Interrogé il y a quelques semaines sur France Inter, Marc Touati économiste, n'a pu s'empêcher de qualifier la BCE de Banque Contre les Etats lorsque que le Gouverneur de la Banque Centrale Européenne a annoncé qu'il portait les taux directeurs de 1% à 1.25% et que ce mouvement de hausse se poursuivrai vraisemblablement jusqu'à un niveau 1.75% d'ici la fin de l'année selon le consensus.
Deux politiques monétaires différentes semblent se dessiner entre l'Europe et les Etats-Unis.
L'objectif officieux de la FED la banque centrale américaine: éviter à tout prix la récession et éventuellement la faillite.
La poursuite d'une politique de taux d'intérêt bas ce qui signifie une politique monétaire accommodante, vient d'être actée par les autorités monétaires américaines. Elle est renforcés par la stratégie utilisée aux Etats-Unis par Ben Bernanke le gouverneur de la FED (banque centrale américaine) qui vient de confirmer lors de sa dernière conférence de presse sa volonté de mener jusqu'à son terme (c'est à dire à l'été 2011) son "quantitative easing II".
Pour ceux qui ne le sauraient pas, le quantitative easing est une expression savante signifiant simplement que l'on fait fonctionner la planche à billet et que l'on inonde le monde de Dollars.
La Réserve Fédérale américain rachète carrément les obligations émises par le gouvernement US afin de financer ce dernier et d'empêcher toute remontée des taux qui pourrait précipiter l'économie de l'Oncle Sam vers la faillite. C'est ce que l'on nomme pudiquement la monétisation de la dette (pour financer chaque nouvelle dette on créer la monnaie correspondante).
Or que constate t-on aux Etats Unis?
1/ Malgré des dépenses de "relance" phénoménales la croissance reste à la peine et le niveau de chômage réel très élevé (les derniers chiffres connus montrent même une augmentation)
2/ Une dépréciation importante du Dollar par rapport à l'ensemble des autres devises majeures (Euro, Yen, Franc Suisse) et par rapport aux grandes matières premières est en cours (pétrole, or, etc)
3/ Malgré les dénégations de Ben Bernanke le gouverneur de la FED, l'inflation, particulièrement celle importée (celle qui est la conséquence de l'augmentation du pétrole par exemple) est très clairement orientée à la hausse sans que cela ne l'inquiète.
Pourquoi? Car selon notre gouverneur américain l'inflation sous jacente elle n'augmente pas.
Arrêt sur image concernant ces deux notions d'inflation. L'inflation sous jacente est calculée en ne tenant pas compte des prix de l'énergie.... ils peuvent augmenter autant qu'ils veulent, ils ne sont pas intégrés dans le calcul.
Or c'est sur la base de l'inflation sous-jacente que Ben Bernanke fonde son analyse économique. L'inflation sous jacente prend en compte simplement l'évolution des coûts de production et le couple offre/demande.
Il est évident que dans un contexte de délocalisations vers les pays à bas coûts et d'augmentation de la productivité grâce aux progrès techniques, auxquels s'ajoutent des capacités de production excédentaires (couple offre/demande déséquilibré en faveur de l'offre plus importante que la demande solvable) il est peu probable que cette inflation là pose un véritable problème économique. Les coûts de production et les salaires sont tirés vers le bas.
On pourrait presque résumer la situation en disant: "Tant que les salaires n'augmentent pas, l'inflation n'existe pas".
Cette politique monétaire laxiste risque donc d'aboutir aux résultats suivants:
1/ payer moins cher la dette accumulée en payant en dollars dévalués et en "ruinant" au passage dans une mesure plus ou moins importante les épargnants détenteurs de dettes US (si tout se passe bien).
2/ éviter l'asphyxie de l'économie américaine par une politique "récessionniste" comme celles appliquées actuellement en Grèce ou au Royaume-Uni (où d'après les premières statistiques les revenus ont baissé en moyenne de 1000€ par ménage depuis la mise en œuvre du plan de rigueur initié par le Premier ministre Britannique) au prix d'une dévaluation massive de la valeur du dollar.
3/ diminuer drastiquement le revenus des ménages américains en raison du double phénomène conjugué de l'inflation importée et de la baisse de la monnaie US.
Les conséquences sont assez simples à prévoir. Lorsque le dollar aura été fortement dévalué et l'inflation importée suffisamment importante sans augmentation de salaire possible cela aboutira à une récession forte et violente en raison d'une diminution du pouvoir d'achat, les ménages ne pouvant plus consommer et la demande s'effondrant en entrainant une baisse significative des rentrées fiscales qui viendront achever des finances publiques déjà dans une situation très périlleuse.
Le seul pari de Ben Bernanke est donc de maintenir une politique monétaire la plus accommodante possible en espérant un retour de la croissance qui pourrait effectivement changer la donne. Bref la FED tente de gagner du temps en l'achetant de plus en plus cher pour un résultat espéré plus qu'incertain.
