Et à lire les articles (cités plus haut), on se demande exactement comment l’industrie des télécoms en France parvient encore à fournir le moindre service. À en croire le rapport commandé par la Fédération Française des Télécoms au cabinet Arthur D. Little, la situation est véritablement catastrophique.
Bon. Il est vrai, si l’on regarde les chiffres, que les opérateurs ne sont pas exactement bondissants de joie dernièrement en Europe : là où, dans le monde, le secteur des télécoms a gentiment bénéficié d’une croissance de près de 50% entre 2006 et 2011, les pauvres européens, eux, dans leur coin, n’ont observé une augmentation que de 7%. C’est franchement tristounet, cette micro-croissance européenne.
D’un autre côté, dans un continent en crise et alors que le monde traverse une phase particulièrement délicate avec un risque de partage en slip bien tangible, réaliser tout de même 7% de croissance, ce n’est pas si mal. D’ailleurs, on devrait mettre les opérateurs en relation avec les grandes industries du secteur automobile, cela redonnerait un peu le moral aux premiers (et achèverait à coup de cafards mous les seconds). Et puis, pour faire bonne mesure, on pourrait utiliser Montebourg comme entremetteur, je suis sûr qu’il aurait des histoires de voitures intéressantes à faire connaître aux opérateurs mobiles, mais bon, je divague.
Bref : au contraire du frétillant Arnaud dont on se doute que la déconnexion avec le réel joue beaucoup dans sa bonne mine d’innocent, les opérateurs tirent la tronche.
À l’exception, en France, de Free, mais on pouvait s’en douter.
D’ailleurs, l’analyse du rapport Little, dans ses pistes pour expliquer cette morosité des opérateurs, évoque justement la concurrence : celle-ci, féroce et sans merci, permettrait de comprendre pourquoi les pauvres acteurs du marché sont actuellement si malmenés. Pif, paf, pouf, ils se sont filés de méchants coups, finis les marges de gorets potelés depuis que Free a débarqué. Bon, évidemment, cette explication laisse un brin songeur lorsqu’on se rappelle que dans le reste du monde, la concurrence n’est pas spécialement plus tendre qu’en France (loin s’en faut même) et que pourtant, comme précisé dès le début de l’étude, ils parviennent tout de même à engranger 50% de croissance, eux.
La concurrence n’étant pas une raison réellement satisfaisante, on découvre une autre explication. Et c’est là que ça va devenir un peu plus rigolo puisque les fins analystes s’accordent alors à dire que les faibles progressions des opérateurs seraient aussi dues à la généreuse baston fiscale dont ils sont les victimes, d’une part, et — surtout — la non-baston fiscale dont sont bénéficiaires les (salauds d’) étrangers. Apparemment, certains pays comme le Luxembourg avec une TVA faible et l’Irlande avec un modeste impôt sur les revenus des sociétés favorisent honteusement l’implantation des grosses entreprises de télécoms chez eux au lieu de les caillasser copieusement comme il est de bon ton chez nous.
Et à la suite de cette constatation qui révolte la fibre fiscaliste française, immédiatement, trois axes d’action sont proposés, paf, comme ça, sans
- Pour aider directement le secteur dans ses gros investissements bien lourds, l’État pourrait par exemple inciter les foyers à se jeter sur la fibre optique en ménageant une niche fiscale, ou une incitation, ou un abattement, ou n’importe quoi de fiscalement rigolo qui pousse les gens à s’équiper. Bon, il semble que ce manque à gagner fiscal devra être compensé ailleurs (par une tabassothérapie fiscale en règle, mais baste, il faut ce qu’il faut).
- Comme une partie des soucis des opérateurs nationaux provient directement du fait que les opérateurs étrangers sont hors de portée de la volée de bois vert fiscale française, il serait de bon ton que l’État régule un peu tout ça en ponctionnant les
gênantsgéants de l’Internet qui, après tout, n’avaient pas à être aussi bons. Et cogner un peu Free aussi, si possible. (Faites nous un package, on discutera des modalités plus tard.) - Et pour envelopper ces petites interventions de l’État, rien de tel qu’un saupoudrage d’interventionnisme d’État dans la création de « pôles numériques organisés autour des opérateurs télécoms et intégrant des PME innovantes » le tout légèrement aidé par l’État avec, vous l’aurez deviné, cet argent magique qu’il trouve sous le sabot d’un cheval, ou qu’il ponctionné dans une poche, ailleurs, loin, avec ou sans raclée fiscale (ou alors si, mais différente, mieux, plus douce, plus discrète, tout ça, quoi).
Je résume.
Les opérateurs franchouilles se plaignent et tentent donc une petite attaque Caliméro pour que le gouvernement sauve l’emploi, protège les marges et les belles rentrées fiscales des opérateurs : eh oui, mon brave monsieur, avec la concurrence et les méchantes ponctions fiscales, les opérateurs télécoms ont bien du mal à tenir la route. Et que proposent nos impétrants pour se sauver du marasme ? Que l’État intervienne un bon coup (de plus), avec quelques ponctions supplémentaires à la clefs, ponctions qui viendront encore accroître le bonheur sirupeux dans lequel nagent déjà nos Caliméros de fête foraine.
Pas de doute : Dieu est un viandard. Car si un bon rire vaut autant qu’un steak, et si, comme le dit Bossuet, « Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes », alors une chose est certaine : en créant les Français, Dieu se tape un steak bien dodu tous les jours.