Gilles Lerat
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Ingénieur de formation, j’ai sauté dans le bain de la création d’entreprises dès ma sortie de l’école. Je me suis spécialisé dans la sécurité informatique. Après avoir revendu ma société à un groupe informatique, je me suis dirigé vers le cinéma, ce qui n’est peut-être pas la meilleure option, compte tenu de l’environnement économique actuel.
Je suis à la fois émerveillé en permanence par les prouesses technologiques actuelles et extrêmement inquiet des défis qui nous attendent sur les plans énergétiques, économiques, et surtout sur le plan démographique.
Le Bitcoin est-il une bulle ?
Audience de l'article : 4897 lecturesPréambule
Depuis la chute du Bitcoin intervenue après plusieurs semaines pendant laquelle les cours avaient explosé à la hausse, il est de bon temps d’annoncer à tour de bras, la mort de toutes ces cryptomonnaies, qui ne reposeraient que sur du vent…
Pourtant, après avoir chuté jusqu’à environ 6000 dollars, le Bitcoin a réussi à remonter la pente et à se stabiliser dans la zone des 7000-8500 dollars avec des fluctuations quotidiennes parfois importantes. Certains le voient évoluer jusqu’à 25 000 Dollars US d’ici à la fin de 2018.
D’autres, comme Jack Dorsey, le co-fondateur de Twitter et de Square, pensent que le Bitcoin deviendra la seule monnaie mondiale à horizon 10 ans.
Presque tout le monde a un avis sur le sujet, et on peut facilement résumer le débat en deux camps opposés : ceux qui ne croient pas au Bitcoin, qui n’y ont jamais cru (ou éventuellement qui regrettent de ne pas y avoir cru plus tôt), et ceux qui sont des partisans farouches, même après la récente baisse.
Il y a quelques nuances, mais en général, les opinions sur l’avenir des cryptomonnaies, sont très tranchées.
En ce qui me concerne, je me suis intéressé au phénomène Bitcoin dès 2013. J’en ai acheté une poignée, mais je ne m’en suis jamais rempli les poches. D’ailleurs, dès lors que le Bitcoin est parvenu au niveau que j’estimais (à tort) bien valorisé, c’est-à-dire proche d’une once d’or, je m’en suis désintéressé, et j’ai revendu, presque sans plus-value.
Je fais donc partie des gens qui avaient dès 2013, suffisamment de conviction pour s’intéresser au sujet, pour en identifier le potentiel, mais pas assez pour s’imaginer que les gouvernements du monde entier allaient laisser s’installer des monnaies parallèles sans réagir.
Je n’ai absolument pas d’amertume, par rapport au fait d’avoir manqué la révolution. Et peut-être d’ailleurs que je ne l’ai pas manqué. L’histoire à ce sujet n’est pas écrite.
J’écris avant tout cet article en réponse aux nombreux commentaires qui insistent sur le fait que le Bitcoin ne repose sur rien, qu’il ne sert à rien, et que donc il doit nécessairement valoir zéro.
« On ne sait pas calculer avec précision la valeur d’un Bitcoin ! »
Nous sommes presque tous d’accord pour l’avouer : personne ne connait la valeur d’un Bitcoin. Et personne n’a de méthodologie affirmée pour mesurer sa valeur. Bien sûr, on pourrait calculer le nombre d’adresses bitcoins actives sur une durée de temps et essayer d’y faire correspondre un nombre d’utilisateurs. Mais cela ne veut presque rien dire.
Et c’est très bien comme cela.
Cela veut dire que le Bitcoin est un marché à peu près libre où la loi de l’offre et de la demande peut s’exprimer.
Des marchés libres, il en reste tellement peu.
Bien sûr, il y a des interférences, notamment à cause des « baleines » qui vendent quelques dizaines de Bitcoins quand elles ont envie de s’acheter une nouvelle Ferrari. Ou du régulateur japonais qui revend les Bitcoins saisis lors de la faillite de Mt. Gox. Mais jusqu’ici, le marché semble capable de les absorber.
Le cours du Bitcoin va fluctuer, et c’est plutôt normal, s’agissant d’une monnaie, un peu comme le Yen varie en fonction du dollar US et de l’Euro.
« Quand même, c’est ridicule d’acheter un truc qui ne repose sur rien ! »
Ha oui ? Ainsi, le Bitcoin ne repose que sur du vent, et donc spéculer dessus est une hérésie.
N’est-ce pas Bill Gates ? N’est-ce pas Warren Buffet ?
N’est-ce pas les analystes d’Allianz (et d’autres) ?
