Pour Gérard Depardieu, l’investissement en France est tout simplement devenu un calvaire. Le fisc, pourtant instrument de justice sociale louangé par tous les socialistes du pays, l’« emmerde » suffisamment pour que l’acteur laisse définitivement tomber tout lien avec sa patrie. Bien sûr, cette information ne trouvera guère sa place dans l’actualité surchargée d’émotionnel, mais elle est pourtant lourde de signification : la France peine de plus en plus à attirer les investisseurs, et à les conserver.
Or, comme me l’ont fait remarquer deux lecteurs que je salue et remercie au passage, le mal est bien plus profond que ce que pourrait laisser penser la seule réaction épidermique d’un acteur populaire. Et comme profondimètre, nous allons utiliser ce site que j’ai déjà évoqué dans ces colonnes, celui de France.fr. Rappelez-vous, c’était en 2010 et la France de Sarkozy lançait un site officiel à grands renforts de vidéos ridicules et de publicités navrantes ; un site dont vous, Français, êtes le
Le contexte posé, mettons-nous à présent dans la peau d’un investisseur qui, étranger à l’Europe, hésiterait entre l’Irlande et la France. Oui, bon certes, j’aurais pu choisir la Grèce plutôt que l’Irlande, mais point n’est besoin d’enfoncer la France à ce point. Bref, l’investisseur ainsi hésitant pourra par exemple commencer par taper dans Google « investing in Ireland ». Dès les premiers liens, on tombe sur des résultats intitulés « Invest in Ireland » (et des variations sur ce thème). ce qui, après un clic, permet de tomber sur un site exactement destiné à répondre aux questions qu’on peut se poser en tant qu’investisseur.
Le site proposé, IDA Ireland est pertinent, facile d’utilisation, et met en avant de façon claire tous les atouts que présente l’île tant pour un entrepreneur de petite ou de moyenne entreprise que pour un dirigeant de grosse boite cotée en bourse. C’est, bien évidemment, un site institutionnel (et donc payé par le contribuable irlandais) qui vise à promouvoir et à faciliter tout investissement étranger. Un petit parcours sur le site vous convaincra sans mal que les pages et les services proposés correspondent assez bien à ce qu’on est en droit d’attendre d’un site institutionnel de ce type. Bref, c’est efficace.
Au passage, on notera qu’il existe différentes versions du même site décliné en fonction de la langue : idaireland.cn pour le chinois, idaireland.ru pour le russe, idaireland.in pour les indiens et même idaireland.fr pour les français.
Et bien évidemment, par curiosité, on est maintenant tenté de procéder de la même façon pour « investir en France », ou, puisque nous nous plaçons dans une optique internationale, « investing in France ». Là encore, joie, bonheur et SEO bien compris,le résultat le plus pertinent est aussi ce site institutionnel payé par le contribuable français que le monde entier ne nous envie pas des masses puisqu’il ne sait pas qu’il existe. Il est intitulé « Invest in France: articles and information ». On notera que le site, en « .fr » uniquement, est cette fois-ci en anglais et que vous avez un choix de langues (en haut à droite) qui malheureusement ne satisfera pas les investisseurs Chinois ou Russes par exemple. Bah. En bons Français, pour les Russes, on se consolera en se disant qu’avec le précédent des Mistrals, ils ne se bousculaient pas de toute façon. Quant aux Chinois, avec les soucis économiques qu’ils ont, pas besoin de s’enquiquiner avec eux, n’est-ce pas ?
Reste que la mise en avant des atouts du pays pour les investisseurs, la construction du site en lui-même … laissent un peu songeur.
Jugez plutôt : là où le site irlandais et l’institution derrière ont entièrement conçu leur démarche afin de répondre aux attentes de l’investisseur potentiel, et le font de façon fluide, claire et simple (le taux d’imposition des sociétés, à 12.5%, y est d’ailleurs explicitement affiché en grand, et visible rapidement en quelques coups de molette souris), l’institution française, dans son site, parle beaucoup d’elle-même (fusion des entités bidule et machin, ses ministres, ses comités théodule, etc…), ou balance de l’acronyme avec une nonchalance certainement déstabilisante pour un lecteur étranger (UCCIFE par ici, AFII par là) dans de lourds pavés textuels excitants comme une dissertation d’entrée à l’ENA.
Au passage, s’il faut 2 secondes pour trouver le compte twitter de l’institution irlandaise (fièrement affiché en bas de page), il est impossible à trouver pour l’institution française, qui devait être en train de reprendre du fromage lorsque les développeurs du site ont demandé s’il fallait en faire mention ou non.
Bref : tout ceci n’est pas franchement affriolant.
Maintenant, prenons quelques secondes et réfléchissons au caractère stratégique de ces deux sites. On pourra penser aux nouveaux entrepreneurs, millionnaires chinois, indiens, ou russes et aux dizaines, aux centaines voire aux milliers d’emplois qui peuvent découler (ou non) de l’intérêt suscité par ces sites. Quels impacts peuvent avoir ces fenêtres sur notre façon de penser, de travailler, d’aider l’investisseur qui débarque, sur l’économie de notre pays et sur la société en général ? Alternativement, quelle image renvoie un pays avec ce genre de dépenses publiques et ce genre de réalisation numérique, alors qu’elles représentent 41% du PIB de l’Irlande et un gros 57% de celui de la France ?
Les réponses à ces questions, inquiétantes pour la France, expliquent peut-être pourquoi les riches étrangers n’entrent pas suffisamment sur notre territoire. Et pendant ce temps, pour en revenir au Gégé national qui ouvrait ce billet, on apprend que les riches français, eux, sortent, de plus en plus nombreux.
L’avenir promet.