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Georges Kaplan

Georges Kaplan

Georges Kaplan ne s’appelle – de toute évidence – pas vraiment Georges Kaplan puisque Georges Kaplan est un leurre. Né en 1975 dans une grande ville du sud de la France qui fût autrefois prospère grâce à son port, Georges Kaplan a principalement quatre centres d’intérêts dans la vie : sa famille, la musique, les bateaux (à voile) et l’économie. Ceux qui le connaissent considèrent Georges Kaplan comme un « libéral chimiquement pur » qui pense pour l’essentiel s’inscrire dans la tradition de la pensée libérale classique française et celle de l’école autrichienne d’économie. Il gagne honnêtement sa vie sur les marchés financiers et passe le temps en publiant des articles sur son blog http://ordrespontane.blogspot.com/

Leçon de propagande appliquée

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Le dernier papier de Jérôme Leroy sur Causeur.fr est un véritable bijou. En 5 284 caractères, notre ami communiste résume si bien l’œuvre et le style de Naomi Klein qu’il en devient inutile d’acheter ses bouquins. Tout y est ; dans le fonds, bien sûr, mais aussi dans la forme : cet art subtil qui consiste à le suggérer sans l’écrire, à faire passer une idée sans jamais prêter le flanc à une contre-démonstration factuelle.

De Klein, Jérôme Leroy dégage les quatre idées centrales :

La première, c’est celle qui veut qu’Allende fût une sorte de héro populaire ; un président largement soutenu par le peuple chilien qui, nous suggère-t-on, était en passe de réussir une « expérience démocratique de transition vers le socialisme » avant que la junte de Pinochet ne vienne réprimer cette tentative dans un bain de sang.

La seconde, c’est la stratégie du choc elle-même. Une organisation secrète, à la solde du grand capital, domiciliée dans les murs de l’université de Chicago ou au sommet du mont Pèlerin aurait planifié et fait exécuter une stratégie qui consiste à créer des catastrophes pour imposer de force une dictature capitaliste et libérale – c’est lecapitalisme du désastre, la stratégie du néolibéralisme.

De là, troisième idée : le Chili, par l’intermédiaire de l’ignoble Milton Friedman et de ses Chicago boys fût la première expérience de ladite organisation : c’est eux qui ont renversé Allende avec l’aide de la CIA, c’est eux qui ont installé Augusto Pinochet au pouvoir et c’est encore eux qui l’y ont maintenu afin d’imposer leur programme par la force.

Quatrième et dernière idée, enfin : c’est ce même programme néolibéral qui a, par la suite, été appliqué partout dans le monde – en Argentine, avec le renversement du gouvernement d’Isabel Perón, en Angleterre par Thatcher et aux États-Unis par Reagan – et qui à l’origine de la terrible dégradation de nos conditions de vies depuis quatre décennies.

Dans les grandes lignes, nous sommes donc priés de retenir que cette organisation de propagandistes inféodés au grand capital a sciemment déclenché des catastrophes et soutenu les pires des dictateurs dans le seul but de pérenniser le capitalisme – les profits des capitalistes – aux dépens du plus grand nombre.

Bien sûr, rien de tout cela n’est écrit de manière vraiment explicite mais c’est ce que le lecteur peu averti, celui qui n’a aucune idée de l’état du Chili sous Allende, celui qui ne connait ni la société du mont Pèlerin, ni l’université de Chicago, ni les liens de cette dernière avec l’université catholique du Chili, celui qui n’a qu’une vague idée de la manière dont Pinochet est arrivé au pouvoir, celui qui, enfin, n’a du bilan économique et humain des quatre décennies écoulées qu’une vision biaisée ; c’est ce que, disais-je, le lecteur peu averti retiendra.

