La question des dettes
Pour ce qui est des dettes, on sait aussi que la dette souveraine de nombreux pays, dont la France à 97%, est émise dans le droit de ce pays. Or, la règle, établie par la cour d’arbitrage internationale depuis la fin des années 1920, est que tout titre émis dans le droit du pays « x » doit être payé dans la monnaie du pays « x », quel que soit le nom de cette monnaie. C’est ce que l’on appelle la lex monetae. Cela veut dire que si la France décide de quitter l’Euro et de revenir au Franc, 97% de notre dette publique sera immédiatement et sans contestation possible, re-dénomminée en Franc. De ce point de vue, le seul pays qui serait obligé de faire défaut sur sa dette souveraine serait la Grèce car plus des deux-tiers de sa dette est émis en droit étranger.Parler soit d’une multiplication importante pour la dette française comme le font Nicolas Sarkozy et les dirigeants de l’ex-UMP, ou au contraire parler d’un possible défaut, comme le fait J-L Mélenchon, n’a aucun sens. Pour les uns, cela relève du mensonge pur et simple. Les dirigeants de l’ex-UMP ne peuvent pas ignorer la composition et la nature de la dette souveraine de la France, et donc ignorer qu’une sortie de l’Euro serait ici indolore. Pour ce qui est de J-L Mélenchon, l’erreur provient de son incompréhension du mécanisme des dettes publiques.
En ce qui concerne les dettes privées, une grande part de ces dernières est placée auprès d’acteurs français. Il n’y aura aucun problème en cas de sortie de l’Euro. Pour les entreprises multinationales françaises, une large part de leur endettement est souscrite par des non-résidents. Mais, ces entreprises font aussi une large part de leur chiffre d’affaires hors de France. Dès lors, en cas de sortie de l’Euro accompagnée d’une dépréciation du « nouveau » Franc, les dettes seraient réévaluées mais le chiffre d’affaires (et les profits) aussi ! Les calculs qui ont été fait par diverses banques indiquent que les deux mécanismes s’équilibrent.
La question des flux financiers
Il reste le problème des flux financiers entre pays, qu’ils soient dans la zone Euro ou hors de la zone Euro. Techniquement, les grandes banques internationales se sont déjà préparées à la perspective d’une dissolution de l’Euro. Il conviendrait de suspendre les transactions financières pour une durée de 24 à 72h, puis de limiter les mouvements à très court terme (qui relèvent essentiellement de la spéculation) pour une période d’environ 6 mois.L’image d’une sortie de l’Euro provoquant un « désastre » relève donc de la fiction. C’est une fiction dont les partisans de l’Euro se servent pour alimenter des peurs au sein des populations. Il faut remarquer que ce sont les mêmes qui accusent Marine le Pen et le Front National de jouer sur la peur qui, en réalité, tiennent un véritable discours de peur et cherchent à provoquer une réaction de panique chez les électeurs. Ce point est important. En fait, la peur semble bien devoir être le seul argument que les partisans de l’Euro peuvent encore utiliser devant la faillite complète de l’Union Economique et Monétaire.
Les avantages d’une sortie de l’Euro
Maintenant, il faut être aussi conscient que les avantages d’une sortie de l’Euro, et ces avantages sont nombreux que ce soit dans le domaine de la croissance, de l’emploi, mais aussi du rétablissement des comptes publiques, seront affectés par les conditions dans lesquelles se fera cette sortie et par la politique qui sera conduite une fois la question de l’Euro résolue. L’Euro peut disparaître par une décision concertée, commune à l’ensemble des pays de la zone, comme il peut disparaître par une succession de crise donnant lieu à des sorties, chacune aggravant la crise et conduisant un nouveau pays à sortir à son tour. Cette hypothèse est la plus défavorable.Mais, même dans cette hypothèse, et en supposant que la France soit l’un des derniers pays à sortir de l’Euro, notre situation serait meilleure que la situation actuelle. Ensuite, un point important sera celui des politiques à mettre en place une fois la sortie de l’Euro effectuée. Il est clair que si le gouvernement alors en place donnait la priorité au désendettement de la France, et cherchait à maintenir le taux de change à un niveau surévalué, les avantages de la sortie de l’Euro seraient très faibles. Mais ils ne seraient pas nuls. Par contre, avec une politique rompant de manière décisive avec les politiques menées depuis ces 25 dernières années et donnant une priorité à l’investissement, les avantages d’une sortie de l’Euro seraient impressionnants[1]. C’est pourquoi j’ai toujours dit que la sortie de l’Euro était une condition nécessaire, c’est à dire que tant que nous restons dans l’Euro rien n’est possible, mais nullement une condition suffisante. Ce point est important car, trop souvent, nombre des adversaires de l’Euro présentent la sortie de la monnaie unique comme une panacée, ce qu’elle n’est pas.
