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Charles Sannat

Charles Sannat

Charles Sannat est diplômé de l’École Supérieure du Commerce Extérieur et du Centre d’Études Diplomatiques et Stratégiques. Il commence sa carrière en 1997 dans le secteur des nouvelles technologies comme consultant puis Manager au sein du Groupe Altran - Pôle Technologies de l’Information (secteur banque/assurance). Il rejoint en 2006 BNP Paribas comme chargé d'affaires et intègre la Direction de la Recherche Économique d'AuCoffre.com en 2011. Il enseigne l'économie dans plusieurs écoles de commerce parisiennes et écrit régulièrement des articles sur l'actualité économique.

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« Karl Marx… la révolution tunisienne et la prochaine révolution française ! »

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Nombre de commentaires : 1 réaction
Mes chères contrariennes, mes chers contrariens !

Je vous reproduis ici l’un des articles que j’avais publié en 2011, il y a donc trois ans, car je souhaitais revenir dessus pour partager avec vous l’évolution de mes réflexions sur ce sujet.

« Comme le racontait Coluche, « c’est l’histoire d’un type, un type normal », enfin presque puisque la mise en application de l’idéologie et des thèses développées par ce « type » n’ont pas vraiment été une grande réussite économique et historique.

Il s’agit de Karl Marx et c’est un homme des année 1850… Comme tous les vieux économistes dont on nous parle, d’Adam Smith et sa main invisible censée « botter le cul des marchés » avec sa capacité d’autorégulation à Ricardo (théorie de l’avantage relatif), ce sont des économistes de la filature du coton et de la révolution industrielle.
Économiquement, ils sont aussi dépassés que le serait technologiquement une Ford T sur une autoroute française un jour de grand départ en vacances.

Alors que vient faire Marx, surtout dans la révolution tunisienne ?

Notre cher Karl a, un jour, fait un constat d’une très grande acuité et d’une très grande justesse historique en expliquant la notion d’infrastructure économique et de superstructure politique. Afin de faire simple, pour Karl Marx, c’est l’infrastructure économique qui conditionne à terme la superstructure politique et les institutions.
C’est la vie quotidienne des gens, des entreprises et de tout ce qui constitue le corps social d’un pays qui conditionne l’évolution de ses structures politiques (mais également religieuses, philosophiques, etc.).

On a entendu que la révolution du Jasmin était une révolution Internet, une « e-révolution » en quelque sorte. En réalité, Internet, le Web 2.0, les forums, la blogosphère ou encore les réseaux sociaux comme Facebook ne restent que de simples outils à la disposition des peuples, de la même façon que le fut la révolution de l’imprimerie avec Gutenberg en 1452.
La révolution naît de l’utilisation par les masses de ces nouveaux instruments.

Or que nous disent les masses de l’autre côté de la méditerranée ?

Elles nous disent qu’elles ne supportent plus les « superstructures de leurs différents États ».
Elles nous disent qu’elles n’en peuvent plus des régimes « forts », qualificatif utilisé pour ne pas nommer une dictature… « dictature ».
Elles nous disent qu’elles souhaitent s’épanouir dans la démocratie, revendiquent des droits et, bien sûr, une envie d’accéder au bien-être matériel.
Elles nous disent qu’elles n’en peuvent plus des ces vieillards qui les dirigent depuis des décennies, entre culte de la personnalité et corruption généralisée.
Elles nous disent que les superstructures de leurs pays respectifs ne sont plus adaptées à la vie quotidienne des gens (du manque d’avenir économique confinant souvent à l’extrême pauvreté – en Égypte – à la spoliation massive des peuples par des oligarchies).
Elles nous disent que les peuples reprennent leur destin en main.
Elles nous disent également qu’elles ne souhaitent ni l’islam intégriste ni toute forme d’extrémisme religieux qui leur volerait une liberté tout juste retrouvée (bien que le péril islamiste demeure).

Un jeune garçon s’immole par le feu et des pays entiers s’embrasent.

Des pays du Golfe au Maghreb, partout les superstructures craquent sous le poids d’oligarchies et de systèmes dépassés.

