Dans un article paru sur la Tribune début mars, Alain Madelin fait le pari que dans une décennie le monde connaîtra une "hypercroissance", une accélération astronomique de notre développement. Il avance deux facteurs pour expliquer cette prospective. Tout d'abord, l'ensemble des continents seront rentrés dans la mondialisation d'ici 2020, et en tireront profit à leur manière, ce qui annonce un niveau d'échanges commerciaux sans précédent dans l'histoire humaine. Ensuite, et surtout, ce qu'il nomme "l'Himalaya de progrès scientifiques et techniques qui est devant nous". Alain Madelin est en train de parler de la Singularité, certainement sans le savoir puisqu'il ne la cite pas.
Parmi les promoteurs de l'idée de Singularité Technologique, il y a un économiste Robin Hanson qui a eu un parcours professionnel et universitaire impressionnant. Je suis toujours estomaqué de voir certaines personnes cumulant les doctorats comme d'autres collectionnent les timbres.
Parmi ses travaux de recherche, il a essayé de déterminer l'impact de la future Singularité sur l'économie mondiale, en se basant sur les précédentes ruptures technologiques. La Révolution Industrielle est souvent considérée comme la "seconde" Singularité, la transition entre l'économie de la "chasse" et l'économie agricole étant la première. D'ou l'intérêt de comprendre ce qui s'est passé. En étudiant notamment la transition entre l'ère agricole à l'ère industrielle, il s'est rendu compte que le taux de croissance s'est accéléré de façon considérable : auparavant l'économie mondiale doublait tous les 900 ans, maintenant elle double tous les 15 ans. Soit 60 fois plus vite.
Ainsi, si la nouvelle Singularité suit le même modèle que les précédentes, il prédit que la croissance mondiale, qui double actuellement tous les 15 ans, pourrait doubler prochainement tous les mois, voire toutes les semaines. Cela semble complètement fou, j'en conviens. Mais lorsque l'on regarde la courbe du graphique ci-dessus, la transition du 17ème siècle paraît elle aussi complètement folle, comparativement à ce qui se passait avant. Pourquoi le phénomène qui s'est déjà produit deux fois, à notre connaissance, ne pourrait-il pas se reproduire une troisième fois ?
Maintenant, essayons d'imaginer la date de transition. Robin Hanson propose l'année 2075. Le gourou de la théorie de la Singularité, Ray Kurzweil, préfère lui l'année 2045, car il pense que la Singularité est étroitement liée à la croissance exponentielle des capacités de computation...
En effet, la somme des connaissances scientifiques et des capacités technologiques est devenue telle aujourd'hui que nous avons, nous humains, de plus en plus de difficultés pour l'appréhender. Nous ne sommes déjà plus capables, pour la grande majorité de la population, de comprendre le fonctionnement des outils que nous utilisons tous les jours. Ce qui nous pousse à créer des machines intelligentes toujours plus sophistiquées pour nous faciliter la vie, qui nous ôte la peine de devoir apprendre à nous en servir. Un jour, nous finirons par confier à ces machines le soin de s'améliorer elles-mêmes, car nous aurons perdu toute faculté de pouvoir le faire nous-mêmes. Ce jour-là, l'innovation sera totalement déléguée aux intelligences artificielles...
Aussi farfelue qu'elle puisse paraître pour certains, la théorie de la Singularité est l'une des plus enthousiasmantes de ce siècle. Quoi de mieux que d'imaginer que l'humanité atteigne un nouveau stade de son évolution ? Et devant les perspectives économiques et les profits considérables qui sont en jeu, la thérorie singulariste a quitté désormais la sphère des illuminés de la première heure pour pénétrer dans celle des financiers adeptes du retour sur investissement. Mais si les humains cessent d'innover, en confiant cette fonction aux machines, vont-ils vraiment profiter de la manne tant espérée, ou vont-ils en être écartés ? Telle est la question.
Aymeric PONTIER
Source :http://aymericpontier.blogspot.com/2011/04/la-theorie-singulariste-de.html