À ce corps central, Jérôme Leroy ajoute quelques idées périphériques mais intéressantes :

En premier lieu, l’idée selon laquelle « le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage. » Jérôme fait ici preuve d’une originalité certaine en l’attribuant à Marx ou, du moins, à son époque. C’est faux. Cette citation est en réalité parfaitement apocryphe et si l’on l’attribue habituellement à Jaurès, c’est qu’elle est une déformation des propos tenus par icelui à la Chambre des communes le 7 mars 1895 : « Toujours, a dit Jaurès, votre société violente et chaotique […] porte en elle la guerre comme une nuée dormante porte l’orage. »

Ce que Jaurès dénonce ici, c’est la « guerre économique » qui, selon lui, porte en elle le germe de la guerre à proprement parler. On ne saurait dire chose plus juste et effectivement, comme le note Jérôme Leroy, les deux guerres mondiales qui ont endeuillé notre humanité au XXe siècle sont, l’une comme l’autre, des conséquences directes du nationalisme économique : des politiques protectionnistes et des dévaluations compétitives, de la recherche d’autarcie et des guerres coloniales à laquelle elle a donné lieu. Ce genre de guerre, comme toutes les guerres, sont menées par des États.

Autre point intéressant : l’affirmation selon laquelle la bourgeoisie – et donc le patronat, donc les libéraux – des années 1930 disait « plutôt Hitler que le Front populaire » est, pour l’essentiel, un mythe savamment entretenu par le Parti communiste depuis la libération. Il en existe deux versions : Emmanuel Mounier évoque [1], sans doute de manière imagée, une « fraction de la bourgeoisie » qui aurait murmuré à mi-voix « Plutôt Hitler que Blum » [1] et « Plutôt Hitler que le Front populaire » qui, si l’on en croit César Depietri [2], aurait été imprimé « avant-guerre » dans Le Messin, un journal lorrain du Comité des forges (l’ancêtre de l’UIMM). À l’exception de ces deux-là, il n’existe absolument aucune source qui atteste que ce slogan ait eut une quelconque existence avant-guerre.

Il n’est pas ici question de nier qu’un certain nombre de patrons ont, à l’époque, pensé quelque chose de similaire mais en faire une généralité, un slogan de la « droite patronale », est un mensonge pur et simple ; un mensonge largement colporté par le Parti communiste et destiné à faire croire que le patronat n’a pas hésité à soutenir Hitler : ce qui, pour l’essentiel, est faux en plus d’être bien commode pour faire oublier le Pacte germano-soviétiques. Accessoirement, on notera aussi que Jérôme Leroy en profite pour assimiler habilement patronat et penseurs libéraux : ce qui permet d’instiller l’idée selon laquelle ces derniers auraient soutenu les nazis.

Notez, juste en passant, l’affirmation gratuite selon laquelle les Trente Glorieuses n’auraient pu exister sans intervention massive de l’État.

Notez aussi la référence à la fameuse « concurrence libre et non faussée », hypothèse de modélisation chez les néo-classiques devenue, sous la plume des auteurs anticapitalistes, une sorte de théorie dont la fausseté est d'autant plus facile à démontrer que personne ne dit le contraire.

Notez encore cette « ombre propice » qui est supposée cacher les agissements des membres de la société du mont Pèlerin alors que ceux-ci, justement, cherchaient par tous les moyens à faire parler d’eux.

Notez enfin, le procédé osé – mais sans doute efficace – qui consiste à donner le lien de cette fameuse lettre de Friedman à Pinochet : on prouve l’existence d’une relation épistolaire tout en pariant que personne n’ira la lire. Procédé osé, dis-je, parce que pour peu qu’on l’ai lue jusqu’au bout, on y découvre ce qu’est vraiment la « thérapie de choc » de Friedman.

Et pour finir, l’apothéose : non seulement la société secrète serait-elle à l’origine du coup d’État chilien de 1973, mais c’est aussi elle qui a déclenché la seconde guerre d’Irak pour s’offrir une « zone verte » ; c’est encore elle qui a déclenché la guerre des Malouines, c’est elle qui agite l’extrême-droite grecque par l’intermédiaire de la Troïka, c’est elle que servait Eltsine et ces oligarques et c’est encore elle qui a déclenché la guerre en Afghanistan pour mieux la privatiser.

C’est là, finalement, toute la force des Naomi Klein et des Jérôme Leroy : en une phrase, un mot, un slogan mille fois répété sans aucune démonstration, ils parviennent à installer une idée là où, pour démontrer la supercherie, il faudrait à ses contradicteurs écrire des livres entiers.

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[1] Emmanuel Mounier dans un article publié dans Esprit le 1er octobre 1938. 
[2] Le député PCF de la Moselle rapportait cette anecdote lors de la séance du 8 avril 1977.

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