Le souffle de cette révolution démocratique ne s’arrête pas aux pays arabes.
Aujourd’hui, en Chine, les appels à manifester se multiplient. Les autorités chinoises sont sur les dents. Rien ne dit que, politiquement, le gouvernement chinois pourra payer le prix d’un écrasement de la contestation dans le sang comme cela avait été le cas sur la place Tian’anmen.
Or qu’adviendra-t-il de la question tibétaine sans répression ? Qu’adviendra-t-il de la question ouïgour du Xinjiang sans répression ? La Chine peut connaître un bouleversement majeur et des secousses sociales d’ampleur insoupçonnée. Comme l’a indiqué le directeur général du FMI Dominique Strauss-Khan, un mouvement populaire en Chine aurait des conséquences désastreuses pour l’économie mondiale.

Qu’en sera-t-il de l’Inde et de sa société ancestrale basée sur le système des castes ?

Évoquons enfin l’Europe et les États-Unis que tous les observateurs pensent à l’abri de tels mouvements. Est-ce si sûr ?
Nous pourrions connaître des difficultés similaires mais pour des raisons différentes.

Le refus du peuple islandais de se laisser dicter sa conduite par le FMI et les banques britanniques, le refus irlandais matérialisé par une déroute sans précédent du parti au pouvoir et ayant « négocié » avec l’Europe et le FMI le plan de soutien à leur pays sont deux exemples frappant.
Que nous disent-ils ces deux peuples occidentaux et européens ?
Nous ne paierons pas pour maintenir à flot notre oligarchie financière qui nous entraîne dans la faillite.
Que dira le peuple grec lorsque les citoyens islandais et irlandais obtiendront de meilleures conditions qu’eux ? Le peuple grec dira « nous ne paierons pas pour des erreurs que nous n’avons pas commises ».
Que dira le peuple portugais qui supporte déjà des plans de rigueur ?
Que dira le peuple espagnol à qui l’on demande des sacrifices quotidiens pour sauver les banques ibériques de la déroute de la spéculation immobilière qui ravage l’Espagne ?
Que dira le peuple britannique ?
Que dira le peuple allemand ?

En ce début d’année 2010, les peuples des pays arabes ont lancé au monde un superbe espoir démocratique. L’onde de choc qui se propage n’en est qu’à son début et déjà les marchés s’affolent sur la montée des incertitudes.

Le prix du baril de pétrole s’envole, sans qu’à ce jour le principal producteur (l’Arabie saoudite) ne soit touché. Si c’était le cas, les prix seraient propulsés vers des sommets insoupçonnés. Or le roi Abdallah est malade, tout comme la société saoudienne où les autorités tentent d’acheter la paix sociale avec un plan d’aide pour la population de plus de 30 milliards de dollars.

La Chine est dans une situation très précaire socialement. Une transition vers plus de démocratie y est d’ores et déjà très complexe. C’est pourtant une suite logique, qui sera génératrice de tensions énormes et augmente la probabilité d’un krach boursier sur des niveaux de cours actuellement très élevés qui aurait des répercussions planétaires.

Les peuples européens et occidentaux, de façon générale, commencent à refuser d’être tenus pour responsables des errements de la finance.

Au bout du chemin, peut-être, le refus populaire de payer des dettes pour lesquelles personne ne se sent redevable, un krach obligataire sans précédent et la ruine des créanciers.

En 2007, une candidate à l’élection présidentielle parlait de la démocratie participative. Elle fut raillée à cette époque par ceux-là même qui nous expliquaient la théorie du choc des civilisations et l’importance des régimes forts dans la stabilité du monde.
Avoir raison trop tôt c’est souvent avoir tord.
Pourtant, en Islande, la démocratie participative est expérimentée puisque après avoir défilé devant le Parlement avec des batteries de cuisine, le 27 décembre 2010, 25 personnes – dont un syndicaliste, un pasteur, un metteur en scène, un agriculteur – ont été élues par le peuple islandais pour rédiger la nouvelle constitution de ce pays.

Il est donc parfaitement imaginable que les superstructures des pays occidentaux soient amenées à évoluer de façon importante dans les prochaines années, les peuples souhaitant être plus « acteurs » de leur citoyenneté.
L’affaire Wikileaks est symptomatique de cette évolution vers une société plus ouverte, plus démocratique et moins secrète, où le peuple regarde ses dirigeants également dans ce qu’ils ont de composantes secrètes. Nous ne sommes pas à l’abri.
Dans les pays occidentaux aussi existe la pression d’une jeunesse « technophile », éduquée et bien souvent au chômage. Nous ne sommes pas à l’abri.

