Les dangers de lâinflation
Tout le monde connaît le bon et le mauvais cholestérol. Il en va de même avec lâinflation. Au risque de choquer il y a bien la bonne et la mauvaise inflation.
Essayons de définir ce qui nâexiste pas officiellement, à savoir la bonne inflation, ce qui est interdit par les temps qui courent, dans la mesure où la pensée unique économique nous explique que lâinflation câest forcément mauvais.
Souvenons nous dâun temps pas si lointain.
Câétait un temps que beaucoup ont vécu, câétait un temps de plein emploi ou presque, câétait un temps de reconstruction, câétait un temps dâinsouciance, où demain serait meilleur quâaujourdâhui et où nous entrions dans la modernité, le progrès et la consommation de masse.
Câétait un temps où nous avions besoin de bras où, ceux qui avaient juste un
La croissance économique, les barrières mises aux frontières comme les contrôles des changes, le besoin de tout type de travailleurs voire même la pénurie de personnels qualifiés faisaient peser une pression à la hausse sur les salaires qui montaient et se réajustaient fortement en suivant voire en dépassant le taux dâinflation.
Il sâagissait donc dâune « bonne inflation » celle qui réduit le poids potentiel des dettes.
Par quel mécanisme ? Imaginez une dette représentant une mensualité de 100 FrF (ce nâest pas une erreur à lâépoque lâeuro nâexistait pas encore) sur un salaire de 1000 Francs. 7 Ans après le salaire est devenu 2000 Francs mais le remboursement de crédit, qui était à taux fixe, lui, est resté à 100 FrF. Le poids de la dette a été divisé par deux. Il en était de même pour la dette des états.
Il sâagit donc dâune inflation qui permet de diminuer les dettes, dâacquérir sa résidence principale avec une relative facilité; câest une inflation qui pénalise les rentiers et les financiers (lâinflation rogne toujours lâépargne) au profit de lâentrepreneur et du producteur. Bref une inflation pas si mauvaise pour lâéconomie réelle.
Sauf que ces temps sont révolus.
Aujourdâhui nos sociétés fabriquent de la mauvaise inflation. Celle qui appauvri. Pourquoi ?
Et bien imaginez une dette qui représente cette fois 1000⬠(câest le montant de la mensualité moyenne d'un crédit immobilier) sur un salaire de 3000â¬. 7 ans après le salaire ayant été revalorisé de 0.6%/lâan il est de 3109,63302⬠(très précisément) or le litre dâessence a augmenté (à cause des taxes et de lâinflation), les produits alimentaires ont augmenté (à cause de lâinflation et de la spéculation sur les matières premières alimentaires), les impôts ne baissent pas (sans doute à cause de lâinflation) et le poids de votre crédit immobilier est resté quasiment le mêmeâ¦.
Bienvenue dans le monde actuel où vous expérimentez la mauvaise inflation.
Pourquoi est-elle devenue mauvaise cette inflation ?
Parce que dans les temps modernes où nous vivons, il existe de très fortes pressions à la baisse sur les salaires en raison :
  - du progrès technique, informatique, robotique qui fait que lâon réalise les mêmes tâches avec beaucoup moins de personnels. Ce phénomène appelé « démassification » a commencé dans les années 70 avec une accélération exponentielle dans les dernières années. Â
  - de la mondialisation, qui occasionne un nombre de plus en plus important de délocalisations entraînant la désindustrialisation rapide de lâOccident au profit des pays émergeants comme la Chine, qui ne commence à exister, sur la scène internationale, quâà partir de 2003.
Ces pertes dâemplois massives générées par ces deux phénomènes ont crée un chômage de masse structurel qui est en augmentation constante depuis maintenant 30 ans et que rien ne semble pouvoir enrayer.
Mais alors comment dans un tel contexte déflationniste envisager le retour de lâinflation?
La crise de 2008 nâest que la conséquence de la démassification et de la mondialisation. Lâépisode dit des subprimes matérialise le fait que pour poursuivre notre croissance, à défaut dâaugmentation de salaire, nous avons tous collectivement augmenté nos revenus avec de la dette, dette des ménages, des collectivités, des états et des entreprises.
