Psychologiquement, le terrain a été préparé depuis un moment. Bien sûr, on n’aura pas trop insisté sur les emplois directs et indirects créés par internet, les nouvelles technologies et les richesses épargnées ou créées par les nouveaux modes de communication et de consommation en ligne. Et d’un autre côté, la une des journaux se sera trouvée commodément remplie par de pesants articles sur le (scandaleusement)faible niveau d’imposition des filiales françaises des grandes entreprises liées au monde du numérique et de l’informatique (Microsoft, Amazon, Google, Facebook, Apple, …) On aura mielleusement insisté sur les transferts de revenus vers des filiales dans des paradis fiscaux réputés (!) comme l’Irlande, la Belgique, le Luxembourg, dont tout le monde sait que les gouvernements sont de véritables flibustiers de la finance qui n’hésitent pas à planter leurs crocs avides sur les bonnes grosses sociétés internationales qui, sans cela, viendraient à l’évidence s’installer dans ce havre de paix économique qu’est la France. Mais si. Voyons. C’est certain.
Et il suffira de dire ensuite que ces entreprises bénéficient alors d’une concurrence déloyale (puisque les entreprises françaises, elles, n’ont pas la possibilité d’échapper à la sodomie de Bercy) pour bien implanter dans l’opinion publique que cette situation déplorable coûte de l’argent aux contribuables et qu’il faut donc y remédier.
Bref : il faut agir et en matière de ponction fiscale, l’État français n’est jamais à court d’idée. On va donc taxer les données collectées par ces grosses entreprises. Paf, comme ça. Et comme il n’y a pas de grosses entreprises française dans ce domaine, au moins (se disent les petits fossoyeurs de l’économie républicaine et festive) il n’y aura pas de dégâts collatéraux en France.
Le gouvernement, parfaitement en phase avec cette stupide compulsion taxatoire, a donc demandé à Pierre Collin (deux L) et Nicolas Colin (un seul L) d’analyser l’imposition actuelle des acteurs du secteur, et de formuler « des propositions » — comprendre : de nouvelles idées de taxes — afin de « faire évoluer le droit et la fiscalité » — comprendre : choper de l’entreprise grosse et grasse et la faire cracher au bassinet — et ainsi « mieux » — comprendre : au maximum — imposer les entreprises ayant une activité en France.
Et voilà nos deux compères Collin & Colin qui pondent un magnifique rapport bien touffuqui constitue un superbe exemple de recherche acharnée d’une idée pour taxer.
On comprend qu’ici, le but est de défavoriser à tout prix l’activité sur le sol français en cognant sur les entreprises comme des sourds. Il y a, comme chacun sait, trop d’emplois à pourvoir, ce qui met une pression d’enfer sur les salaires, c’est même la surchauffe qui guette l’économie actuellement tant c’est ültra-über-bööming. Partant de ce constat, l’étude conclut ainsi prudemment qu’il est « urgent de réagir et d’interrompre une spirale mortifère pour les économies des États industrialisés », autrement dit une fois décrypté, il est urgent de taxer tout ça pour sauver la piteuse économie de la France.
Seulement voilà : taxer des entreprises implantées internationalement, cela supposerait de modifier les accords fiscaux internationaux, ce qui est au moins aussi ambitieux que stupide surtout lorsqu’on sait que la partie internationale de la fuite de capitaux français concerne aussi les élus et députés divers qui ont bien compris l’importance d’un compte en Suisse en cas de revirement électoral. Dès lors, il faut trouver un autre moyen d’arriver au même but.
