Un constat, l’inflation n’augmente pas
On ne peut que constater les résultats mitigés du Quantitative Easing sur les chiffres de l’inflation alors que la masse monétaire a explosé depuis huit ans.
Il y a plusieurs explications à cela :
- La Chine a créé d’énormes surcapacités de production pour lutter contre la crise de 2008.
- Les pays producteurs de matières premières ont développé avant 2008 d’importantes capacités qui ne se résorbent que très lentement avec le temps.
- La rupture technologique du fracking crée une quantité considérable d’énergie bon marché mise à disposition des acteurs économiques.
- Aux État-Unis et bientôt en Europe, l’uberisation des emplois dans un monde de plus en plus numérique a des effets déflationnistes sur les salaires.
- Dans de très nombreux pays, les populations vieillissent, réduisant le dynamisme économique.
La Chine vient de prendre la décision de mettre en place une certaine forme de monétisation en donnant la possibilité aux banques de transférer leurs dettes douteuses d’entreprises au gouvernement ou à la banque centrale, en échange d’une participation. Cela signifie que la banque centrale et l’état chinois créent une bad bank, ce qui revient à mettre en place un équivalent du programme TARP américain.
Cette initiative témoigne tout d’abord du mauvais état de la situation économique chinoise. Elle signifie aussi que les banques vont disposer de liquidités importantes pour relancer le crédit et créer de nouvelles capacités. Ce type de relance ne peut qu’aggraver le problème de fond des surcapacités en terme de produits manufacturés ou de logements. Il n’est d’ailleurs pas certain que la manœuvre fonctionne. L’eau et âne qui n’a pas soif, refrain connu !
Cela implique enfin que les institutions monétaires et politiques chinoises vont se retrouver à nouveau en haut de bilan des entreprises. Il s’agit d’une entorse importante au néo capitaliste de l’empire du milieu.
Nous orientons nous vers une nouvelle crise économique majeure et quelle est sa solution ?
La Chine, si elle peut rebondir avec les dernières mesures prises, pourrait à terme, nous l’avons vu, aggraver la crise de l’offre alors que la demande mondiale chuterait et ne viendrait plus alimenter son modèle économique exportateur. L’Europe, sans vraie direction politique et toujours empêtrée dans la crise des migrants, pourrait replonger rapidement dans la déflation monétaire. Fait inquiétant supplémentaire, les États-Unis pourrait atteindre une période critique de leur cycle de croissance. Dans le même temps, les dettes souveraines et privées continuent de peser sur le développement économique, et la charge de ces dettes pourrait rapidement devenir insupportable en cas de hausse des taux.
La question se pose désormais. En cas d’aggravation de la situation, les décideurs politiques seraient-ils prêts à saisir toute idée nouvelle pour éviter une déflation létale pour le système bancaire, l’octroi de crédit et la situation économique en général ?
Dans les faits, aucun décideur ne s’est vraiment opposé au Quantitative Easing lors de la crise de 2008 alors qu’il s’agissait d’une solution pour le moins anti-conventionnelle. Quelques voix monétaristes et catastrophistes se sont élevées mais leur crédibilité était quasi nulle puisque leur seule proposition alternative était l’effondrement du système bancaire et l’apocalypse économique. Il faut noter que les populations à l’époque n’ont vraiment pas mesuré les risques économiques majeurs que nous avons courus et n’ont pas vraiment compris les enjeux des solutions engagées.
L’ingénierie financière s’est depuis développée de façon considérable et les banques centrales rivalisent désormais de créativité en inventant les TARP, MES, LTRO et autres SWIFT.
J’ai tendance à croire que les banques centrales iraient beaucoup plus loin en cas d’aggravation de l’hyper-endettement. Elles n’hésiteraient pas à inventer de nouveaux moyens pour parvenir à créer suffisamment d’inflation et faire baisser la dette.
Le constat est simple, le Quantitative Easing crée une valorisation des actifs mais il ne génère pas assez d’inflation des prix. Durant les huit dernières années post crise, l’endettement s’est aggravé et les taux d’intérêt sont bloqués au plancher sur toutes les maturités. Il est donc possible que nous soyons déjà en situation de secular stagnation.
Si l’inflation ne se développe pas, le système de la monétisation de la dette va atteindre ses limites car la quantité d’actifs à acheter par les banques centrales n’est pas infini. Comment qualifier un système économique dans lequel les banques centrales détiendraient toutes les dettes publiques et privées de la planète ?
Vers une allocation universelle temporaire ?