Dès lors, pour éviter la récession, les banques centrales se sont lancées dans des politiques de création monétaire au-delà de toute raison économique aggravées (car venant se cumuler) par les stimulations monétaires ayant déjà eu lieu suite à lâexplosion de la bulle internet puis au choc provoqué par les attentats du 11 septembre 2001. Pour essayer de combattre une crise dâendettement généralisée des états, on a tenté de soigner le mal par le mal, en rajoutant encore de la dette à la dette (les plans de relance) sans sâattaquer aux causes profondes.
Les volumes de liquidités désormais existants font craindre lâapparition dâune inflation forte dont les prémices commencent à être visibles par l'augmentation des prix de certains actifs (actions des pays émergeants, or, pétrole, matières premières agricoles...) sur lesquels des flots de milliards de dollars se déversent chaque jour.
Si une inflation forte sans qu'elle puisse être accompagnée d'augmentation de salaire devait venir se greffer sur la reprise économique naissante cela aurait un impact dévastateur sur le pouvoir dâachat de nos concitoyens et donc paradoxalement sur la reprise quâelle viendrait très vite étouffer.
Câest pour cela sans doute que le Président de la Banque Centrale Jean-Claude Trichet a déclaré début janvier 2011 quâil nâhésiterait pas à remonter les taux dâintérêts en cas de résurgence avérée de lâinflation, mais en espérant sans doute à ne pas avoir à le faire car si les taux devaient augmenter de façon importante, la faible croissance économique serait brisée nette et lâendettement excessif des états deviendrait vite insupportable⦠Bref il est des situations inextricables.
Dâaccord, mais justement, lâinflation était censée être bien pratique pour ne pas vraiment rembourser ses dettes ou en tout cas rendre les échéances de remboursement moins douloureuses avec le temps ?
Nous venons de voir que ce mécanisme de lâinflation qui érode les dettes était valable dans un monde fermé ce qui nâest plus le cas. Une inflation sans augmentation de salaire, non seulement ne rend pas les dettes plus « faciles » à payer, mais en plus diminue systématiquement le pouvoir dâachat des ménages, rendant la dette en réalité de plus en plus lourde à payerâ¦.
A ce premier mécanisme vient se greffer un autre élément dont on parle peu et qui est très important. Câest celui de la « maturité de la dette ». Pour faire simple, câest la date à laquelle on doit rembourser le principal dâun emprunt. Contrairement aux particuliers lorsque les Etats empruntent de lâargent ils « nâamortissent » pas le prêt comme câest le cas par exemple pour un crédit immobilier ou tous les mois les ménages remboursent une part dâintérêt et un part de capital pour arriver à zéro à lâéchéance.
Lâendettement des états fonctionne comme un crédit « in fine ». Tous les ans on ne paye que les intérêts dus puis à lâéchéance (c'est-à -dire lorsque la dette arrive à maturité) on rembourse lâintégralité du principal c'est-à -dire la somme initialement empruntée.
Or pour rembourser un principal encore faut-il avoir de la trésorerie, ce qui nâest pas le cas de nos états en déficits chroniques. Les états font donc « rouler » leurs dettes, en remboursant la dette N°1 par lâargent obtenu dâun emprunt N° 2 (ce qui nâest pas sans faire penser à un certain système Madoff).
Ce qui est donc important câest de savoir à quelle échéance, c'est-à -dire à quelle maturité les états doivent rembourser les dettes. Et là le tableau ci-dessous est édifiant. Les USA pour ne citer quâeux doivent rembourser leur dette dans les 4 ans qui viennent⦠une durée bien trop faible pour quâune inflation mesurée et maîtrisée puisse venir lâéroder.
Câest pour ces raisons, que la crise actuelle ne peut en aucun cas accoucher dâune inflation « positive », et câest pour cela que sa réapparition quasi inéluctable est porteuse de grands dangers et de grands risques de déstabilisation sociale pour les années à venir que seule une régulation forte et coordonnée pourra venir tempérer.
Â
Pays
|
Maturité (années)
|
Dette (% PIB)
|
Déficit (% PIB)
|
Roy.-Uni
|
12,8
|
68
|
11,4
|
Grèce
7,4
115
8,1
Espagne
6,7
57
10,4
France
6,5
87
8,2
Allemagne
6
73
5,7
Japon
5,2
218
9,8
Etats-Unis
4,4
83
11
Source Moneyweek 9/06/2010
Charles SANNAT
Chargé d’Affaires
Les propos tenus dans cet article ne reflètent pas l’opinion de
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