Dans notre pays, il existe aussi une grande pauvreté enfin comptabilisée. Quelques chiffres qui font froid dans le dos. Notre population totale est d’environ 65 millions de personnes. La population active (les personnes en âge de travailler) est d’environ 25 millions de personnes. Sur ces 25 millions d’hommes et de femmes, environ 4 sont au chômage, 1,8 million bénéficient du RSA (nouveau RMI), 6 millions travaillent et gagnent moins de 750 € par mois. La moitié de notre population active vit dans une grande précarité. Nous ne sommes pas à l’abri.
Aux États-Unis, 43 millions de personnes ne survivent que grâce aux timbres de nourriture (Food Stamps). Ils ne sont pas à l’abri.

L’inflation augmente au-delà de ce que les chiffres officiels indiquent. Nous serons aussi touchés par ce phénomène dans nos sociétés occidentales. Les parents peuvent nourrir leurs enfants sous nos latitudes. Certes, mais les budgets des ménages seront réagencés pour faire face aux dépenses incontournables au détriment d’autres postes, amplifiant un risque récessif. Sans augmentation de salaire l’inflation appauvrit. Là non plus nous ne sommes pas à l’abri.
On peut cependant penser que nos sociétés démocratiques sont mieux armées pour faire face à ces évolutions car elles sont plus flexibles, plus adaptables, plus ouvertes.

La révolution partant de cette petite Tunisie est sans doute un événement historique qui aura une portée majeure dans l’évolution des superstructures de fonctionnement des États. Cela perturbera de façon importante les échanges et les « habitudes » économiques. Notre monde change et s’adapte à sa nouvelle modernité. Ce besoin de changement s’est cristallisé autour du sacrifice du jeune Bouazizi, incarnant une misère désormais globalisée et mondialisée.

Si Karl Marx était un homme d’aujourd’hui, on peut raisonnablement imaginer qu’il dirait :

« Internautes de tous les pays, unissez-vous ! » »

C’était en 2011, il y a plus de 3 ans, et depuis que s’est-il passé?

La Tunisie a failli sombrer dans le chaos islamique et les dernières élections tunisienne de 2014 ont renvoyé les radicaux dans leurs foyers pour porter aux affaires une grande partie des « anciens » de Ben Ali.

La Chine n’a pas implosé sous le poids de la liberté, bien que le mouvement récent à Hong Kong montre que le désir démocratique est toujours là.

Pour l’Europe et l’Amérique du Nord, les systèmes politiques en vigueur font tout ce qu’ils peuvent pour contenir les colères populaires, et le système devient d’ailleurs de plus en plus autoritaire. Partout, les contestations et les contestataires sont combattus, opprimés, frappés, gazés, arrêtés. Qu’il s’agisse des opposants du Mariage pour tous (contre lequel on peut tout de même être opposé sans pour autant être des fascistes homophobes) arrêtés par centaines et à la pelle, des mouvements écologistes réprimés avec violence que ce soit dans le Tarn ou Notre-Dame-des-Landes, sans oublier l’épisode des Bonnets rouges, que ce soit en Espagne où la police fait preuve d’une violence extrême à l’égard des « Indignés » ou encore aux USA où le mouvement « Occupy Wall-Street » a lui aussi connu une répression en bonne et due forme, partout, les États ont dû utiliser les méthodes des gouvernements (en un peu plus light, certes) qu’ils condamnaient il y a seulement 3 ans de cela. Je ne parlerai même pas de la Grèce.

Partout, nos régimes dits « démocratiques » ne doivent leur survie qu’à la disparition progressive des libertés et à leur réduction, à la criminalisation de plus en plus forte des « oppositions », fussent-elles relativement modérées ou pacifiques. L’élite au pouvoir se protège et utilise tous les moyens à sa disposition, pourtant le combat est perdu d’avance et il ne s’agit-là que d’un combat d’arrière-garde.

Les grandes révolutions ont en général toutes le même point commun, à savoir des gamelles vides et des gens acculés par la misère n’ayant plus grand-chose à perdre. Nous n’en sommes pas encore tout à fait à ce point mais nous nous y dirigeons à grands pas.

Vers des régimes de plus en plus forts et répressifs avant le chaos révolutionnaire

Logiquement, les États et les superstructures actuelles iront jusqu’au bout de leur logique et de leur existence. Il s’agit d’organismes « presque » vivants et luttant pour leur survie. Aller au bout de leur logique d’existence signifie évidemment une radicalisation vers la violence et la répression accrue de ces institutions.

