Bon, comme j’en vois quelques uns qui ne suivent pas trop dans le fond, je vais résumer un peu le débat.
Actuellement, nous avons d’un côté un petit noyau de personnes qui connaît les rouages de l’économie et qui ont, jusqu’à présent, assez bien réussi à prédire ce qui allait se passer. De l’autre, nous avons une masse, informe et un peu molle, de gugusses qui n’ont aucune idée de la façon dont l’économie fonctionne, mais qui ont une idée bien arrêtée de la façon dont les flux de pognon doivent se diriger dans leurs poches. Et comme bien souvent dans l’Histoire, ce sont donc ces personnes qui sont à la pointe des décisions économiques les plus importantes.
Pour une fois, je ne parlerai pas trop du second groupe : tout le monde sait que si les politiciens et les économistes officiels que l’état nous jette devant les écrans télés y comprenaient quelque chose, on ne serait pas dans un caca noir depuis quarante ou cinquante ans. Ceci posé, intéressons-nous au premier groupe, celui du petit nombre de personnes qui ont une idée assez précise de la façon dont fonctionne l’économie.
Dans ce groupe, on trouve, de façon certes schématique mais à peu près exacte, deux sous-groupes : l’un pense que les agitations frénétiques des banquiers centraux pour injecter de la monnaie va finir par provoquer des trucs et des machins. Je passe rapidement sur le cas des imbéciles qui pensent que tout ceci va finir par se tasser et bien se terminer, c’est juste amusant de naïveté (cela ne s’est jamais produit dans l’histoire de l’humanité, même pas sur un malentendu, on voit donc mal pourquoi cela se produirait justement maintenant, alors que la situation est plus critique que jamais et que nous avons hérité de la plus belle bande de bras cassés à laitage cervical brassé au bifidus inactif – Krugman ? Franchement. Bernanke ? Sérieusement ! Draghi ? Tsk tsk, allons. DSK ? Hmpf, vous voulez me faire mourir de rire ? Un peu de sérieux).
(celui qui a susurré Attali n'est même plus drôle. La caricature est trop grosse.)
Quant à l’autre sous-groupe, il est composé de ceux qui pensent que les forces en présence sont bien trop fortes pour être contrebalancées par la compulsion maladive et délétère des gouvernants, et qui sont donc persuadés que les particuliers et les entreprises, i.e. tous les acteurs économiques, n’ont que faire de ces montagnes de papier et diminuent la voilure plus vite que ce que les imprimeurs de Francfort et Washington ne sont capable de suivre.
Bref : d’un côté, nous avons ceux qui pensent que les années qui viennent seront placées sous le sceau d’une inflation plus ou moins forte. Et de l’autre, nous avons ceux qui pensent que la déflation l’emportera au moins pendant un temps.
Le débat n’est pas que purement théorique. En effet, l’issue (savoir qui, finalement, tombera juste) permet, au niveau individuel, de savoir quel comportement adopter au moins dans les prochains mois. Et de façon plus générale, savoir si l’on se dirige vers (ou si l’on est déjà dans) une déflation ou une inflation carabinée, c’est savoir quelle politique il vaut mieux adopter. Et lorsqu’on comprend les implications de ce débat, on comprend où se trouvent les intérêts des uns et des autres, et pourquoi les politiciens tentent actuellement certains types de solutions plutôt que d’autres.
En effet, en période de déflation, celui qui épargne s’enrichit, alors que celui qui est couvert de dette s’appauvrit. Inversement, en inflation, l’épargne est progressivement lessivée, et la dette s’efface dans la monnaie de singe. Évidemment, c’est vrai au niveau individuel, mais c’est aussi exact au niveau étatique, avec l’effet « facteur multiplicatif » que la puissance de frappe inhérente aux États provoque. Autrement dit, avec des dettes colossales, on risque un appauvrissement colossal lors d’une déflation (kolossale elle aussi). Et pour effacer de telles dettes, il faut une inflation maousse… qui frise l’hyperinflation.
Qu’observe-t-on actuellement ?
Justement, c’est assez difficile à dire, les chiffres étant bidouillés à loisir par l’État (les statistiques, notamment distribuées par les institutions étatiques, étant tout de même la voie royale pour le mensonge politique). On peut cependant constater la chose suivante : les gouvernants veulent de l’inflation, et font absolument tout pour en obtenir. Au Japon, on multiplie les injections monétaires depuis 20 ans. En Europe, Draghi expérimente des méthodes amusantes d’arrosage avec des sprinklers industriels de beau calibre. Aux États-Unis, Bernanke est passé de l’hélicoptère à la flottille d’Hercules C130 en rotation continue.
Mais pourtant, malgré ces masses considérables de monnaie injectée dans un système que tous s’accordent à décrire comme à bout de souffle, … les prix restent obstinément sages. Certes, le pétrole augmente effectivement, mais la réalité, c’est que le prix du baril est autant sujet aux tensions internationales et aux spéculations afférentes qu’à la stricte perte de crédibilité du billet vert. D’ailleurs, le baril augmente d’autant plus facilement que de plus en plus de nations choisissent de se départir du dollar comme monnaie d’échange (les efforts du Brésil, de la Russie, de l’Inde ou de la Chine pour échanger dans différentes monnaies directement, sans passer par un pivot-dollar traduisent cette perte notable d’influence). Et le reste de l’inflation est imputable à la « part-pétrole » des produits considérés (nourritures, par exemple). Or, cette inflation constatée n’est pas en rapport direct avec les masses injectées.