Ok, par contre, la taille du marché lié au VIX n’a cessé d’augmenter, pour représenter fin 2017 plus de 3 millions de contrats sur une seule journée, ce qui dépasse de très loin les échanges en rapport avec les cryptomonnaies.
Le VIX représente l’indice de volatilité des marchés, on le qualifie donc souvent d’indice « de la peur ».
Les spéculateurs achètent (ou vendent) le VIX soit directement, soit par des valeurs, les ETNs (Exchange Trading Notes) émises par des établissements bancaires. Il y a par exemple le VXX, le VXZ, le TVIX, chacun de ces indices reproduisant et/ou amplifiant plus ou moins les variations du VIX.
Mais comme tout cela n’était pas assez compliqué ou assez éloigné du réel, il y a le XIV, émis par le Crédit Suisse, qui représente une performance exactement inverse de celle du VIX. Cet indice, le XIV peut aussi être acheté en direct ou par l’intermédiaire d’ETNs. J’arrête là.
Lors des baisses des indices, le VIX n’évolue pas de façon linéaire : le 5 Février 2018, pendant que l’indice Dow Jones perdait 4,6%, le VIX a gagné 116% !
Mais surtout, le XIV, corrélé à l’inverse du VIX a perdu, lui,… Et bien près de 100%. En tout cas, il a forcé son émetteur, le Crédit Suisse a suspendre son instrument, le VIX, pour finalement le rembourser après une chute de 92,65%.
Ainsi donc, une simple baisse de 4,6% des indices aurait failli dégénérer en crise de liquidité.
Même si le Bitcoin ne sert à rien, au moins il est moins dangereux que les indices et dérivés d’indices, pour la stabilité du système financier traditionnel.
« Mais la valeur du Bitcoin est phénoménale ! C’est absurde ! »
Ha oui. C’est très élevé, effectivement.
Et cela, est-ce que ce n’est pas non plus très élevé : http://www.lemonde.fr/arts/article/2018/05/15/un-nu-couche-de-modigliani-vendu-aux-encheres-pour-157-millions-de-dollars_5298950_1655012.html ?
Le « Nu Couché » de Modiagliani a été vendu plus de 150 millions de dollars, ce qui en fait le 4ème tableau le plus cher de l’histoire. Il s’était vendu environ 27 millions de dollars en 2003.
Ce n’est donc pas le plus cher : en fin d’année dernière, le tableau Salvatore Mundi de Leonard de Vinci s’était vendu 450 millions de dollars.
Dernièrement, s’est une bouteille de Whisky qui s’est adjugée pour 2 millions de dollars.
La vérité ? Ce n’est pas le Bitcoin qui déraille… C’est la monnaie (les dollars, les euros, les yens, les yuans,…) que les banques centrales ont imprimé ou dont elles ont soutenu l’impression, qui est partie en vrille.
« On » n’a pas voulu supporter les conséquences de l’explosion de la dernière bulle de 2008-2009, elle-même résultante des actions entreprises pour lutter contre les précédentes bulles … toutes entretenues par les banquiers.
L’argent est complètement détaché de la réalité, comme l’a si bien souligné Bruno Bertez. Il flotte. Il est dans l’irréel.
Pour faire tenir un édifice financier monstrueux, qui de toute façon ne tiendra pas, les banquiers centraux ont mis les taux à zéro et ont imprimé des tombereaux d’argent tout frais.
Que croyez-vous qu’il arriva ? Bien entendu, les entreprises et les particulières se sont mises en quête d’outils pour thésauriser leur argent fraichement imprimé. Quand on a de l’argent, on cherche souvent à le faire fructifier.
Cela ne sert à rien de reprocher au Bitcoin d’être un outil de spéculation.
Il faut revenir à la source. Les gens placent leur argent dans des cryptomonnaies puisqu’ils ont l’assurance mathématique (on a vu ce que donnait l’assurance humaine !) que seul un certain volume de ces cryptomonnaies serait émis.
Et tant pis si le nombre de ces cryptomonnaies est, lui, infini. L’idée communément admise est que le marché (en l’occurrence, les places de marché telles que Coinbase, Kraken, BitFlyer, etc…) se chargera de séparer le bon grain de l’ivraie.
Le vrai problème de la valeur du Bitcoin tient au fait qu’elle est mesurée avant tout en dollars US, voire en Euros ou en Yens.
Et cet argent ne veut plus rien dire : c’est pour cela que l’on observe un Modigliani à 157 millions de dollars ou un Bitcoin à 8500 dollars. Steve Wozniak, le co-fondateur d’Apple, pense que le Bitcoin peut être plus efficace que l’or, mais il fait cette remarque dans un contexte où le gouvernement augmente sans cesse sa production de dollars, pour différents motifs.
