Georges Kaplan
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Georges Kaplan ne s’appelle – de toute évidence – pas vraiment Georges Kaplan puisque Georges Kaplan est un leurre. Né en 1975 dans une grande ville du sud de la France qui fût autrefois prospère grâce à son port, Georges Kaplan a principalement quatre centres d’intérêts dans la vie : sa famille, la musique, les bateaux (à voile) et l’économie. Ceux qui le connaissent considèrent Georges Kaplan comme un « libéral chimiquement pur » qui pense pour l’essentiel s’inscrire dans la tradition de la pensée libérale classique française et celle de l’école autrichienne d’économie. Il gagne honnêtement sa vie sur les marchés financiers et passe le temps en publiant des articles sur son blog http://ordrespontane.blogspot.com/
Construction et vie de l'euro - un process de convergence puis de divergence
Audience de l'article : 2420 lecturesLe grand mouvement de convergence que vous observez de 1993 à 1997 est une conséquence directe de la construction de l’Union Européenne et de la création de l’euro [2]. Ce processus a commencé dès les premières négociations, s’est accéléré avec la signature du traité de Maastricht (février 1992), puis du Pacte de stabilité et de croissance (juin 1997) et a abouti à ce que, lorsque l’euro a été officiellement lancé en janvier 1999, l’écart entre les taux à dix ans italiens et leurs homologues allemands n’était plus que de 0,22% contre 6,28% quatre ans plus tôt. Durant les huit années qui vont suivre, c'est-à-dire jusqu’à fin 2007, les taux longs des États membres de la zone euro vont ainsi évoluer dans un étroit couloir ; l’écart le plus élevés sera observé entre le dix ans grecs et le bundallemand juste après qu’Athènes ait adopté l’euro et il ne sera que de 0,61%.
Ces écarts de taux, les financiers parlent de spreads, ont une signification économique très précise : ce sont des primes de risque. Si, en janvier 1993, l’État grec doit s’acquitter d’un taux d’intérêt moyen de 24,5% - soit 17,35% de plus que l’Allemagne – c’est qu’acheter de la dette publique grecque à l’époque, c’était un investissement pour le moins spéculatif : entre 1989 et 1993, avec un déficit budgétaire moyen de 13,6%, la dette publique hellène explosait de 69% à 110% du PIB et, le gouvernement d’Athènes disposant d’une planche à billets, l’inflation de la drachme tournait autour de 17% par an. Prêter à l’État grec, c’était donc extrêmement risqué et les seuls investisseurs qui s’y risquaient réclamaient un surcroît de rémunération en contrepartie du risque qu’ils acceptaient de prendre, un spread par rapport aux emprunts d’État allemands, une prime de risque.
La grande convergence
Or, au fur et à mesure que la création de la zone euro se concrétise, cette prime de risque va progressivement disparaître ; c'est-à-dire que les créanciers de nos États – compagnies d’assurance, fonds d’investissement, organismes de retraite, banques… [3] – vont considérer que le simple fait qu’un État adopte l’euro réduit considérablement le risque qu’ils prennent en lui prêtant de l’argent et donc, la prime qui y est associées. Il y a à cela au moins trois raisons :
La première, c’est que les différents traités qui ont ponctué la création de l’UE et l’avènement de l’euro imposent aux États qui les ont signés une discipline budgétaire stricte qui, si elle est bien respectée, offre à leurs créanciers une garantie supplémentaire quant à leur solidité financière. Par exemple, le traité de Maastricht préconisait un déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB et exigeait des États qui souhaitaient rejoindre la zone euro un endettement public inférieur à 60% du PIB. Dès lors, il était tout à fait rationnel de considérer qu’un État qui s’engageait à respecter ces contraintes devenait de facto un débiteur sûr.
Par ailleurs, la signature de ces traités a créé un aléa moral. C'est-à-dire que les créanciers des États membres de la zone euro ont supposé qu’en cas de difficultés financières d’un de ces derniers, les autres viendraient à son secours. Bien sûr, il n’y avait là aucune certitude – raison pour laquelle des États comme l’Italie ou l’Espagne ont continué à payer une petite prime de risque par rapport à l’Allemagne – mais il y avait, chez la plupart des investisseurs, une forte présomption. La suite des évènements, d’ailleurs, à prouvé qu’ils avaient raison.
