On souhaiterait que, pour une fois, la communication officielle de Bercy soit aussi claire que le précédent paragraphe lorsqu’elle commence à nous entretenir du budget. Certes, le Français moyen se prendrait ainsi une belle paire de claque, mais elle serait peut-être salutaire. Comme cette éventualité ne sera jamais de mise, il faudra probablement attendre une accumulation considérable de frustrations, de mensonges et de misère pour réveiller un peuple groggy sous les pluies de coups fiscaux.
En attendant, nous avons donc droit à l’habituelle tisane journalistique censée faire passer le suppositoire à ailettes des bilans annuels et autres propositions de budget 2013 : youpi, on respire, « Le déficit budgétaire de la France respecte les 4,5% en 2012″comme on peut le lire sans vergogne. Et en tout petit juste en dessous, on apprend tout de même que, ah oui, au fait, « Le déficit public a néanmoins dérapé de près d’un milliard d’euros l’année dernière. » Une paille.
Lorsqu’on analyse, même rapidement, les raisons de ce léger dérapage (un milliard d’euros, tout de même), on comprend exactement l’ampleur du mépris dans lequel la classe politique tient le peuple français : en fait, le déficit était prévu à 86.2 milliards d’euros, et finalement, ce sera 87.2 milliards, mais rassurez-vous, ce dérapage ne provient pas des dépenses de l’État, qui ont été « strictement maîtrisées » selon le communiqué de la bande d’escrocs qui sévissent à Bercy (que fait la police ?).
Eh oui : 86.2 milliards de déficits prévu pour 87.2 milliards de déficits enregistrés pour de vrai, en dur, dans les compte, c’est ça, des dépenses « strictement maîtrisées ». Lorsqu’on gagne 300 milliards comme l’État français, cela veut dire que dépenser un tiers de plus fait donc partie de cette maîtrise du pilotage budgétaire que tant de pays nous envient. Je suppose que les dépenses mal maîtrisées, appelées pudiquement dérapage dans le jargon, placent probablement le déficit aux alentours de 150 milliards, et pour la malencontreuse sortie de route, je suppose que c’est un bon gros 300 milliards (c’est-à-dire, peu ou prou, lorsque l’État dépense strictement deux fois ce qu’il gagne).
Il serait exagéré de parler de consternation ici, puisque ce genre de petits calculs, bien que soigneusement évité par les journalistes et les politiciens, est fait de façon habituelle par les quelques libéraux lucides qui analysent, années après années, le champ de foire coloré qu’est devenue la gestion budgétaire à la française. Mais on ne peut s’empêcher de bondir lorsqu’on lit, toujours dans le même genre d’articles, que, je cite, les dépenses de l’État connaîtront tout de même une baisse « historique » de 0,3 milliard d’euros en 2012 par rapport à 2011.
Ce qui veut dire que les « efforts » et « l’austérité » dont la classe politicienne nous bassine les oreilles à grands renforts de pleurnichements se résument à 300 millions d’euros pendant que l’État pisse 87 milliards de trop, laisse ses agents se tromper d’un bon milliard dans le calcul, et, pompon sordide, se réjouit des moindres frais financiers de la dette liés aux taux bas en vigueur actuellement, pour un total de 2.5 milliards d’euros.
Je reformule en langage clair : si les taux n’avaient pas été exceptionnellement (et donc de façon difficilement prévisible en 2011) aussi bas, le déficit budgétaire n’aurait pas dérapé d’un gentil milliard, mais de 3.5 ce qui donne une assez juste évaluation de la bande de branquignolles emperlousés et parasitiques qui gèrent les phynances de ce triste pays. Et c’est donc atterré qu’on lit certains se réjouir de la belle « performance » de Bercy dont tout, pourtant, indique qu’il s’agit d’un ratage même pas intégralement contrebalancé par une conjoncture financière scandaleusement (et dangereusement) favorable.
Au passage, je rappelle qu'une diminution modeste des émoluments de la brochette de psychopompes et autres saprophytes gouvernementaux permettrait de faire 65 millions d'heureux et d'économiser plus du double de la somme dont se targuent actuellement les nuls de Bercy.
L’explication officielle du dérapage est d’ailleurs particulièrement amusante en ce qu’elle ne provoque strictement aucune prise de conscience qu’un phénomène gênant se joue en coulisse. Pour Bercy, si le déficit est plus fort que prévu, c’est que les recettes fiscales ont été moins élevées que voulu. La tempête de taxes, le cyclone tropical d’impôts en tous genres, finalement, n’a pas réussi à endiguer l’appétit gargantuesque de dépenses de l’État ! Mais pour comprendre que ces baisses de rentrées, malgré leur hausse, s’apparente fort à un effet Laffer, il n’y a plus personne, on n’en parlera pas, c’est un petit mauvais moment à passer, ça ira mieux l’année prochaine. Et comme ce manque à gagner provient de la TVA, il semble qu’après cette pluie diluvienne de ponctions iniques, bizarrement, les Français ont moins consommé que ce qu’auraient souhaité les crânes d’œuf des Finances. On bondit d’étonnements en surprises !