Les banquiers centraux ont créé un monstre qu’ils ne peuvent plus arrêter : les taux doivent rester très bas, voire nuls dans le cas de la banque centrale européenne. Sinon, le système financier implose.
« En tout cas, le Bitcoin est trop volatile pour être utilisé comme une monnaie ».
Pratiquement, tous les contempteurs du Bitcoin lui reprochent sa volatilité élevée.
Ce n’est vraiment pas de chance : selon Jay Clayton, le patron de la SEC, le Bitcoin est aujourd’hui moins volatile que l’indice VIX
Mais effectivement, le Bitcoin n’est pas stable et ne peut pas vraiment être utilisé comme une monnaie classique, mais plutôt en tant que outil de conservation de la valeur, un rôle que ne remplissent plus les monnaies traditionnelles.
« Quelle est l’utilité du Bitcoin aujourd’hui ? »
Aujourd’hui, plus personne ne discute l’utilité de la blockchain. Les premières applications, très sérieuses, sortent des laboratoires de recherche, ou plus précisément, des cerveaux des développeurs. Le distributeur Carrefour l’utilise en particulier pour ses filières qualité.
Mais sur le sujet du Bitcoin en tant que monnaie, je dirais qu’il est assez fréquent d’entendre dire que cet outil n’est qu’un schéma de Ponzi, que son utilité réelle est en fait nulle.
Passons rapidement outre au fait qu’un nombre de plus en plus important de sites acceptent les Bitcoins, ce qui contribue à son acceptation. Les transactions immobilières en Bitcoins se multiplient, et pas seulement en Amérique.
Il existe au moins un pays qui ne se pose pas la question de l’utilité du Bitcoin, c’est le Venezuela, pour lequel le minage de cryptomonnaies est tout simplement un moyen de survie. Et oui, lorsque votre monnaie s’effondre et qu’il n’est pas possible de se procurer des monnaies de pays plus stables (le dollar), miner des cryptomonnaies peut vite devenir votre seule planche de salut.
Plus étonnant, certains gouvernements voient officiellement le Bitcoin d’un bon œil. C’est le cas au Japon, et jusqu’à la banque centrale du Japon ! Rappelons qu’il y est légalisé depuis Avril 2017.
Pour bien comprendre, il faut savoir que les banquiers centraux au Japon (et même partout dans le monde) sont désespérés de trouver la formule magique qui les sortira de la déflation. Le Bitcoin semble être capable d’offrir tout cela auprès du public japonais, et en particulier ce fameux effet de richesse (« wealth effect ») qu’ils ont cherché à mettre en place pendant si longtemps à coup de billions de Yens.
Certains pays, isolés au plan international, et n’ayant pas d’accès au système Swift semblent vouloir se reporter sur le Bitcoin : https://cointelegraph.com/news/iran-and-russia-discuss-transacting-in-crypto-to-avoid-international-sanctions">c’est le cas de l’Iran qui étudie cette solution pour ses échanges avec la Russie.
Au Nigeria, les cryptomonnaies s’imposent et permettent de conserver la valeur, ce que ne permet pas la devise nationale, le Naira, en chute face au dollar US.
Même en France dans certains cercles politiques, la tendance est plutôt à l’intégration du Bitcoin dans la comptabilité des entreprises. C’est dire !
« Et qu’en disent les banques ? »
Vous en étiez peut-être resté à Jamie Dimon, le patron de JP Morgan qualifiant le Bitcoin de « fraude » en fin d’année dernière ?
Et bien, il semble qu’ils aient fait un 180° avec la création d’une entité spécialisée sur les cryptomonnaies.
Goldman Sachs est allé plus loin en annonçant se lancer dans le courtage de produits financiers liés au Bitcoin.
Si Goldman et JP Morgan, les 2 piliers de la banque d’investissement se mettent à aller dans le sens des cryptomonnaies, vous pouvez être sûr que celles-ci ne vont pas disparaitre du jour au lendemain.
Lentement mais sûrement, c’est avant tout la nouvelle génération de banques en ligne qui va permettre de démocratiser l’accès à ces monnaies, en permettant d’échanger instantanément des monnaies nationales contre des cryptomonnaies. N26, la banque allemande l’a annoncé pour l’année 2018.
Chez Revolut, son concurrent qui vient d’annoncer une nouvelle levée de fonds de 250 millions de dollars, permet déjà d’acheter des Bitcoins, Litecoins et Ethereums entre autres.