Enfin, bien sûr, les ascendances teutonnes de la Banque Centrale Européenne laissaient présager d’une gestion rigoureuse de la monnaie unique et permettaient d’évacuer le risque d’un usage immodéré de la planche à euros. Les créanciers de l’État grec savaient pertinemment que les drachmes qu’on leur rembourserait cinq ans plus tard auraient perdu plus de la moitié de leur valeur ; avec l’euro, ce risque disparaissait – au moins en grande partie – et la prime de risque liée aux politiques inflationnistes avec.
La grande divergence
Or voilà qu’aujourd’hui, après la convergence des années 1990, nous assistons à la grande divergence. Depuis fin 2007, le charme est comme rompu et les taux des dettes souveraines se sont séparés en deux groupes : il y a ceux qui baissent – Allemagne, Autriche, Belgique, France, Pays-Bas… – et ceux qui s’envolent – pour faire court, les PIIGs. On entend dire beaucoup de choses sur cette fameuse « crise de l’euro » et sur l’éclatement de la zone qui devrait en être l’épilogue mais, arrêtez moi si je me trompe, il me semble que personne n’explique en quoi, précisément, la situation financières de ces États est liées à la fin de l’expérience monétaire européenne. Eh bien c’est très simple : la prime de risque est de retour.
Si vous observez les taux des obligations portugaises à dix ans aux alentours des 10%, ce n’est pas, contrairement à ce qu’on lit un peu partout que les marchés financiers « attaquent le Portugal » ; c’est que les créanciers du Portugal – au nombre desquels vous pourriez bien être sans le savoir – ont peur. Ils ont peur parce qu’ils savent pertinemment que la crise modifie les équilibres politiques de ces pays et que les classes politiques locales, trop lâches pour dire la vérité à leurs électeurs, préfèrent et de loin la fuite en avant qui consiste à accuser l’euro de leurs propres errements. Ils ont peur parce que plutôt que de remettre leurs finances publiques en ordre, ces gouvernements ou leurs successeurs pourraient bien être tentés de restaurer leurs monnaies nationales dans le seul et unique but de les dévaluer massivement dans la foulée. Ce que craignent les investisseurs c’est de ne pas être remboursés ou d’être remboursés en monnaies de singe ; ce qui revient au même.
C’est précisément cette situation que le traité de Maastricht, en limitant la dette et le déficit budgétaire des membres de la zone, cherchait à éviter. C’est précisément pour tenter de réduire cette prime de risque que Mario Draghi se propose de racheter les obligations de ces États au travers des fameuses Outright Monetary Transactions annoncées début septembre. C’est encore pour cette même raison que tout ce que Bruxelles compte de bureaucrates – à commencer par le président de la BCE lui-même – martèle à qui veut bien l’entendre que « l’euro est irréversible » et que « les craintes de dissolution de l’union monétaire sont infondées. » Mais ils auront beau fausser le thermomètre ou pratiquer la méthode Coué, la réalité ne changera pas pour autant : ce risque existe et, du point de vue de la plupart des investisseurs, il reste encore aujourd’hui beaucoup trop élevé [4].
La crise de l’euro, ce n’est que cela : une crise purement et exclusivement politique, la énième démonstration que les promesses, surtout quand elles sont émises par des États souverains, n’engagent que ceux qui les écoutent. Mais la grande ironie de l’histoire, c’est qu’au rythme où vont les choses en général et la planche à billet de M. Draghi en particulier, ce sont des pays comme l’Allemagne ou les Pays-Bas qui vont finir par nous envoyer paître et quitter la zone euro. Il ne nous restera alors plus qu’à lancer les rotatives à plein régime et à regarder la suite du film en espérant que pour la première fois de l’histoire de la monnaie, un miracle se produira.
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[1] L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Irlande, l’Italie, les Pays-Bas et la Portugal.
[2] La convergence tardive des taux grecs est due au fait qu’Athènes n’a rejoint la zone euro que deux ans après les autres (en janvier 2001).
[3] C'est-à-dire, indirectement, vous et moi.
[4] Sauf, peut être, pour l’Irlande et le Portugal qui, en demandant le soutient du fonds de stabilité financière européen, donnent quelques garanties en la matière.
1 Commentaire
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lundi, 05 novembre 2012 10:00
Posté par
Henri Dumas
Vraiment un excellent billet.
Simple, accessible à tous et limpide.
Bravo et merci.
Cordialement. H. Dumas