Et quand je dis qu’il n’a plus un rond, ce n’est plus la figure rhétorique qu’on pouvait encore employer il y a quelques années, pour exprimer le mécontentement grandissant devant les dépenses aussi folles que décontractées de nos dirigeants. En effet, à présent, les faits sont têtus et pointent bien vers une seule conclusion : les caisses sont dramatiquement vides au point que, pour prendre un exemple récent, certains sous-traitants de l’Armée sont en faillite. Or, dans un Etat bien géré, l’Armée serait la dernière entité à ne plus avoir de fonds…
Mais force est de constater que les signes s’accumulent et ne laissent plus place au doute :
- Depuis 2004, l’intégralité de l’impôt sur le revenu sert à payer les intérêts de la dette ; le remboursement de ces intérêts est devenu le troisième poste de dépenses de l’État. Les impôts ne servent même plus à assurer les services publics ce qui explique très bien le niveau général catastrophique des prestations fournies : tous les services de l’État sont financés à crédit. C’est, évidemment, bon signe.
- Cette année encore, le budget annonce un déficit large et même assumé avec fierté par Moscovici. Mais où l’État va-t-il trouver les 3.9% de PIB en déficit (soit 80 milliards d’euros) qu’anticipe déjà Bruxelles ? (Ne cherchez pas trop, la réponse est simple : dans vos poches et celles de vos enfants.)
- Les taux de prélèvements sur les particuliers et les entreprises sont au plus haut, et la dépense publique a atteint des records, avec les résultats flamboyants que l’on voit (chômage, fraudes massives) et qu’on ne voit pas (perte de compétitivité, de moral, de dynamisme, individualisme, fuite des cerveaux).
Le constat est donc sans appel : la France est en faillite (et Sapin l’a même reconnu). L’issue, si elle est incertaine pour la date, reste inévitable. Mais en l’attendant, l’État français fera absolument tout pour tenir aussi longtemps que possible. Et s’il y a bien un levier qu’il peut utiliser, c’est le levier médiatique pour faire passer une idée simple : une grosse partie de son malheur provient des Méchants Fraudeurs.
Sans problème et rapidement, partant de cette prémisse, la propagande se met en marche. Il ne faut pas très longtemps pour que déjà fleurissent quelques articles qui tenteront de répondre à la question lancinante : qui fraude ? Et surtout, pour combien ? Ou plutôt, si l’on veut poser la question de façon franche et claire : « Combien les Méchants volent à l’État ? »
Parce que tout faire pour soustraire des doigts boudinés de types comme Kucheidaou Andrieux, tout faire pour éviter que le fruit de son travail ne se retrouve à payer des concubines ou des parvenus de la République (la liste est si longue), tout faire pour éviter que ce qu’on gagne ne finance, directement, des projets auxquels on s’oppose, voire, tout simplement, tout faire pour éviter de se retrouver ruiné en pure perte, tout cela est mal, méchant, inique même !
Dès lors, il faudra faire comprendre que celui qui tente de se soustraire sera puni, qui tente de fuir sera pourchassé, et qu’il n’y aura aucun pardon, aucune amnistie, aucun salut pour les renégats de l’imposition.
Dès lors, ce qui était vrai en France le sera aussi partout en Europe, moyennant des tractations qu’on sent de plus en plus désespérées pour assurer que tous les pays convergeront si ce n’est sur le plan fiscal au moins sur le plan judiciaire afin de choper les fuyards.
Et tout ceci n’est qu’une de ces étapes avant l’effondrement.
La suivante, c’est les États-Unis qui nous la montrent : même lorsque vous aurez employé tous les moyens légaux à votre disposition pour échapper à la taille, la dîme et la gabelle, même si vous êtes dans les clous, on vous passera au peigne fin, comme Apple par l’IRS, pour déterminer si vous êtes éthique : vous tentez, de façon parfaitement légale, d’amoindrir la ponction ? Vous tentez de redonner un peu de sens au travail dont vous avez de plus en plus l’impression qu’il est surtout effectué pour les autres, et surtout pour ceux qui, au sommet de l’État, s’en mettent tranquillement plein les poches et n’offrent aucune espèce de valeur ajoutée à votre vie dans l’enfer fiscal qu’ils vous construisent ? Eh bien vous serez jugés pour cela : vous n’avez pas le droit d’échapper ainsi à ces ponctions, même légalement, parce qu’après tout, vous avez bénéficié de l’État providence, voyons !
Eh oui : peu importe qu’en l’espèce, Apple crée des centaines de milliers d’emplois, qu’il reverse des milliards de dollars sous forme de taxes, voyons ! Tout ceci n’est rien comparé au fait que les dirigeants sont « sont nés dans des hôpitaux américains, sont allés dans des écoles et des universités américaines, ont bénéficié des législations et du service de l’ordre national » et peu importe qu’ils aient déjà payés par leurs propres impôts ou ceux de leurs parents ces « services ». Peu importe qu’ils n’aient jamais eu le choix ! (Et c’est d’autant plus vrai en France où le choix est impossible, monopoles obligent, et où cet argument du bénéfice des sévices publics, aussi mauvais soient-ils, est ressorti pour justifier l’avalanche de matraquages fiscaux de plus en plus sauvages.)
Ne vous y trompez pas : ce grand raout médiatique contre la lutte fiscale sert bel et bien deux buts distincts et complémentaires. Dans une faible part, il tente de démontrer que le capitaine de pédalo est volontaire et décidé à pourchasser les vilains fraudeurs. Ici, on peut facilement rire.
D’un autre côté, cela montre qu’on cherche de plus en plus frénétiquement des marges de manœuvre fiscale, et qu’on emploiera tous les moyens pour drainer tout ce qu’on peut. Et là, on aura du mal à trouver ça drôle.