Considérez, par exemple, le…
À l’actif, on trouve $100 de prêts (immobiliers, à la consommation, aux entreprises… peu importe) accordés par la banque qui sont financés, au passif, par $10 de capital – l’argent des actionnaires – et $90 de dépôts – votre argent [2]. Dans cet exemple, la banque ABC fonctionne avec un effet de levier de 10x ; c’est-à-dire que le total de l’actif ($100) représente dix fois le capital ($10). En d’autres termes, lorsque la banque accorde un prêt à un de ses clients, elle finance ce crédit à hauteur de 10% avec l’argent de ses actionnaires et à 90% avec celui de ses déposants [3].
Imaginez que la banque ABC rémunère les comptes courants de ses déposants à hauteur de 0,5% et qu’elle prête à 3,5%. Dans ce cas, son portefeuille de crédits lui rapporte $3,5 par an ($100 x 3,5%) et ses dépôts lui coûtent $0,45 par an ($90 x 0,5%) : elle gagne donc $3,05 qui lui permettront de payer ses frais (les salaires par exemple) et, avec ce qui reste, de faire des bénéfices.
Les risques du métier
Naturellement, cette activité comporte des risques. Le premier, le plus évident, c’est le risque de crédit ; risque qui se matérialise quand un des clients à qui la banque a prêté de l’argent se révèle incapable de le rembourser. Par exemple, imaginons qu’un des clients de la banque ABC, à qui elle avait prêté $10 à 3,5%, connaisse des difficultés financières et ne paye plus les intérêts. Dans ce cas, la banque ABC ne touche plus que $3,15 d’intérêts sur son portefeuille de crédit ce qui réduit sa marge de $3,05 à $2,7. Avec un peu de chance, modulo ses autres frais, elle gagne encore de l’argent.
Mais si les difficultés du client sont vraiment très graves, il est aussi possible qu’il ne soit pas non plus en mesure de rembourser une partie du capital : si, par exemple, il ne peut rembourser que $6, c’est la banque qui va devoir compenser cette perte de $4 auprès de ses déposants en piochant dans son capital. Autrement dit, elle va perdre de l’argent et aura d’autant moins de capital pour rembourser ses déposants si un autre de ses débiteurs devait être à son tour en faillite. Au-delà de $10 de crédits non remboursés, les actionnaires sont définitivement ruinés et ce sont les déposants qui risquent d’y laisser des plumes.
Le second risque du métier, moins connu, c’est le risque de taux. La banque ABC, nous l’avons vu, prête $100 à 3,5% sur – mettons – 5 ans et finance 90% de montant en empruntant à 0,5% auprès de ses déposants. La difficulté vient du fait que le taux auquel elle prête est un taux fixe tandis que le taux auquel elle emprunte votre argent est susceptible de varier dans le temps – typiquement, si la banque centrale décide de faire remonter les taux. Dans notre exemple, si le coût des dépôts monte à 3,9%, la banque ABC perd de l’argent et commence à attaquer son capital.
C’est pour cette raison que les crédits à taux variables ou révisables sont toujours nettement moins chers que les crédits à taux fixes : lorsque vous acceptez de prendre un crédit indexé sur le niveau des taux à court terme, c’est vous qui prenez le risque de taux à la place de la banque (des mensualités plus élevée) et cette dernière peut donc se permettre de prendre une marge moins élevée. Naturellement, si la banque centrale fait trop remonter les taux, les emprunteurs endettés à taux variable risquent de se trouver en difficulté et on en revient au risque de crédit. C’est d’ailleurs précisément ce qui a déclenché la fameuse crise dite des subprimes.
Bank run !
Donc, quand une banque perd de l’argent, c’est l’argent des actionnaires qui passe à la trappe – du moins tant qu’il y en a [4]. Mais quand il n’y en a plus, quand le capital est déjà à zéro, ce sont les créanciers de la banque qui vont payer les pots cassés ; or, vous l’avez compris, vous êtes des créanciers de la banque. Bien sûr, notre banque ABC est tout à fait théorique : dans la pratique, les banques empruntent aussi de l’argent sur les marchés financiers (en émettant des obligations), aux autres banques (sur le marché interbancaire) ou auprès de la banque centrale... mais vous faites tout de même parti du lot.
Et voilà le problème : si, par hypothèse, 20% des crédits accordés par la banque ABC ne sont pas remboursés – c’est-à-dire que les $10 de capital sont déjà consommés – ce que savent tous les créanciers de la banque, c’est qu’il n’y aura pas assez d’argent pour rembourser tout le monde : certains d’entre eux vont y laisser des plumes. C’est pour cette raison que, quand une banque donne de sérieux signes de faiblesses, on assiste de temps en temps à un bank run ; c’est-à-dire que les déposants cherchent par tous les moyens à récupérer leur argent pour ne pas être les derniers (et donc les dindons de la farce) en cas de faillite. Naturellement, le bank run lui-même accélère la chute de la banque.
De ce qui précède, le lecteur aura compris que, pour le banquier, la gestion de ces risques et de l’effet de levier de la banque sont des conditions de survie et, partant, que les banques sont naturellement des institutions très prudentes qui, comme on dit, ne prêtent qu’aux riches. J’ai bien dit « naturellement ». Quand l’État s’en mêle, nous le verrons une prochaine fois, les banques peuvent tout à fait se transformer en gigantesques ballons de baudruche avec des effets de levier de l'ordre de 30x à 50x (Laiki Bank au 31/12/2011 par exemple...) et entraîner toute une économie dans leur chute.
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[1] Lorsque vous déposez votre argent sur votre compte courant, vous le prêtez à la banque ; raison pour laquelle vous êtes rémunéré.
[2] Dans son rapport annuel, ce crédit que vous accordez à votre banquier apparait à la ligne « dettes envers la clientèle ».
[3] En réalité, la banque ne prête jamais l’intégralité de vos dépôts ; elle en garde une partie afin d’être sûre d’être toujours capable de vous rembourser et, accessoirement, la règlementation bancaire le lui impose.
[4] Et tant que l’État, la troïka ou les deux ne s’en mêlent pas…