Rien ne dit qu'il puisse gagner ce temps. La mise sous surveillance de la note de la dette US par l'agence de notation Standard and Poor's est la parfaite illustration de la montée des doutes sur les capacités même de la première économie mondiale à honorer le paiements de sa dette désormais colossale.
Revenons maintenant de notre côté de l'atlantique. L'objectif officieux de la banque centrale européenne la BCE: éviter à tout prix une hyperinflation pouvant mener à un mauvais "remake" des années 20 dans une Europe hantée par le spectre de la République de Weimar.
Jean-Claude Trichet montre donc son volontarisme à revenir à plus d'orthodoxie monétaire en mettant fin aux programmes de création monétaire. En clair pas de monétisation de la dette. Pas de création monétaire hors de contrôle et une maîtrise à minima de la planche à billet. Enfin la montée des taux d'intérêt vise à limiter l'effet de l'inflation importée par le double mécanisme de la baisse de la demande et de l'appréciation de notre monnaie qui aura pour effet de diminuer notre prix d'achat de pétrole par exemple.
Or cette politique risque de buter sur 4 écueils majeurs:
1/ Augmenter les taux d'intérêt trop fortement c'est étouffer directement l'investissement et donc la reprise "naissante" en Europe (il n'y a pas de reprise au Royaume-Uni, ni en Grèce, ni en Espagne, ni au Portugal, encore moins en Irlande...).
2/ Augmenter les taux c'est renchérir le coût de financement d'Etats déjà surendettés.
3/ Augmenter les taux lorsque les prix de l'immobilier sont sur des niveaux "stratosphériques" c'est prendre le risque quasi assuré d'une explosion violente de la bulle immobilière, dans l'ensemble de la zone euro, ce qui aurait pour conséquence de mettre les banques dans une situation critique compte tenu de leur encours de crédits immobiliers.
4/ Augmenter les taux c'est favoriser la hausse de l'euro par rapport aux autres devises, à commencer par le dollar qui lui se dévalorise d'autant que la politique actuelle est hyper accommodante. Cela va très rapidement étouffer nos exportations et donc notre croissance.
C'est l'ensemble de ces éléments qui ont littéralement fait bondir l'économiste Marc Touati.
Mon intime conviction économique est que Jean-Claude Trichet ne peut que connaitre l'ensemble de ces éléments. C'est pour cela que ce cycle de remontée des taux sera très certainement de courte durée et que l'objectif de taux de 1,75% à 2% semble bien être un maximum tout en sachant que ce sont des taux qui demeurent historiquement extrêmement bas.
Là aussi le Gouverneur de la Banque Centrale Européenne tente de gagner du temps afin d'éviter l'implosion de la zone euro, devant faire le grand écart entre les difficultés des pays du Sud et la volonté de rigueur monétaire germanique. En réalité la lutte contre l'inflation n'est qu'un alibi. Le véritable enjeux est la survie même de l'Euro et de sa valeur en tant que monnaie pérenne.
Or nous sommes dans une impasse que tout le monde se refuse à admettre.
Il ne peut pas y avoir de retour à la croissance dans un monde globalisé ou un chinois continu à percevoir 80€ de revenus mensuel là ou un européen ou un américain coûte au minimum 1500€/mois (en incluant les charges).
Il ne peut pas y avoir de retour à la croissance avec une augmentation exponentielle de la productivité liée aux progrès techniques aboutissant par exemple à la suppression des postes de caissière dans les supermarchés (tendance actuellement en cours).
Il ne peut pas y avoir de retour à la croissance avec un "stock" de millions de chômeurs.
Il ne peut pas y avoir de mise à niveau entre une zone Asie de 3 milliards d'habitants d'un côté et une zone Europe/Etats-Unis de 800 millions d'habitants. Nous serons mathématiquement tous au chômage que tous nos amis asiatiques n'auront pas encore trouvé du travail.
Bref qu'elle que soit la politique choisi et pour autant qu'elle puisse diverger sur une période supérieure à un an ce qui est loin d'être évident, alors le monde ne pourra pas faire l'économie d'une récession d'autant plus forte que l'on aura tout fait pour la retarder.
Peu importe la cause, que ce soit par la rigueur ou l'hyperinflation, le monde développé se dirige vers une récession qui semble marquer l'avènement de l'Asie sur la scène internationale et pourrait au passage entrainer la mise en place d'un nouvel ordre monétaire.
D'ailleurs, hier Jean-Claude Trichet a quelque peu atténué ses propos sur la gravité de l'inflation. Le résultats a été des mouvements financiers violents. L'euro a fortement baissé face au Dollar. Le pétrole et l'or ont décroché, l'argent s'est effondré. Voir l'excellent article en ligne du Figaro
http://www.lefigaro.fr/marches/2011/05/06/04003-20110506ARTFIG00277-krach-boursier-sur-les-matieres-premieres.php
Mais il ne faut pas s'y tromper, ce mouvement, n'est qu'une pause, dans une tendance lourde de dépréciation des monnaies vis à vis des actifs tangibles.
Beaucoup y laisseront des plumes.
Charles SANNAT
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