Puis viendra, à force de règles, de limitations, d’encadrement, de répression physique, intellectuelle et financière, la misère, misère économique liée à la crise que nous subissons depuis 2007, soit 7 ans, et qui est infiniment profonde.

Lorsque la misère sera suffisamment forte, les tensions suffisamment exacerbées et les corps intermédiaires (police, justice, gendarmerie, service de l’État au sens large) seront suffisamment atteints eux-aussi par les coupes budgétaires, alors les leviers de commande de la superstructure ne répondront plus comme ce fut le cas en Tunisie.

À ce moment-là, le système s’effondrera, les risques de révolution et de chaos seront élevés. Or personne, et encore moins le peuple, n’a intérêt à une forme de chaos car les peuples en sont toujours la première victime. Ce qui est sûr c’est que tout système devant sa survie non pas à une légitimité politique mais à la force de la répression finit par s’effondrer sur lui-même.

La crise économique que nous vivons ne doit pas vous faire perdre de vue l’essentiel, à savoir que toute crise économique s’achève par une crise monétaire et politique nécessitant la remise à plat complète des « superstructures », mot un peu savant que l’on pourrait remplacer par « systèmes ». Notre système actuel sera donc profondément refondu dans les années qui viennent. La seule question désormais c’est « quand ? ».

À demain… si vous le voulez bien !!

Charles SANNAT
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1 Commentaire

  • Lien vers le commentaire Eric_Prudhon mercredi, 19 novembre 2014 22:01 Posté par Antifragile

    L'échec du communisme n'est pas l'échec de Karl Marx.


    Il comprenait mieux le capitalisme et ses défauts que quiconque, d'ailleurs il a plus écrit sur le capitalisme que le communisme (!).


    Mais c'est sur la solution alternative qu'il s'est trompé.


    Pour moi, le communisme est surtout une réaction au capitalisme.


    Il se définit plus par opposition au capitalisme qu'en tant que tel (et on voit ce qu'un choix par réaction donne si on prend le cas de l'élection d'Hollande par réaction à Sarko... on se retrouve avec du vide, il n'y a plus de vision, mais uniquement une réaction court-termiste aux événements qui conduit à de mauvaises décisions).


    La théorie a ses failles malgré de belles et grandes idées (comme le socialisme), mais ce  qui a causé la chute du communisme c'est:


    -l'écart entre la "belle" théorie et la mise en pratique


    -un système perverti par une corruption massive car favorisant une élite proche du pouvoir (même problème dans le capitalisme actuel d'ailleurs)


    -la récupération des idées communistes par des dictateurs qui ne voient plus le bien du peuple mais surtout le leur


    -l'échec des hommes à planifier et à prévoir le futur, même pour des échances courtes (cf idées de Nassim Taleb), ce qui condamne toute aprroche économique up-bottom où un gouvernement fort agit massivement sur l'économie au lieu de laisser les entreprises et les marchés vraiment libres (à part sur quelques contraintes éthiques et morales); dans l'URSS, en Corée du Nord la (mauvaise) planification a conduit à des famines et des pénuries (exemples actuels, hors communisme: Vénézuela, Argentine)


    Quel que soit le système économique choisi (et je suis favorable au capitalisme, mais pas la forme actuelle), il faut une méthode bottom-up où le peuple et les marchés décident des prix et non les gouvernements, car si ceux-ci interviennent trop, ils distordent les prix qui ne représentent alors plus l'ofrre et la demande et détruisent l'économie...


    Et sur la théorie où l'économie conditionne la politique et la démocratie  positivement, je n'y crois pas (mais négativement, oui sans aucun doute):


    -la chine reste très anti-démocratique malgré son ouverture économique et son économie plus capitaliste par bien des ponts que l'économie actuelle des US)


    -les révolutions arabes ne se sont pas faites pour la démocratie mais suite aux hausses de prix des matières premières vitales comme le blé


    -les démocraties et les peuples vont être menacés par à la fois une montée des gouvernements totalitaires et extrémistes/racistes/égoïstes/repliés sur eux-même d'un côté et de l'autre le pouvoir des banques, des multinationales, et des groupes terroristes qui deviennent de plus en plus puissants et destructeurs... Qui va gagner? Personne, par endroit les gouvernements, à d'autres les mutlinationales ou les terroristes, mais le monde va être plus instable, dangereux et les économies vont continuer à se détériorer.