H16
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Je suis naturellement grand, beau, j’ai le teint buriné par le soleil et le sourire enjôleur et des mocassins à gland, un très gros zizi et une absence totale de lucidité sur mes qualités et mes défauts !
J'ai un blog sur lequel j'aime enquiquiner le monde : Petites chroniques désabusées d'un pays en lente décomposition...
Nos quartchiers ont du talent
Audience de l'article : 1437 lecturesEt pour illustrer mon propos, je voudrais évoquer le temps d’un billet quelques uns de ces quartiers sensibles qui font régulièrement les meilleures pages des faits divers dans les journaux à tirages médiocres de nos localités désœuvrées. Ici, par quartiers « sensibles », on n’entend pas, comme l’adjectif tendrait à le faire croire, des quartiers émotifs, charnels ou sentimentaux, mais plutôt pénibles ou douloureux pour qui s’y aventure sans connaissance de cause.
Par exemple, le Cours Victor Hugo à Bordeaux fut l’objet, il y a quelques semaines, de quelques articles dans la presse régionale, où l’on découvrait que sa situation y est devenue, en plus de cinq mois, ingérable, que les plaintes s’accumulent (tapage diurne et nocturne, trafics de toutes sortes, vols), émanant de commerçants et de riverains. Pire, les terrasses des cafés et restaurants sont devenues infréquentables à certaines heures. Des punks à chiens traînent mollement dans le coin et, comme le note Alexandra Siarri, l’adjointe aux affaires sociales, avec la diplomatie habituelle de la politicienne rompue à l’exercice communicationnel pas choquant-padamalgam-bisou compatible, « le sentiment d’insécurité progresse sur ce secteur ».
Par exemple, à Lille, on apprend qu’un quartier aimerait bien se débarrasser d’un encombrant squat de Roms fortuitement installé là depuis deux bonnes années, youkaïdi, youkaïda. Lille qui, apparemment, collectionne les petits soucis puisqu’àWazemmes, un autre quartier, ce sont les dealers et les voleurs à la tire qui pullulentdepuis plusieurs semaines au point d’acculer les commerçants, indignés par l’insécurité grandissante et la saleté indescriptible dans leur secteur, à menacer de faire le ménage eux-mêmes, en commençant par une grève de l’impôt.
Par exemple, on s’aperçoit qu’à Corbeil-Essonne, quelques petits départs de feuparfaitement volontaires, qui ont emportés une médiathèque, une école et quelques voitures, consternèrent courant septembre une population déjà sensibilisée à ce genre de pirouettes festives puisqu’en 2012, la PMI avait été victime de jets de cocktails Molotov qui avaient endommagé plusieurs salles de cet équipement public et la crèche municipale voisine. Population d’autant plus consternée que les feux, deux semaines plus tard, continuent de plus belle.
Évidemment, le recensement fait ici tient bien plus de la collection de perles et d’un enchaînement de faits divers que d’une quelconque étude statistique et n’a surtout aucune prétention ni à l’exhaustivité, ni à l’exemplarité. Il serait probablement assez facile d’ajouter d’autres exemples de la même trempe en écumant la presse locale avide de ces petites notules crapoteuses où se collisionnent les enquiquinements ordinaires de citoyens lambda avec les violences, incivilités et autres troubles à l’ordre public que des faunes frétillantes provoquent avec une certaine maestria.
Le problème n’est pas ici de savoir si ces actes sont caractéristiques d’une tendance à l’ensauvagement, tendance qu’il est impossible d’extrapoler à partir d’éléments aussi parcellaires que disjoints. En revanche, il apparaît tout de même intéressant de noter que dans chacun de ces faits, la situation semble s’éterniser depuis un moment. Dans chacun de ces exemples, on voit la trace d’une police débordée, d’une justice qui peine franchement à agir, d’une municipalité dépassée et impuissante, et ce, pendant des semaines. Et dans chacune de ces tristes démonstrations de toute la faiblesse de l’état républicain, on notera l’exaspération croissante des riverains concernés, la colère sourde des voisins, l’incompréhension puis la colère de ceux dont la vie dépend, d’une façon ou d’une autre, de l’ordre public qui, dans ce quartier, s’est évaporé on ne sait où.
