L’affaire se résume en quelques mots : une femme, enceinte de 7 mois, se rend chez son gynécologue qui lui conseille, sentant l’accouchement proche, d’aller de toute urgence à sa maternité. Elle se dirige donc à la maternité de l’hôpital de Brive en Corrèze, pour y accoucher. Malheureusement, elle a donné naissance à son enfant durant le trajet qu’elle faisait avec son compagnon. Le SAMU de Cahors n’a pu que constater la mort du nouveau-né au niveau de la barrière de péage de Montfaucon.
Il n’aura pas fallu plus de quelques heures à toutes les rédactions pour embrayer sur ce triste fait divers. Ce qui est surprenant est l’unanimité des titres et des « analyses » fournies. Je vous en livre un petit extrait ici :
La Dépêche du Midi:
Reste que ce nouveau drame pose la question de la présence des maternités sur le département.Le Figaro:
« Le drame relance le débat sur les déserts médicaux. La maternité de sa petite ville dans le Lot ayant fermé en 2009, la jeune femme avait pris la direction de Brive, soit un trajet d’un peu plus d’une heure. »le Nouvel Observateur:
La mort d’un nouveau-né vendredi après que sa mère eut accouché sur une aire d’autoroute en se rendant à la maternité de Brive (Corrèze), à une heure de route de son domicile, dans le Lot, a relancé samedi le débat sur les déserts médicaux en France.Le Parisien:
« Accouchement dramatique sur l’A20 : les déserts médicaux pointés du doigt »L’Express:
La mort d’un nouveau-né dont la mère a dû accoucher sur l’autoroute, faute de pouvoir gagner à temps une maternité, a relancé le débat toujours vif sur la fermeture des services de proximité.On sent qu’une tendance se dégage nettement, non ?
À moins de faire preuve d’une mauvaise foi en béton armé, force est de constater que tous les journaux reprennent l’information initiale (une femme enceinte accouche sur l’autoroute la menant à la maternité, et son enfant y meurt) pour y ajouter, systématiquement, une remarque, toujours la même : ce drame rouvre le débat (sous-entendu, est la conséquence directe ou indirecte) sur la fermeture des maternités en France. Mais si. Obligé.
Il faut bien comprendre ici que cette analyse n’est pas choquante a priori. Elle le devient lorsqu’elle est présentée comme l’unique analyse possible : la maternité était trop loin de la famille. Point. Par exemple, la décision initiale du gynéco n’est discutée en rien. Peut-être ne l’est-elle pas, mais en tout cas, on ne se pose même pas la question. Par exemple, le fait que la famille était trop loin de la maternité n’est pas plus envisagé. Peut-être est-ce normal, peut-être pas, mais là encore, on ne veut pas poser cette question. La comparaison des trajets moyens dans les autres pays européens n’est pas proposée. Pourtant, cela permettrait, sinon de relativiser, au moins de contextualiser le cas français. La mise en perspective avec la rareté d’un tel événement n’est pas de mise ; même si cela n’arrive, pour ainsi dire, jamais en France, dans tous les articles, dans tous les cas, l’émotion prend le pas sur la réflexion, et le coupable idéal est trouvé : c’est la fermeture agressive de maternités, rien d’autre.
Et même si on admet que ce sont les trop nombreuses fermetures de maternités qui sont la cause racine de ce tragique accouchement, pas une ligne n’est consacrée dans ces articles à l’agacement qui devrait pourtant pointer devant l’augmentation perpétuelle des ponctions opérées pour l’ensemble de la sécurité sociale, hôpitaux compris, l’accroissement tout aussi régulier des déficits constatés, la baisse inexorable des remboursements et de la qualité de service. Autrement dit, tous les articles, sans exceptions, pleurent à chaudes larmes sur la fermeture de maternités, mais aucun ne s’indigne ou même ne remarque que les coûts de santé, en France, ont littéralement explosé de tous les côtés, accroissant l’ardoise dans des proportions bibliques, alors que les services ferment, les médicaments ne sont plus remboursés et les conditions pour être pris en charge sont de plus en plus drastiques.
Déficit de la Sécurité Sociale, 1995 – 2008
En admettant que seule la question de l’éloignement des maternités soit pertinente, la question immédiate que devrait se poser la presse est simple : où passe tout cet argent ? Où sont les moyens ? Or, pas un mot à ce sujet n’est mis sur la table. Alors même qu’il s’agit ici, littéralement, de la vie d’individus, personne ne pose la question tabou : où passent toutes les gigantesques rivières de pognon qu’on déverse dans la sécurité sociale ?
Et puisque la seule question que retient la presse est de savoir si les maternités « s’éloignent » des patients avec toutes ces fermetures, un minimum d’analyse aurait dû aborder l’état des lieux. Car des études existent. Et même si certaines datent de quelques années, elles permettent de dresser un bilan sur le territoire, bilan bien moins noir que ce que laissent penser les sous-entendus convenus d’une presse devenue purement sensationnaliste. Par exemple, celle-ci, en page 2, note :
« Primary care is accessible in less than 15 minutes for 95% of the population »(Cliquez sur le graphique pour agrandir)
Bien évidemment, lorsqu’on est dans les 5%, c’est moins rose et le temps d’accès peut grimper à 40 minutes (ou plus, comme dans le cas tragique du drame de l’A20). Mais est-ce que ce seul drame relance vraiment, à lui seul, la pertinence des regroupements médicaux en cours ? Du reste, si on regarde le taux de mortalité infantile avec le nombre de lits par habitants, on ne trouve pas de corrélation.
Réclamer plus de maternités ne garantit en rien qu’un tel drame ne se reproduira pas. En revanche, au vu de l’historique des dépenses et des déficits, cela garantit que le gouffre continuera de se creuser, sans la moindre assurance que la qualité de service augmentera.
Ce que cette affaire montre bien tristement, c’est que tout un corps de métier ne fait plus que reproduire les nouvelles qui tombent d’une source connue, par copier-coller mécanique, par panurgisme et dans l’absence de réflexion, de prise de recul ou tout simplement d’esprit critique. À partir du moment où l’AFP avait relayé l’information, en saupoudrant sa dépêche de « ceci relance le débat sur les déserts médicaux », tout le monde y est effectivement allé de son débat sur le désert médical.
En fait de désert médical, on note surtout un désert de réflexion.