Et pour une fois, les bonnes intentions ministérielles ont été devancées par une initiative du gouvernement précédent que j’avais déjà évoquée dans ces colonnes. Eh oui, rappelez-vous « Faire Simple », le site officiel du Gouvernemaman laissé en pâture aux internautes facétieux pour qu’ils puissent proposer quelques truculentes (mais pas trop, hein) idées de simplifications à mettre en place !
Grâce à ce site, quelques personnes dans les cabinets ministériels ont une idée, vague, de ce que « simplifier » pourrait vouloir dire, puisque des douzaines d’internautes leur ont fait part de leurs bouillantes propositions. Rassurez-vous : seules les plus consensuelles seront prises en compte dans la phase II, qui consiste après la phase I de collecte des gémissements, à oublier les réformes possibles les plus audacieuses et qui donneraient le plus de chance d’aboutir à un résultat concret pour se concentrer sur les bricolages administratifs dont l’amélioration marginale pourra sans problème passer inaperçue auprès du contribuable mais faire l’objet d’un rutilant article en quadrichromie dans la gazette locale de tous les conseils régionaux ou généraux du pays.
Pendant ce temps, les lois, décrets et règlements continuent de s’empiler à un rythme rarement aussi soutenu, au point que même un gros dilettante comme Bartolone frise le burn-out. Que voulez-vous, pour que la simplification s’insinue partout, il faut ce qu’il faut et ce ne sont pas quelques centaines de pages de plus aux multiples codes que les Français doivent connaître qui empêcheront les députés de simplifier à tour de bras, non mais ! Au bilan, cette furieuse simplification qui grignote du chaton dès potron-minet touche maintenant tous les domaines, même ceux où on l’attendrait le moins.
Prenez l’environnement. C’est pourtant déjà relativement simple, puisque l’environnement, par définition, c’est simplement tout ce qui est autour, et qui est composé, pour environ 53.7%, de petits oiseaux qui gazouillent, d’air pur (± des particules fines de 10 microns) et de 34.8% de campagne avec des arbres en bois, de la prairie qui verdoie, de la route qui poudroie et un Agenda d’Accessibilité Programmée(Ad’AP) dont les vaches qui font « meuh ! » et les cochons qui font « grouik grouik ! » ne pouvaient apparemment pas se passer, tant il semble important, pour nos administrations, de le mettre en place. Grâce a cette nouvelle simplification administrative, tous les propriétaires ou exploitants d’établissements recevant du public (ERP) qui ne respecteraient pas les obligations d’accessibilités au 31 décembre 2014 (dans quelques jours, donc) devront remplir cette copieuse paperasserie pour montrer qu’ils s’engagent (financièrement et avec un calendrier palpable) à bien mettre leur établissement aux normes, en remplissant des Cerfas dont le nombre ne cesse de surprendre (ou presque, ceux-ci n’étant pas encore publiés, l’administration étant semble-t-il elle-même ensevelie sous sa propre paperasse et son habituelle indigence gestionnaire).
Vous n’y comprenez rien ? Vous ne voyez pas le fichu rapport entre le fait qu’on doive absolument mettre une rampe handicapé devant la boucherie de M. Sanzot et le Ministère de l’Environnement ? Vous ne voyez pas comment tout ce merdier apocalyptique de normes débiles, de contraintes administratives et de cerfas dodus va pouvoir se traduire à la fois comme une simplification de quoi que ce soit, et une relance, même vague, de l’activité économique en berne dans ce pays ?
C’est normal. C’est ça, la simplification administrative.