Revolut annonce viser les 100 millions de clients d’ici 5 ans (pour vous donner un ordre de grandeur, le groupe BNP Paribas a environ 18 millions de clients).
Le jour où les GAFAs (Google, Amazon, Facebook,…) se mettront en tête de se lancer dans le monde bancaire, ils pourront difficilement faire l’impasse sur les cryptomonnaies pour se différencier.
« Et l’électricité ? »
Aujourd’hui, apparemment la quantité d’électricité permettant de faire fonctionner le réseau Bitcoin serait équivalente à celle qui est nécessaire pour l’Irlande. L’étude de l’économiste Alex de Vries est sujette à caution, en particulier parce qu’il n’y a pas de moyen effectif de connaitre l’ensemble des fermes à Bitcoins répartis sur la planète, … mais admettons qu’il y ait effectivement un problème d’énergie.
Cette énergie est, pour l’instant, le prix à payer pour obtenir un réseau mondial, décentralisé, résilient et capable de supporter un certain nombre de transactions par seconde.
Cette énergie est quand même à mettre en parallèle avec celle nécessaire pour alimenter les DABs (Distributeurs Automatiques de Billets), l’ensemble du réseau Swift, et tout le système d’alimentation des réseaux bancaires en papier monnaie. L’énergie correspondante n’est vraisemblablement pas valorisée correctement.
Mais clairement, ce n’est pas satisfaisant.
Et bien, encore une fois, il y a des solutions. Bitcoin utilise le système des preuves de travail (« proof of work »). D’autres technologies ont été développées, en particulier le « Proof of Stake », le « Distributed Proof of Stake » et les efforts de réflexion ne font que commencer.
Dans le même genre, L’implémentation progressive du Lightning Network va permettre de gérer les micro-transactions, ce qui n’était plus vraiment possible et avait conduit à la suppression de l’acceptation des Bitcoins par la plateforme de jeux, Steam.
Je suis assez optimiste sur le fait que des solutions seront trouvées pour rendre acceptable l’énorme besoin en énergie.
Et si le Bitcoin n’est pas la meilleure solution et ne parvient pas à évoluer dans le sens d’une meilleure consommation d’énergie, il sera remplacé par EOS ou par une autre technologie de cryptomonnaie. C’est la loi du marché et c’est très bien comme cela.
En conclusion
Se plaindre du prix délirant des cryptomonnaies n’a plus de sens aujourd’hui.
Si le Bitcoin augmente, c’est parce que l’on a supprimé le prix effectif des métaux précieux, qui traditionnellement jouaient le rôle de valeur refuge, face à la folie de l’impression monétaire.
Et si les métaux précieux n’ont plus d’utilité, c’est parce qu’ils ont été reliés, à leur corps défendant, au système papier, par le biais de produits financiers dérivés.
Pour le dire autrement, 99,6% de l’or vendu dans le monde est de l’or papier : le prix effectif de l’or, tel qu’il est affiché quotidiennement sur les marchés dépend à plus de 99% des échanges papiers.
Dans ces conditions, il est très facile pour ceux qui contrôlent le papier, c’est-à-dire l’impression monétaire, de faire varier les cours à leur guise.
L’or (et de manière générale, les métaux précieux) sont le canari dans la mine que les banquiers centraux ne veulent surtout pas voir augmenter, sous peine de doucher leurs discours de reprise globale de l’économie. Et pourtant, les faits sont clairs : chaque dollar de PIB gagné depuis 2008 s’est fait au prix d’un endettement gigantesque, insoutenable sur le long terme. Mêmes les grands acteurs comme le FMI tirent la sonnette d’alarme sur la dette. Ou plutôt, ils préparent les esprits de façon à ne pas prendre la totalité du blâme quand la catastrophe se produira.
Cela ne date pas d’aujourd’hui que les gouvernements essaient de payer leurs dettes en monnaie de singe. Comme le rappelle déjà Voltaire, la monnaie papier retourne toujours à sa valeur intrinsèque qui est de zéro.
En temps normal, face à l’impression de papier, l’or est une valeur refuge qui ne porte justement la marque d’aucune nation en particulier. C’est dans cette logique que, de Gaulle, qui avait pressenti l’utilisation de la planche à billet par les américains avait ordonné le rapatriement des réserves d’or françaises. Et ce, à une époque où la convertibilité du dollar en or était encore garantie par les accords de Bretton-Woods.
La valeur effective des métaux précieux en monnaie papier (Dollar, Euro, Yen,…) a été supprimée.
Le vrai scandale est là. Pas dans la valeur actuelle des cryptomonnaies.