Et pour des socialistes, c’est une vraie révolution que de considérer les patrons comme autre chose qu’une bande d’exploiteurs cupides. Pour parvenir à comprendre que le chef d’entreprise est, avant tout, un aventurier qui prend des risques et désire surtout créer, bâtir quelque chose de lui-même, il aura fallu toute la puissance d’une crise exceptionnelle qui aura obligé les ronds-de-cuir gouvernementaux à modérer vaguement leurs ardeurs vengeresses.
Moyennant quoi, ils peuvent maintenant, par le truchement de la ministre des PME, Fleur Pellerin, fanfaronner sur la grande nouveauté qu’ils viennent d’introduire dans la fiscalité française : la clémence. Eh oui : alors que, manifestement, les indicateurs défavorables ou franchement mauvais s’entassent, la technique qui vise à appliquer consciencieusement de vigoureux coups de pelle fiscale sur les nuques patronales a été jugée inadaptée pour conserver une saine ambiance studieuse et productive dans le pays. Dès lors, un petit changement de braquet plus tard, on s’aperçoit qu’il pourrait être utile de favoriser le retour à la vie normale des entrepreneurs qui faillissent.
La proposition est relativement simple et le câlin étatique homéopathiquement dosé : depuis ce lundi 9 septembre sont supprimés les fichages, par la Banque de France, des entrepreneurs dont la société a été liquidée (bien évidemment, cet effaçage ne concerne que les faillites non frauduleuses). Pour rappel, le fait de se faire ficher par la Banque de France entraîne, par la suite, de sérieuses difficultés pour obtenir un prêt bancaire.
Champagne, non ?
Pas si vite. Se réjouir ici serait oublier que le fichage, effacé des fichiers de la Banque de France, ne disparaîtra pas des banques commerciales françaises : ces bonnes habitudes ne se perdent pas si facilement et la méfiance de l’entrepreneur, la honte de l’échec et l’opprobre lié à la tentative faillie d’entreprendre ne s’effacent pas par la simple bonne volonté ou une petite circulaire ministérielle. L’état d’esprit français en la matière ne saurait se dissoudre en quelques jours.
Et puis surtout, un tel bonheur ne peut être le fait de l’État sans qu’il soit immédiatement contrebalancé pour des raisons évidentes de yin et de yang fiscal bien piquant. C’est probablement pour cela qu’on apprend — simultanément à la soudaine et intéressante décision de clémence de la ministre — que l’État lorgne franchement sur les caisses de retraite complémentaires des professions libérales. Profitant de l’actuelle réformette des retraites que le gouvernement tente de faire passer, millimètre par millimètre,l’État compte mettre la main sur les caisses de pension des professions libérales, jadis indépendantes et … bénéficiaires.
Ce n’est pas fortuit : depuis une trentaine d’années, ces professions libérales ont en effet consenti pas mal d’efforts en prévision de leur « papy-boom » et ont donc réussi à accumuler un assez joli magot. À l’heure où le régime général, perclus de dettes, doit généreusement abonder les régimes spéciaux, et où les perspectives sont indéniablement chaotiques, les 21 milliards amassés (eh oui, 21 milliards) représentent une aubaine pour l’État qui sait déjà qu’il va avoir bien du mal à boucler ses fins de mois dès les prochains trimestres.
Bien évidemment, certains me diront ici que j’exagère : tout au plus, l’État intervient-il pour aider à « rationaliser » la gestion de ces caisses parce que bon, parfois, tout ne se passe pas très bien. J’objecterai deux choses : d’une part, prétendre que l’État interviendrait pour « rationaliser » quoi que ce soit, lorsqu’on voit le résultat partout et uniformément catastrophique de son intervention et de ses rationalisations, c’est, proprement, se moquer du monde. D’autre part, le moquage de visage est encore plus évident lorsqu’on se rappelle que ce genre de cascade parfaitement inique n’est pas une nouveauté pour lui. Ce fut discret, ce ne fut commenté par à peu près personne, mais pourtant, fin 2010, l’État a déjà fait à peu près la même chose en pillant purement et simplement le Fonds de Réserve des Retraites, sous le silence compact (et coupable) de la presse qui n’en avait rien à foutre.
Oui, vous l’avez compris : d’un côté, l’État prétend aider à la reprise économique en donnant un petit ballon d’oxygène aux patrons qui ont fait faillite (au passage, on se demande pourquoi un tel fichage était en vigueur pour des faillites non frauduleuses, si ce n’est pour marquer au fer rouge les impudents créateurs d’entreprises qui osèrent se lancer dans l’aventure et se planter, les fats !) … De l’autre côté, le même État va proprement siphonner les fonds mis de côté par les professions les plus indépendantes, encourageant nettement ceux qui voulaient tenter l’aventure à bien réfléchir avant de se lancer.
Et le résultat, on le connaît déjà : bien sûr, il y a cette fuite des cerveaux dont on ne veut pas trop parler en haut lieu. Elle n’existe pas, ou si on l’évoque, c’est pour immédiatement dire qu’elle est exagérée par les médias, et que lorsque les nouveaux diplômés s’en vont, c’est pour ensuite revenir, plein d’usage et raison, dans leur patrie, youpi youpi, pour bénéficier de tous ces acquis sociaux
Et bien sûr, il y a cette fuite des capitaux, joyeuse et pleine de vigueur : on apprend, de différentes sources (mais essentiellement, c’est la douane qui a lâché le morceau) que les fuites d’argent liquide de la France vers l’étranger auraient explosé de 500% en un an, dépassant les 103 millions d’euros depuis le début de l’année. Mais rassurez-vous ! Ceci n’existe pas, n’est pas vrai, c’est exagéré et de toute façon, on l’a dit, on le redit et Moscovici s’en réjouit : des milliers de dossiers de régularisation fiscale seraient actuellement en cours d’instruction, selon Cazeneuve. Ce n’est pas contradictoire. Meuh non. Et le fait que certains experts fiscaux remettent formellement en doute les chiffres de Bercy à ce sujet est sans importance…
…
Le président Hollande, que le monde entier nous envie, et son gouvernement Ayrault, que le monde entier nous jalouse, l’ont bien compris : pour bien continuer comme si de rien n’était, rien ne vaut la distribution parcimonieuse de petites douceurs et la diffusion industrielle de grosses claques fiscales. Peu importe que les riches fuient. Peu importe que les cerveaux s’en aillent. Peu importe que les travailleurs ferment boutique et tentent leur chance ailleurs car au final, ce sont les meilleurs qui restent : les plus serviles, les plus dociles, les moins mobiles, les plus embrigadés.
Ce pays est foutu.