Je vais vous faire une confidence. Je pense que si l’inflation ne se développe pas et que la dette mondiale continue à croitre, il n’est pas invraisemblable d’imaginer qu’une des prochaines salves d’inflation monétaire serait une allocation directement donnée aux consommateurs. Elle pourrait reprendre l’allocation universelle prônée par certains libéraux pour d’autres raisons. Ce serait la mise en œuvre de la théorie de l’hélicoptère développée par Ben Bernanke et reformulée tout récemment par Ray Dalio. Notez qu’on parle de plus en plus de ce type allocation dans les médias et ce n’est pas un hasard. Pour être plus prosaïque, ce n’est pas l’envie de consommer qui manque, c’est l’argent dans la poche des gens.
En y réfléchissant bien, cette évolution a un certain sens. Si la dette croit, le service de la dette augmente et les budgets souverains sont amputés en proportion du niveau des taux d’intérêts. Pour maintenir les taux bas sur la portion longue de la courbe, les banques centrales achètent aujourd’hui des obligations et font déjà une énorme entorse au jeu du marché. Sans ces mesures non conventionnelles, nous aurions probablement déjà connu un krach obligataire majeur et une crise économique sans précédent. Cette distorsion des échanges des titres de créances fait monter le prix des actions et des obligations mais détruit tout retour sur investissement et nuit à la croissance.
Créer une allocation universelle destinée aux populations et financée par les banques centrales reviendrait à fabriquer collectivement de la fausse monnaie et à le justifier par l’épouvantail d’une dépression majeure. Si l’argent créé profitait à toute la planète avec des pondérations sur le niveau de vie, il pourrait y avoir un consensus. Qui en effet refuserait de recevoir de l’argent, même si cet argent se déprécie en monnaie constante dans la dilution monétaire ? Qui des décideurs politiques se rebifferait alors que tous les pays industrialisés sont désormais surendettés, mis à part le Canada et l’Australie ? Ces derniers n’ont de toute façon aucun intérêt à ce que l’économie mondiale s’effondre puisqu’ils sont parmi les plus gros fournisseurs de matières premières. On peut imaginer que pour faire accepter par tous le mécanisme d’une allocation universelle, le FMI pourrait à terme intervenir en super banque centrale via les droits de tirage spéciaux pour répartir la manne monétaire en fonction des PIB.
Ce système serait en tout cas bien meilleur que l’achat de titres par les banques centrales sur le marché primaire. Ce dernier encouragerait les états à financer des projets parfois sans intérêt et à augmenter d’avantage leur endettement en valeur faciale.
L’intérêt d’une allocation universelle est que la création monétaire produirait directement l’inflation des prix sans augmenter la dette puisque l’élargissement de la masse monétaire déprécierait la monnaie en maintenant le bilan des banques centrales à son niveau en monnaie constante.
Cela produirait une sorte de « reset » économique sur les dettes qui aurait pour objectif d’éviter les phénomènes sociaux et pourquoi pas les guerres qui ont maculé l’histoire à chaque crise économique majeure. Les victimes de ce scénario seraient les créanciers obligataires dont l’assassinat est de toute façon programmé. La doxa plus ou moins marxiste européenne et les populations du monde entier en train de sombrer dans le Trump-populisme ne les pleureraient pas. Notons que la monétisation actuelle a pour même objectif de tuer la dette et ses créanciers, mais à petit feu, au rythme de 2 % et avec des méthodes plus acceptables sur le plan de la production de monnaie.
Les populations ne sont cependant pas conscientes qu’elles sont les propriétaires majoritaires du capital mondial via les caisses de retraites et l’épargne. Les compagnies d’assurance vie subiraient une décollecte massive et il est probable que les états décideraient un blocage ou une limitation des retraits. La conséquence immédiate serait un appauvrissement de l’épargne basée sur la dette obligataire et une diminution des allocations retraites des caisses dont la gestion serait trop orientée sur les titres de créances. Cette baisse des allocations serait compensée par la manne universelle de fausse monnaie dont le débit serait contrôlé par les banques centrales et le FMI pour maintenir l’inflation à un niveau suffisant pour faire baisser l’endettement mondial. Il est à peu près certain que ce type de reflation augmenterait les prix puis les salaires car l’argent irait directement chez le consommateur.en augmentant la vélocité monétaire. Le risque à courir serait que l’inflation devienne incontrôlable. Mais dans ce cas, les dettes disparaitraient encore plus vite et les banques centrales auraient la prétention de pouvoir la contrôler en maitrisant les flux de distribution.
L’autre défaut de ce scénario de politique fiction est que l’allocation universelle pourrait rapidement dériver vers un système collectiviste dans lequel les institutions fourniraient un revenu minimum à tout le monde démotivant ainsi une bonne partie des acteurs économiques. Il faudrait donc qu’il s’agisse d’un choc inflationniste unique, temporaire et lentement régressif pour déprécier suffisamment la monnaie et enclencher une hausse des prix et des salaires bien contrôlées.
Mais ce n’est que de la politique fiction …
Bonne semaine !