistique que catastrophique, au contraire d’un salarié qui, finalement, ne voit jamais la couleur de ses cotisations (les multiples lignes de petits chiffres cryptiques sur les longues feuilles de salaires françaises ont beau faire halluciner tout étranger qui débarque dans le pays, la réalité est que personne ne prend le temps de les lire vraiment).
Si l’on ajoute que la masse des indépendants n’a pas la bonne idée de voter Socialiste, on comprend sans problème pourquoi l’artisanat est la première entreprise de France mais, de loin, la moins écoutée et, toujours de loin, la plus taxée.
On ne s’étonnera dès lors pas du tout de « découvrir » la dernière invention fiscale concernant les indépendants : en substance, le régime réintègre comme revenu du travail les dividendes du capital. Toute échappatoire aux cotisations sociales calculées à la grosse louche est impossible. C’est aussi ça, la magie des systèmes collectivistes Demaerd : ils sont tellement équitables, tellement justes et bien pensés que chacun fait tout ce qu’il peut pour les fuir (toute ressemblance à certains pays et certains murs n’a finalement rien de fortuit).
Bien évidemment, à ces extensions ininterrompues de l’assiette des cotisations, ponctions, taxes et perversions fiscales habituelles, il faut ajouter l’habituel incompétence crasse des personnels responsables de ces administrations dont l’ordre de mission n’est pas de détruire leurs assujettis seulement parce que cela ferait officiellement mauvais genre. Et c’est donc avec une pagaille complète et qui perdure depuis des années que les indépendants doivent composer. C’est le cas, par exemple, de Pascal Geay, plaquiste peintre indépendant, qui explique lui-même :
« J’ai reçu vingt-quatre appels à cotisation en un an, tous avec un montant différent, au lieu d’un par trimestre »À cette gestion comptable catastrophique s’ajoute une intendance déplorable de la relation clientèle, qui ne serait étonnante qu’en oubliant que pour cette administration, ceux qui payent ne sont pas — justement — des clients mais de simples cotisants, oscillant entre l’usagé et la vache à lait. Impossibilité d’avoir un interlocuteur au téléphone, accords verbaux non suivis d’effets, déclenchement intempestif de procédures contentieuses, l’habituelle panoplie des administrations déshumanisées dont la mission de service public s’est perdue entre la photocopieuse de l’étage 5 et la machine à café du lobby. Et on ne parle pas ici d’une petite pétouille qui touche l’un ou l’autre des cotisants mais bien d’une méthode générale de gestion qui englue un bon quart des victimes de ce régime foutraque.
Certains, j’en suis sûr, liront mes précédents paragraphes et s’écrieront, un tantinet outrés : il exagère, à l’évidence, et les problèmes rencontrés par les indépendants ne sont, finalement, que d’habituelles mésaventures dans un pays où la bureaucratie est un peu bedonnante ; mais tout le monde sait qu’en France, tout se termine en chanson. Pas de quoi, en définitive, s’alarmer…
Sauf que ce qui est constaté par les indépendants au travers de leur régime si mal géré est relaté ici sans exagération, et que ce n’est pas fortuit. Si l’impression qui se dégage est une volonté sournoise de détruire ce statut, ce n’est pas faux : c’est exactement le but recherché. Entendons-nous bien, il n’y a nul complot, nulle entente cachée pour obtenir ce résultat. Comme le dit un vieux proverbe anglais, il n’y a pas besoin d’expliquer par la malice ce qui peut l’être par l’incompétence. C’est cette incompétence et ce jmenfoutisme généralisé qui a été instillé par défaut dans ces administrations, avec une accélération depuis que le socialisme officiel est au pouvoir. Il n’y a pas besoin de s’occuper correctement de ces pourceaux : le petit entrepreneur et l’indépendant sont peu (ou pas du tout) mobilisables pour la politique au contraire du salarié, et certainement pas aussi corruptibles ou dodus, et prêts à graisser des pattes que le traditionnel patron de moyenne ou grande entreprise française pour qui l’arrangement avec le politicien du cru est un passage sinon obligé au moins très fréquent (rares sont les héros).
La tendance générale, en France, est bel et bien au mépris de l’initiative personnelle, à une haine sourde, contrôlée mais vivace, de ceux qui se détachent ou veulent se détacher de l’État, et une volonté tous les jours plus grande de contrôler les entreprises au plus près (la dernière proposition decontrôle fiscal a priori en est un exemple typique).
D’ailleurs, Hollande l’avait laissé entendre lorsqu’il avait dit qu’il n’aimait pas les riches. Certains s’étaient focalisés sur un rang de salaire. En réalité, le président Hollande n’aime pas les riches, mais il n’aime pas non plus les gens indépendants, libres d’esprits. Il est énarque, après tout. Et finalement, tout tombe bien : il n’aime pas les riches, et avec tout ce que lui et son gouvernement entreprennent contre eux, il n’y en aura bientôt plus aucun en France.
La France « RDA », c’est maintenant ?