Ca tombe bien : toutes les cibles grassouillettes que l’État entend ponctionner même à distance utilisent les données des internautes comme une partie de l’information qu’elles exploitent, sur laquelle elles apportent de la valeur et qu’elles revendent d’une façon ou d’une autre ensuite. La conclusion logique, dans la petite cacahuète cervicale qui sert de centre de calcul aux fiscalistes fous, c’est qu’il faut donc taxer … les données personnelles. Et là, c’est un déchaînement de bêtise et de raisonnements sophistiques foireux :
« Le point commun à toutes les grandes entreprises de l’économie numérique est l’intensité de l’exploitation des données issues du suivi régulier et systématique de l’activité de leurs utilisateurs. (…) Il y est possible de faire « travailler » les utilisateurs d’une application, comme par le passé on faisait travailler des fournisseurs ou des salariés. (…) Il est préoccupant que les entreprises concernées ne contribuent pas, par des recettes fiscales, à l’effort collectif sur le territoire où les utilisateurs résident et « travaillent » gratuitement. »Eh oui, pour le « conseiller » d’État Collin et l’inspecteur des « finances » Colin, avoir des données personnelles, surfer et laisser Google ou Amazon analyser vos habitudes de surf et mettre en place des algorithmes pertinents pour vous aiguiller vers la meilleure publicité ou le meilleur livre, tout ceci, c’est du « travail » que vous faites. Dans l’esprit torturé de ces parasites suceurs d’argent public, exister sur internet et créer, par son existence même, des informations personnelles, c’est « travailler » ; notez tout de même l’utilisation pudique de guillemets par les fiers auteurs de ces consternantes réflexions pour camoufler l’indigence de leur prétexte qui vise exclusivement à cogner sur des entreprises étrangères.
Pas une seconde n’est considéré le travail, pour le coup parfaitement considérable, quantifiable et de première importance, qu’il aura fallu déployer par ces sociétés pour apporter justement un service nouveau et efficace. Pas une seconde ne semble les effleurer l’idée que la valeur ajoutée de ces entreprises résidait non pas dans les données personnelles mais dans ce que leur expertise et leur niche leur permettaient d’en faire. Pas une seconde ne sont considérés les effets bénéfiques palpables, en temps, en énergie, en ressources, dégagés par ces améliorations. Ainsi, combien de litres d’essence n’auront pas été cramés par ces gens qui, de chez eux, ont commandé des produits et ne se seront pas déplacés dans 5 magasins différents pour trouver exactement ce qu’ils veulent ? Combien de précieuses heures gagnées à faire autre chose, de nettement plus productif, comme par exemple tenir une entreprise, s’occuper de sa famille, apprendre à lire à ses gamins (parce que les impôts pour l’EdNat, merci, mais on voit ce que ça donne), toutes choses qu’il est impossible de faire si l’on passe son temps à fouiller pour la bonne affaire ?
De même, aucune réflexion n’est faite sur le constat d’évidence que ces entreprises sont à l’étranger et non en France précisément à cause des taxes, et qu’ajouter aux vexations fiscales déjà en place les derniers bâtonnets de Colin & Collin dans les roues de ces entreprises ne va pas améliorer cette situation. Pire : pourquoi aucune entreprise ne s’est créée en France pour générer ainsi de la valeur ?
Mais baste, passons : pour nos deux collectivistes affamés de l’argent des autres, le « travail » est celui de l’internaute, et la taxe devra porter, on en rigole déjà, sur les données collectées par utilisateur, avec comme il se doit dans chaque production alambiquée de crâne d’oeuf en roue libre, moult paliers, conditions et autres modalités pour s’assurer qu’on chope bien les impétrants désignés à la vindicte populaire (et un peu les autres aussi, mais pas trop). Pour ces gens qui vivent de l’argent gratuit, rien n’est plus insupportable que de savoir qu’il existe du travail gratuit qui ne rapporte rien au plus froid des monstres froids :
« L’objectif stratégique (…) est que la France recouvre un pouvoir d’imposer les bénéfices issus du travail gratuit des internautes localisés sur le territoire français. »Imposer le travail gratuit, c’est possible. C’est en France. C’est bientôt.
Lorsqu’on lit ça, on comprend toute l’idéologie qui se montre presque sans fard derrière le « travail », pas gratuit du tout, de ces deux ponctionnaires, puisqu’il s’agit d’un véritable prêche des envieux, un credo d’ignares et un condensé de la philosophie de l’échec chère à Winston Churchill. On ne sait plus où termine la réflexion fiscale, où s’achève le bon sens d’une éventuelle participation (qu’on voudrait bien consentie) d’une population aux impôts, et où commence le parasitisme le plus éhonté, le vol pur et simple des efforts des autres pour continuer à faire durer un système qui n’a pour le moment réussi à prouver son efficacité qu’à nourrir ce genre d’engeance collectiviste opérée de la honte.
Il n’existe plus guère que deux explications à la folie taxatoire qui règne en France actuellement : les politiciens sont devenus complètement stupides, ou l’État est aux abois financièrement et la panique qui se lit en filigrane de ces propositions de plus en plus rocambolesques ne présage absolument rien de bon.
Et malheureusement, de ces deux explications, sachez que le cumul est possible.