Or, comment caractériser une société si ce n’est par sa capacité à faire régner un semblant d’ordre public, au moins autour de ceux qui paient le plus lourd tribut aux services de l’État ? Que vaut une civilisation au plan politique et moral si elle est incapable de garantir un traitement raisonnablement rapide des troubles évidents à l’ordre public ? Que vaut-elle si elle est infoutue d’assurer un minimum d’harmonie entre les individus ? À quoi peut-elle prétendre si elle ne répond plus aux attentes basiques, essentielles, des individus respectueux, justement, de l’ordre institué en norme admise par tous ?
Le constat que je fais ici est aussi réalisé, de façon pas toujours consciente, par tous ceux qui sont confrontés à ce genre de problèmes plus ou moins graves. Petit-à-petit s’insinue dans leurs pensées l’évidente inadéquation entre les ponctions toujours plus grandes qu’ils concèdent à l’État censé faire régner l’ordre, et les avanies elles aussi toujours plus grandes qu’ils subissent, et qui sont toujours moins bien réglées. Inévitablement, la ponction fiscale apparaît chaque jour plus douloureuse (et surtout lorsqu’une partie d’icelle retombe sous forme d’aides et de subventions diverses dans l’escarcelle des fauteurs de troubles). Que voulez-vous, les gens sont bêtement pragmatiques et savoir qu’une part de leurs impôts nourrit, directement ou pas, certains des individus qui leur coûtent leur sommeil, et que l’autre morceau fiscal ne sert manifestement plus à calmer le jeu, ça finit par agacer franchement. Là encore, lorsque le régalien, « cœur de métier » de l’État et seule raison valable de son existence, part ainsi en goguette, le consentement à l’impôt se fait mécaniquement plus rocailleux.
Et même si l’on oublie un instant ces rouspéteurs ataviques (le Français est un gros ronchon, tout le monde le sait, voyons), et si l’on pose donc un petit mouchoir pudique sur leurs protestations de contribuables, de commerçants, ou de parents concernés par les dégradations et autres troubles subis, il est plus délicat de placer aussi sous le mouchoir les effets de bord délétères que ces situations entraînent à long terme.
On pourrait ainsi croire anecdotique le fait que ces problèmes renvoient une image déplorable de ces quartiers. Il n’en est rien, tant pour les vacanciers qui pourront y découvrir une autre forme de tourisme (ou renoncer à venir, disons), que pour les employeurs, commerçants ou sociétés qui réfléchiront à deux fois avant de choisir une implantation trop présente dans les faits divers des journaux locaux. Comme bien souvent, les problèmes qui s’enkystent déteindront des années durant sur le lieu et en pourriront durablement l’attractivité. Tout ceci, répété des centaines de fois sur tout le territoire, finit par coûter bien plus cher que les exactions initiales elles-mêmes.
Enfin, comment ne pas voir que cette évaporation durable des services régaliens forme toute une génération d’individus à des comportements qui compromettent le socle même de notre société ? D’un côté, c’est toute une génération qui s’est habituée à s’en tirer à bon compte et qui a oublié ces barrières et ces limites sans lesquelles la civilisation ne peut s’épanouir. D’un autre, c’est toute une génération d’individus qui s’est entraînée à régler ses problèmes par elle-même, sans en passer par la case indispensable de l’institution officielle de Police et de Justice, celle-là même qui fonde, précisément, le principe de civilisation ordonnée, par opposition à un immense foutoir où règne essentiellement la loi du plus fort et du plus nombreux.
Non, décidément, impossible de faire des statistiques sur des faits divers, mais non, décidément, impossible d’oublier que ceux-ci illustrent très bien que l’État, en voulant se mêler de tout, ne se mêle plus vraiment de rien, qu’il a tant dilué son action dans la myriade d’associations diverses, des services publics pléthoriques et d’une qualité médiocre, qu’il en est venu, progressivement et inexorablement, à oublier ses missions premières. Non, bien sûr, le territoire français n’est pas à feu et à sang, mais chaque quartier où ces exactions durent montre que l’État a largement atteint son niveau d’incompétence : tiraillé entre ses finances exsangues et ses missions toujours plus nombreuses urbi et orbi, les milliers de lubies de ses dirigeants frivoles, il n’a plus ni l’argent, ni le temps pour effectuer correctement la seule tâche à laquelle il peut prétendre : celle d’assurer l’ordre et la justice.
Ce pays est foutu.
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