Heureusement, le gouvernement ne s’en laisse pas compter : tout ça, c’est la fotaSarkozy, et surtout, Cahuzac l’a dit et répété, cela ne se reproduira pas ! Il n’y aura pas de dérapage en 2013, promis, juré, craché, croix de boix, croix de fer, et tout le tralala :
« Cela démontre notre volonté de tenir à nouveau scrupuleusement nos objectifs de dépenses cette année. Il n’y aura pas de dérapage en 2013. »On insistera ici sur le « à nouveau », qui laisse ainsi supposer que l’année écoulée a été une magnifique réussite en matière de tenue scrupuleuse, ce qui range immédiatement notre ministre dans le camp des incompétents s’il n’est pas au courant du dérapage pourtant admis par ses services, ou dans le camp des mythomanes compulsifs le cas contraire. Et dans la foulée, le Cahuzac continue de fanfaronner (dans la presse et sur des plateaux télés où il peut faire le guignol avec l’autre pathétique populiste de la gauche en déshérence) que la « réduction des dépenses » (ici : rires) a été faite.
On ne peut que pouffer. L’année 2013 verra en effet la conjonction de plusieurs phénomènes qui empêcheront mécaniquement le rattrapage miraculeux de 2012 de se produire à nouveau. D’une part, les taux sont déjà fort bas, ils ne descendront pas plus, ce qui veut dire qu’une économie « exceptionnelle » sur le service de la dette n’est pas d’actualité. Pire, il y a bien plus de chance que ces taux augmentent ; l’effet sera donc inverse avec un renchérissement des opérations financières pour Bercy. Attendez-vous à de grosses mauvaises surprises à ce niveau. D’autre part, l’optimisme de façade du gouvernement les oblige, toute honte bue, à prévoir une croissance faible (autour de 0.8%) à laquelle même eux ne croient pas. Si la France fait 0%, c’est déjà le bout du monde. Le déficit va donc se creuser, et l’objectif des 3% en fin d’année sera inévitablement raté. Enfin, si l’on doit en plus factoriser les amusantes opérations de marketing présidentiel à coup de bombes tactiques au Mali dont la facture viendra évidemment s’ajouter au reste, on voit mal comment l’année 2013 ne sera pas un grand cru du dérapage, voire du drift sauvage avec cette délicieuse odeur de caoutchouc brûlé que les conducteurs médiocres (hat tip François) et les amants frénétiques (hat tip Nicolas) connaissent trop bien.
Mais le plus intéressant, c’est que la vraie austérité, celle qui aurait dû toucher non pas les contribuables mais les services de l’État, à commencer par les élus, n’est toujours pas mise en place. Elle n’est même pas dans les cartons. Elle n’a même pas été commandé avant les fêtes. Elle n’est pas non plus dans les esprits et sa production dans les ateliers du Père Noël n’a même pas encore débuté.
On apprend ainsi que Hollande a généreusement augmenté le salaire de Serge Blisko, l’un de ces présidents de Commissions Théodule et autres Missions Patafoin. On apprend que les primes distribuées en fin d’années par le gouvernement Ayrault aux cabinétards et collaborateurs sont tout sauf rikiki. On découvre que Hollande, qui n’aime pas les riches et méprise l’optimisation fiscale, n’a pas hésité à travestir sans honte la réalité pour éviter l’ISF. On se rappelle que pendant que les émoluments obèses des députés continuent d’être versés rubis sur l’ongle, les taxes continuent d’être alourdies, et les revenus des Français rabotés. En revanche, pour un organisme de formation professionnelle dont tout le monde sait qu’il s’agit d’un puits sans fonds et d’un paravent à somme de magouilles et de détournements de fonds publics, là, l’État sait trouver 110 millions d’euros.
Évidemment, ces derniers éléments n’en représentent qu’une poignée glanés sur les quelques jours récents ; mais on n’aura aucun mal à imaginer que, chaque semaine, les petits suceurs de subventions, les parasites divers de la politique, des Commissions et autres Missions, les aides d’urgences ou exceptionnelles, tous viennent s’ajouter aux demandes déjà énormes de ponctions diverses et de redistribution généreuse sans aucun contrôle. Chaque semaine, ce sont des centaines de millions d’euros qui s’ajoutent ainsi aux milliards de dépenses déjà prévues dont une proportion toujours plus faible semble trouver une justification précise.
Pourtant, baisser la dépense publique est possible, envisageable et même tenté dans certains endroits de la planète. Mieux : ça marche vraiment. Mais à lire les déclarations cahuzesques, la bonhommie et l’emphase de Hollande ou son gouvernement de clowns, on sait que tout ceci n’est pas à l’ordre du jour.
Décidément, ce pays est foutu.