Et ne comptez pas sur le gouvernement pour abandonner devant l’ampleur de la tâche. Il y a du gigapain sur la mégaplanche, il le sait et il ira jusqu’au bout (tant pis pour vous). C’est ainsi qu’il a déjà commencé à insinuer cette simplification dans tous les interstices, toutes les craquelures ou les fissures des murs bétonnés de l’administration en proposant des améliorations palpables de leurs relations avec les administrés. Par exemple, et cela a fait plusieurs copieux articles de presse, maintenant, le silence vaut acceptation ! Autrement dit, lorsqu’interrogée par vos soins, l’administration ne répond pas dans les délais, c’est qu’elle accepte votre proposition. Youpi. Enfin, disons, dans certains cas. Bien précis. Très minoritaires (un tiers environ). Et le délais est de deux mois. Enfin, normalement. Disons 4 mois. Ou 3. Ou 14 jours. Mais pas toujours. Parfois. Pour certains trucs dont la liste, disponible en PDF, entraîne la prise d’un abonnement chez Alka-Seltzer.
Ah ça, pour sûr, la simplification administrative, quand elle arrive en ville,
Vous avez noté que les parents cherchent (parfois désespérément) des crèches pour leurs bambins et la mairie, débordée (par la paperasserie ?) n’arrive plus à suivre ? Qu’à cela ne tienne, vous décidez d’en ouvrir une. Service local, création d’emploi, joie retrouvée des parents, bambins qui trottinent gaiement, tout le monde est content. Heureusement, la simplification administrative passe par là pour calmer un peu les ardeurs des uns et des autres parce que tout ce bonheur citoyen du vivre-ensemble câlin sans contrôle, c’est rapidement n’importe quoi. Quelques petites démarches plus tard (avec moult Cerfas, miam miam), et l’aventure s’arrête.
Vous avez une activité de pointe, dans un domaine extrêmement technique, qui demande réactivité, précision, et compréhension de la part des administrations ? Grâce à la simplification administrative, votre cauchemar quotidien devient un délicieux enfer de tortures chinoises, et voilà votre entreprise, de renommée internationale, qui se mange 1.000.000 d’euros par jour de retard, jours de retards que vous empilez avec lajoie et la bonne humeur évidente lorsqu’on roule sur l’or.
Comme si on avait besoin de créer de l’emploi au pays du Lait et du Miel en abondance. Pfft.
Oui, je sais, ces exemples (parmi des milliers d’autres) tendent à prouver que la simplification administrative a souvent poney, piscine, judo et cours de guitare. Et l’Agence Française pour les Investissements Internationaux, dans son « Tableau de bord de l’attractivité de la France » pour 2014, note pudiquement que la position de la France au sein des 14 pays de l’OCDE n’est pas exactement la meilleure en terme de complexité administrative et de pression fiscale, au point que cela pourrait créer un petit frein…
Mais tout de même.
Est-ce là une raison de rouspéter aussi ouvertement comme le font certains Français et tout particulièrement ceux qui se prennent cette simplification administrative de plein fouet, à savoir les petits patrons ? Est-ce bien nécessaire de défiler dans la rue alors que la situation du pays s’améliore visiblement, que les élus se battent tous les jours, à coups de lois, de décrets, de règlements, de procédures, d’amendements et de petits alinéas pour simplifier encore tout ça ? Est-il vraiment utile, les yeux déjà humides des larmes d’une colère sourde qui monte lentement chez ceux que l’espoir abandonne, de s’écrier – je cite :
« Nous sommes obligés de descendre dans la rue, car nous ne sommes pas entendus. Nous ne demandons pas d’argent au gouvernement, mais simplement d’abroger les nouvelles mesures impossibles à mettre en œuvre comme la pénibilité, le temps partiel 24h et l’information préalable des salariés en cas de cession. »Quoi, petits patrons, vous voulez qu’on abroge toutes ces belles idées, ces magnifiques avancées, ce progrès social en shrink-wrapped et palettes standardisées, au motif (qu’on sait fallacieux) qu’elle ne vous simplifieraient pas assez la vie ? Mais enfin, ce n’est pas possible, voyons !
La simplification est en marche : ne restez pas sur son passage. Ou vous serez écrasé.