C’est ici que je peux conseiller la lecture, fort instructive, d’un court essai de Vijay Boyapati, qui détaille les différents éléments du débat Inflation / Déflation. Le texte n’est pas tout jeune (il date de 2010), mais il reste remarquablement d’actualité, est suffisamment peu connu pour qu’on puisse en faire la publicité et bien qu’en anglais, il est facile à lire. En outre, il offre un bon panorama des définitions des phénomènes (inflation, déflation, réserve fractionnaire, le multiplicateur monétaire et l’histoire de la Federal Reserve), ainsi qu’une explication limpide des conclusions obtenues : c’est bien la déflation, dans les prochains mois, qui l’emportera.
En substance, l’auteur remarque les éléments suivants à l’appui de sa thèse :
1. Le rôle de réserves monétaires des banques commerciales n’a pas cessé de diminuer. Normalement, les banques commerciales n’ont la possibilité de prêter qu’à hauteur d’un ratio fixé, leur assurant une réserve de fonds physiques sur les comptes de dépôt. Grâce à l’utilisation de mécanismes automatiques où tout ce qui dépasse un plafond donné sur des comptes de dépôt — normalement sans risques, i.e garantis à 100% — est immédiatement déposé sur des comptes rémunérés — mais plus risqués — , les banques peuvent disposer d’une quantité de monnaie plafonnée sur les comptes de dépôt, avec une quantité grandissante sur tous les autres comptes. Autrement dit, la base de réserve est proportionnellement toujours plus petite par rapport aux fonds mis en jeux dans le système bancaire en général ; tout se passe comme si les banques commerciales opéraient sans contraintes de réserve (ou presque).
2. Normalement, les banques doivent attendre d’avoir les réserves disponibles pour commencer à émettre des prêts. En théorie, une banque ne pourrait pas créer de la monnaie (= faire un nouveau prêt) tant que les réserves ne sont pas ajustées au ratio légal permettant de « sécuriser » ce prêt. En pratique, les banques s’affranchissent à peu près de cette contrainte : différentes études (citées dans le papier) montrent l’absence presque totale de lien entre les réserves encaissées ou décaissées par une banque et sa propension à émettre des prêts. Du reste, lorsque vous, particulier, allez demander un prêt à la consommation, immobilier ou autre, la banque va essentiellement vérifier votre capacité de remboursement, éventuellement, vos propres réserves, mais ne décidera pas de la possibilité de vous donner ou non le prêt en fonction de ses propres réserves à elle.
3. Enfin, l’observation qu’une injection de monnaie dans le système bancaire est corrélée à l’augmentation des prix, n’en fait pas une causalité ; mieux : puisque les banques prêtent en ne tenant compte que de façon très approximatives de leurs réserves, les réserves éventuellement créées par les banques centrales ne sont pas celles qui sont utilisées pour émettre de nouveaux prêts. Ainsi, en 2007, la masse M2 (la base monétaire et les dépôts à court terme) s’établissait en moyenne à 7.250 milliards de dollars, et les montants normalement utilisables pour des prêts se montaient à 600 milliards (environ 8% de M2) alors que les prêts bancaires montèrent autour de 6250 milliards (86% de M2). Les banques, en pratique, utilisent une partie de leur passif (managed liabilities) pour distribuer les prêts. Il est à noter que cette pratique a pris beaucoup d’essor après 1990. Ceci montre que, petit à petit, les banques se sont détachées, pour leurs activités de prêts, des banques centrales et sont donc nettement moins impactées par les décisions d’injection monétaire.
4. Les injections monétaires qui suivirent l’éclatement de la bulle immobilière aux États-Unis furent essentiellement motivées par le désir d’éviter la panique des déposants. Pour Bernanke, les banques subissaient les effets délétères de réactions irrationnelles des vendeurs, avec un accroissement dangereux de leurs pertes sèches. Une
Cette lutte contre toute forme de déflation est parfaitement compréhensible. Comme je le faisais remarquer dans mon billet d’hier, si les politiciens adorent l’inflation et abhorrent la déflation, c’est simplement parce que l’inflation est un impôt caché sur tous et un appauvrissement de tous les autres, là où la déflation appauvrit la masse brutalement tout en redistribuant visiblement la richesse sur ceux qui ont fait preuve de flair. Politiquement, la déflation porte en elle le risque de mouvements sociaux violents…
(Cliquez sur l’image pour avoir toute l’histoire, écrite en 2008 et toujours d’actualité)
Muni de ces éléments, Vijay Boyapati aboutit à la conclusion que, bien que les banques centrales aient le pouvoir théorique de création monétaire illimitée, leurs existences même sont liées aux intérêts bien compris de la « classe des banquiers » qui ne sont pas prêts à céder trop vite aux sirènes politiques : monétiser signifie, inévitablement à moyen ou long terme, une perte de pouvoir par dilution de la monnaie (le dollar la-bas, l’euro ici). D’un autre côté, ces mêmes banques centrales feront absolument tout pour éviter des mouvements sociaux brutaux qu’une déflation sévère entraînerait. Le chemin sera donc étroit puisqu’il consistera à placer, progressivement et de façon continue, l’ensemble des marchés où sont concentrés les dettes (immobilier, puis, maintenant, celui des dettes souveraines) dans un état de stagnation aussi molle que possible, dans lequel les pertes seront lentement digérées.
La déflation risque donc de durer aussi longtemps que possible.
Bien sûr, lorsque les dettes seront suffisamment apurées, la confiance reviendra, de nouveaux prêts seront consentis. Et là, l’expansion monétaire reprendra. Pleine de vigueur.
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Référence de l’article : Vijay Boyapati, “Why Credit Deflation Is More Likely than Mass Inflation: An Austrian Overview of the Inflation Versus Deflation Debate,” Libertarian Papers 2, 43 (2010). Online at libertarianpapers.org. Creative Commons Attribution 3.0 License.