Quand fut rédigée la brochure pour la fondation ResPublica où ont été estimées les conséquences possibles d’une sortie de l’Euro, une bonne part des discussions qui se sont déroulées avec Cédric Durand et Philippe Murer, les deux autres co-auteurs de cette dite brochure, portaient justement sur l’ampleur des gains que l’on pouvait attendre d’une telle sortie. Les premiers résultats, donnés automatiquement par le modèle nous avaient semblé fantastiques, au point que nous avons délibérément corrigé à la baisse certains de ces résultats. Même ainsi, une sortie de l’Euro conduirait à près de 2 millions de créations d’emploi supplémentaires à court terme, rien que pour la catégorie « A » de la DARES. Avec les effets induits (plus d’emplois implique plus de cotisation, donc un retour à l’équilibre des régimes retraites et santé, donc la possibilité de baisser les cotisations individuelles, etc…), on arriverait en cinq ans à près de 3,5 millions de créations d’emplois, c’est à dire à un retour au plein emploi. Il faut avouer que l’on peut avoir des doutes sur de tels chiffres, parce que les changements d’échelle impliquent des changements dans les relations économiques. Mais, on peut considérer qu’une baisse du chômage des deux-tiers constitue une prévision robuste et crédible.
L’Euro est-il une protection ?
Un dernier argument, fréquemment utilisé dans le débat sur l’Euro est que ce dernier permettrait aux pays membres de s’affirmer face aux Etats-Unis et à la Chine. Mais, cet argument ne correspond nullement à la réalité. La zone Euro, ou l’Union Economique et Monétaire pour l’appeler par son nom véritable, n’a jamais réussi à s’imposer face aux Etats-Unis voire à la Chine. Dans le domaine monétaire, actuellement l’Euro est, certes, la deuxième monnaie de réserve au monde en ce qui concerne les réserves des Banques Centrales. Mais, son poids est de 20%, ce qui est inférieur aux montants cumulés des monnaies des pays de l’UEM avant 1999. Le tout n’est donc pas supérieur à la somme des parties, ce qui témoigne de l’inexistence d’une dynamique de l’Euro.Notons aussi que l’Euro a perdu sa deuxième place face au Dollar en ce qui concerne les monnaies de transactions financières internationales. Cette deuxième place revient désormais au Yuan ! Bien sûr, l’UE est un grand marché, mais ce n’est pas une puissance industrielle, en raison de l’incapacité à formuler une véritable politique industrielle à l’échelle de l’UE. En fait, nombre de projets qui sont présentés comme des projets « européens », ont été conçus dans des cadres bi ou multilatéraux. Il en est ainsi d’Airbus ou d’Ariane. En fait, la réalisation de tels projets serait rendu aujourd’hui si ce n’est impossible à tout le moins très difficile tant par les réglementations européennes que par l’existence de l’Euro.
Enfin, il faut se demander si l’UE, et la zone Euro, ont jamais été réellement conçues comme des instruments d’opposition à la politique des Etats-Unis. Cela recoupe la question de « l’Europe-Puissance » dont on a dit qu’elle était un mythe, voire un mensonge. En fait, la CEE et l’UE ont été conçues comme des appendices économiques à l’OTAN. L’UE a été le principal instrument de la mondialisation en Europe, le principal facteur de démantèlement des protections nationales. On le voit encore dans la manière dont se déroule la négociation sur le partenariat transatlantique ou TAFTA. L’UE est en réalité un cheval de Troie des Etats-Unis.
Vichy c’est l’Euro ?
Il faut ici réfléchir à ce que révèle ce type d’argument dans l’inconscient de ceux qui l’utilisent. Il y a aujourd’hui un pessimisme profond dans les élites françaises à propos de la survie de la France. Ce pessimisme qu’exprime un François Hollande ou un Nicolas Sarkozy, c’est celui qui pense que sans l’Union européenne il n’y aurait plus de France. Ce pessimisme pense que la France ne peut faire face au monde qu’en disparaissant dans une entité plus vaste. Or, ce discours, nous l’avons déjà entendu dans notre histoire, et en particulier de 1940 à 1944. Ce fut le discours du régime de Vichy, théorisant la défaite de juin 1940. Ce fut par exemple le discours de Pierre Laval, ancien socialiste et partisan de la déflation quand il fut Président du Conseil en 1935, deux points qui le rapprochent de François Hollande, quand il s’exclame sur les ondes de Radio-Paris « je souhaite la victoire de l’Allemagne ».En fait la politique européenne menée par nos deux derniers présidents, que ce soit Nicolas Sarkozy ou François Hollande, s’inscrit, consciemment ou inconsciemment, dans la filiation de la politique de renoncement de Vichy. Il en est ainsi parce que ces deux hommes se sont toujours opposés en réalité au Général de Gaulle, et ne cessent de le combattre quotidiennement quand bien même ils le louent par la bouche ou la plume. Il faut donc ici revenir sur ce que le désastre de 1940 nous apprend sur les élites françaises, dont on sait qu’une partie préférait Hitler au Front Populaire. C’est en réalité ce vieux fond réactionnaire, pétainiste, héritier de Vichy, qui ressort dans l’argument que seul l’UE pourrait nous protéger face aux Etats-Unis et à la Chine.
[1] Voir Sapir J., Les scénarii de dissolution de l’Euro, (avec P. Murer et C. Durand) Fondation ResPublica, Paris, septembre 2013.