Dans un billet sur les taux de pauvreté, je cherchais à vous convaincre que le la différence dans les taux de pauvreté entre Etats-Unis et la France n’était qu’un artifice, qui traduisait deux différences entre les deux pays, sans rapport direct avec leur capacité à lutter contre la pauvreté. D’abord l’écrasement des classes moyennes en France conduisait à un seuil de pauvreté (défini comme 50% du revenu médian) bien plus bas en France ($10 000 ppa) qu’aux Etats-Unis ($15 500 ppa). Et ensuite, que les Etats-Unis avaient accueillis bien plus d’immigrés venus des pays pauvres, principalement hispaniques, ces deux dernières décennies que ne l’avait fait la France. La part de la population américaine née hors des Etats-Unis est en effet de 12,7%, tandis que la part de la population française née hors de l’Union Européenne n’est que de 5,1%.
L’idée était que si la France accueillait plus d’immigrés, elle aurait aussi beaucoup plus de pauvres. Cette thèse amène naturellement à s’interroger sur le devenir de nos immigrés.
A ce propos, j’ai découvert des données compilées par Yann Algan (Sciences Po), Christian Dustmann (University College London), Albrecht Glitz (Barcelona GSE) et Alan Manning (London School of Economics), et dont l’objet est de comparer la situation économique de la population immigrée, à la première ainsi qu’à la seconde génération (enfants d’immigrés).
En utilisant les ressources statistiques nationales, les auteurs comparent différents groupes migratoires en France, en Allemagne et au Royaume-Uni. Leur but est de comparer la situation économique (éducation, salaire, chômage) de ces différents groupes, ainsi que de leurs enfants, avec les « natifs ». Les résultats sont loin d’être flatteurs pour la France, solidaire et socialiste.
Les graphiques qui suivent présentent la différence entre le taux d’emploi des différents groupes d’immigrés et celui des natifs, à la première et à la seconde génération. L’axe horizontal représente la différence à la première génération, l’axe vertical à la seconde génération.
Par exemple, le point bleu représentant l’Afrique subsaharienne se lit :
En France, un homme immigré d’Afrique subsaharienne avait une probabilité d’avoir un emploi de 18% inférieure à un français « natif », cet écart atteint 48% pour ses fils.
Plus un groupe d’immigrés est dans la partie gauche du graphique, moins la première génération profite d’un emploi (relativement aux natifs). Plus il se situe dans la partie basse du graphique, moins la seconde génération dispose d’un emploi. Les groupes qui se trouvent sous la diagonale sont ceux pour lesquels la situation de la seconde génération est pire que celle de leurs parents. Les données sont corrigées du taux de chômage global, de la région géographique, de l’âge et de l’âge d’arrêt des études.
Ce graphique laisse apparaître une très mauvaise performance du modèle d’intégration français. Si on omet les immigrés d’Europe, tous les autres ont un taux d’emploi beaucoup plus faible que la population native. De plus, l’ensemble de ces groupes se situant bien en dessous de la diagonale, les différences s’aggravent fortement à la seconde génération. Ainsi le taux d’emploi des enfants d’immigrés venus d’Afrique subsaharienne est seulement de 32,9%, contre 66,3% pour les français natifs.
Au Royaume-Uni, les écarts sont assez importants à la première génération, mais se réduisent à la seconde. En Allemagne, les différences varient peu d’une génération à l’autre, mais sont globalement plus faibles.
Ce qui peut être intéressant c’est de comparer d’un pays à l’autre des groupes d’origines semblables. Ainsi, à la seconde génération, le niveau d’intégration au regard de l’emploi des enfants d’immigrés turcs est très largement meilleur en Allemagne qu’en France. Le même constat peut-être fait au désavantage de la France, en comparant les populations d’Afrique noire en France et au Royaume-Uni. Et dans une moindre, mais tout de même importante mesure, pour les populations d’Asie.
L’étude de la population féminine (graphique suivant) montre une amélioration de la situation des filles d’immigrées relativement à leurs mères en Allemagne et au Royaume-Uni. En France, les filles d’immigrés ne subissent pas la même dégradation que leurs frères, mais à l’exception des groupes d’origines européennes, leurs situations ne s’améliorent pas comme en Allemagne ou au Royaume-Uni.
Annexes
Le tableau suivant résume le taux d’emploi par pays et par groupe d’immigrés.L’ensemble des données peuvent être retrouvées dans l’article :
Algan, Y., Dustmann, C., Glitz, A. and Manning, A. (2010), “The Economic Situation of First and Second-Generation Immigrants in France, Germany and the United Kingdom”. The Economic Journal, 120: F4–F30