En effet, comme il est de tradition à l’orée d’une nouvelle année, le gouvernement a publié de façon très officielle sa liste de nouveaux nominés pour la Légion d’Honneur. Surprise : dans la brouettée de cette année se trouve Thomas Piketty. Surprise supplémentaire : il l’a refusée, bruyamment.
Pour la première surprise, elle provient non du fait de la présence de Piketty (la Légion d’Honneur Française étant maintenant distribuée à n’importe qui, même sans aucun rapport ni avec l’Honneur, ni avec la France – pensez donc, même François Hollande ou Nicolas Sarkozy l’ont eue), mais bien de celle de Jean Tirole qui, lui, a tout de même été reconnu par ses pairs en économie. Là où celle de Tirole ne paraît pas inappropriée (après tout, les nobélisés français sont assez peu nombreux), par contraste, la médaille de Piketty ressemble ici vraiment à un lot de consolation, petite sucrerie de l’entre-soi français destinée à calmer la tristesse qui pourrait toucher l’économiste approximatif qui, bien qu’ayant vendu des millions de livres (lus à 2.4% en moyenne), n’en est pas moins copieusement démonté par tous ses confrères un peu compétents.
La seconde surprise, elle, est bien plus intéressante puisqu’elle illustre un magnifique ratage de communication de l’équipe hollandiste, ainsi que l’état avancé de confusion générale qui règne chez les tenants d’un socialisme détendu de la dépense et de la folie taxatoire.
Pour ce qui est du ratage communicationnel, il est maintenant évident devant le nombre d’articles (ce billet y compris) consacré au refus de l’économiste. La presse (et d’autres blogueurs) ont donc déjà largement écrit ce qu’il fallait pour resituer tant le contexte de la nomination que de son refus. Ratage communicationnel d’autant plus fort que le gouvernement ne se sera pas contenté de « prendre acte » : on pourra ainsi facilement pouffer en lisant les réactions offusquées de son porte-parlote, toujours aussi fin dans ses réactions, qui s’étonne du refus de l’économiste.
Il n’en reste pas moins que, sur le fond tout du moins, Piketty a raison à deux titres : d’une part, il aurait été malin, pour ne pas dire stratégique (sans même faire entrer en ligne de compte la plus élémentaire courtoisie) de consulter le nominé avant que tout ceci soit officiel. Cela aurait évité la boulette, d’autant que sa gestion, maintenant, est plutôt foireuse. D’autre part, Piketty n’a pas tort de s’abstenir de mêler son nom à celui d’une institution qui compte dans ses rangs un fatras assez consternant de personnes dont l’honneur ou la probité sont, pour le dire gentiment, ouverts à débat, comme le fait judicieusement remarquer un célèbre blogueur.
Maintenant, il reste la forme avec laquelle notre petit bricoleur d’économie aura fait connaître sa position. Et c’est là qu’on découvre la confusion que j’évoquais il y a quelques paragraphes ci-dessus. Piketty, apprenant sa nomination — par voie de presse ? — s’est empressé de contacter l’AFP pour bien faire connaître, au maximum de monde, ce pourquoi il revendiquait bruyamment ne pas vouloir du hochet honorifique :
« Je viens d’apprendre que j’étais proposé pour la Légion d’honneur. Je refuse cette nomination car je ne pense pas que ce soit le rôle d’un gouvernement de décider qui est honorable. Il ferait bien de se consacrer à la relance de la croissance en France et en Europe ».Et là, on ne peut s’empêcher de noter que si, sur le fond, Piketty veut sauver son honneur en évitant d’être inséré de force dans l’actuelle coterie de membres douteux de cette Légion, ce qu’on peut comprendre, la façon très peu honorable avec laquelle il s’efforce d’expliquer sa position ruine toute crédibilité de son geste. Il pouvait refuser poliment. Il pouvait refuser discrètement. Il pouvait refuser sans émettre une opinion sur l’occupation actuelle du gouvernement. Cela aurait pu passer pour honorable.
Mais non. D’autant plus qu’il s’est mis à réclamer que ce gouvernement se consacre (encore plus, donc) à fourrer ses doigts dans l’économie française pour tenter de la relancer, alors que c’est précisément son intervention massive, effrénée et désorganisée qui a mis le pays dans l’état où il est actuellement, et, pire encore, que cette intervention massive suit assez bien les grandes lignes que lui, Piketty, avait pu dresser lorsqu’il fut conseiller de la future-ex tout, Ségolène Royal, et ensuite, lorsqu’il était encore acoquiné avec François Hollande, futur mou – après tout, on retrouve bien « pour une révolution fiscale » dans le fatras de proposition du candidat François, et elle ne sort pas de la tête d’un autre que Piketty…
Voilà qu’il fait preuve d’une belle confusion. Confusion qu’il étale, du reste, dans l’ouvrage qui lui a valu, justement, la douteuse distinction. Il est ainsi piquant de constater que Piketty refuse d’être adoubé par ceux-là même qui trouvent son ouvrage si puissant et si grandiose et qui tentent de faire tout ce qu’ils peuvent pour, justement, réduire les inégalités que l’auteur dénonce avec la subtilité d’un hippopotame dans une fabrique de porcelaine au cours des 970 pages de son gros ouvrage.
Bref : il est très amusant de constater que le socialiste Piketty, proposant des « solutions » parfaitement socialistes à un « problème » qu’il a lui-même analysé tout seul comme un grand (mais de travers), se trouve adoubé par des socialistes qui, flûte alors, n’obtiennent pas son approbation, probablement parce qu’ils ne sont pas assez socialistes à son goût (ou pas comme il faut).
En outre, Piketty ronchonne sur un gouvernement qui décide de ce qui est honorable ou pas, mais ne ronchonne absolument pas d’un gouvernement qui décide de qui est riche ou pas, de ce qui doit être « égalisé » par la taxe ou pas, ce qui doit être régulé ou pas, ce qui doit être redistribué ou pas. Que voilà ronchonnement bien sélectif et bien pratique !
Au final, toute cette affaire, finalement assez microscopique, ne peut s’empêcher d’exhaler les pesants fumets d’un nouveau règlement de comptes entre différentes factions socialistes. Il y a fort à parier que Piketty ne fasse guère autre chose ici que renvoyer la monnaie de sa pièce au gouvernement ou à un François Hollande qui n’ont pas cru nécessaire de l’accepter dans leur sérail. Quant à la jolie cacophonie médiatique qu’on observe, elle nous donne une image assez fidèle de l’état des institutions françaises en général et de la Légion d’Honneur en particulier.