H16
(Accéder à la liste de tous mes articles)
Je suis naturellement grand, beau, j’ai le teint buriné par le soleil et le sourire enjôleur et des mocassins à gland, un très gros zizi et une absence totale de lucidité sur mes qualités et mes défauts !
J'ai un blog sur lequel j'aime enquiquiner le monde : Petites chroniques désabusées d'un pays en lente décomposition...
Made in France, E9 : « Association de malfaiteurs »
Audience de l'article : 1140 lecturesPar h16 et Baptiste Créteur.
En France, la solidarité, c’est sacré. Pour ainsi dire, c’est dans la devise du pays ! Mais c’est aussi une affaire d’huile de coude, de système D et de bénévolat, d’associations caritatives et de gens convaincus qui ne comptent pas leurs heures.
Comme Yamina, par exemple.
Yamina, c’est la sémillante présidente d’une association d’aide aux personnes handicapées. Grâce aux dons collectés qu’elle va récolter tous les ans à la sueur de son front, elle organise chaque année des voyages et des évènements pour offrir à ses adhérents des moments inoubliables. Parfois, elle arrive même à les aider à s’insérer dans l’emploi grâce aux entreprises partenaires.
Mais depuis plusieurs années, malgré le redoublement de ses efforts lors de la collecte annuelle (qu’elle a intérieurement rebaptisée Yaminathon), les finances de l’association vont mal : avec l’accumulation de lois nouvelles et de plus en plus complexes, l’association a dû mettre aux normes ses locaux et ses véhicules. Entre une rampe d’accès à élargir pour que deux fauteuils puissent se croiser (l’un en montant, l’autre en descendant – et ce, même si la porte n’en laissera passer qu’un quoi qu’il arrive), des toilettes séparées entre les hommes, les femmes et … les handicapés, troisième sexe étrange de la législation, un encadrement spécifique pour la plupart des activités, l’association ne s’en sort plus. Malgré une générosité sans faille en ces temps difficiles et des économies qualifiées de bouts de chandelles selon certains bénévoles (qui doivent désormais apporter leur propre café), Yamina ne parvient pas à sortir l’association de la panade.
Heureusement, la vigoureuse présidente connait bien Michel.
Michel, c’est le célèbre député, maire et président de la communauté de communes de la ville, dont la jovialité, le bagou et la pilosité faciale bien entretenue sont célèbres dans tout le pays. Comme il sait organiser son agenda au millimètre, il a par ailleurs du temps pour être président de nombreux conseils d’administration d’entités publiques ou para-publiques. Et c’est un homme qui connaît le monde de l’entreprise puisqu’il possède des restaurants et des bars sur le front de mer où, par chance pour lui, nombre de ses concurrents n’ont pas pu renouveler leurs autorisations. Et Michel est un humaniste au grand cœur : de façon inespérée, il a accepté d’aider Yamina.
Il y a bien certaines conditions, mais le coup de main est acquis : simplement et pour assurer, selon lui, la bonne gestion des fonds qu’il entend débloquer à l’association, il en choisira pour les prochaines années la composition de bureau. Rien de bien sorcier, on le voit. Ah, et puis, toujours pour assurer la bonne gestion des fonds, certains contrats seront passés avec des entreprises que Michel connait très bien, pour avoir travaillé avec elles depuis de nombreuses années. Et puis il y aura bien sûr l’une ou l’autre manifestation où l’association pourra se produire ce qui lui assurera une bonne exposition médiatique (et permettra d’assurer aussi une bonne gestion des fonds, ne l’oublions pas). Et sous ces conditions, Michel promet donc à Yamina une subvention qu’elle ne peut refuser.
Les bénévoles comprennent bien les enjeux d’autant que Yamina les a convaincus d’accepter. Le nouveau bureau est rapidement composé, et, la subvention versée, de nouveaux contrats sont passés. Bon, certes, ils sont un peu plus chers que les précédents, mais la qualité sera au rendez-vous et puis, on sent qu’on passe à une autre échelle. D’ailleurs, de façon presque magique, l’association bénéficie d’une couverture presse sans précédent ; des photos, où Michel serre la main de la présidente qui tient dans l’autre main un chèque de subvention tout droit sorti des doigts habiles du député-maire, font la une des quotidiens locaux, alors que les interviews des bénévoles (auxquels on a préalablement donné une trame de réponse) présentent la belle implication crédible de Michel, depuis des années, auprès de l’association. Yamina n’est soigneusement pas interviewée. Mais elle accepte sans sourciller de rester dans l’ombre puisque seuls comptent la survie de l’association et le bonheur des handicapés.
Les choses continuent de grossir ainsi de façon soutenue. Cependant, quand l’association s’implique pour soutenir Michel, quand elle organise des évènements, des happenings parfois citoyens mais toujours festifs dans des restaurants et des bars qui sont très très souvent ceux du député-maire, quand elle se prend à visiter les monuments justement inaugurés par Michel, Yamina commence à trouver cela … gênant. D’autant plus que les contrats passés lui semblent désormais très mal négociés, avec des prix qui frôlent le double (par le haut) de ceux des précédents fournisseurs. La qualité, tant vantée au début, n’est plus si souvent là.
Et là, Yamina commet une première boulette : accompagnée d’autres bénévoles, elle s’en plaint au nouveau bureau puis, devant leur viscosité à toute prise de décision un peu couillue, auprès de Michel. Qui se montre alors très vexé : son aide n’a pas trouvé la gratitude qu’il attendait, non mais franchement ! Pourtant, l’accord était clair, non ?
Dans la foulée, c’est la deuxième boulette pour Yamina : elle contacte les journaux locaux et nationaux pour leur présenter cette histoire poignante d’une association désormais contrôlée par des amis de Michel, cliente des amis de Michel, soutien visible de Michel.
Flûte et zut, personne ne veut publier son histoire ! Sapristi, soit on ne la croit pas, soit on hésite puis on laisse tomber devant son récit. Pire : elle reçoit même un appel menaçant de l’assistante de Michel. Il ne faudra que quelques jours de plus pour que d’autres appels toujours aussi angoissants arrivent, parfois en pleine nuit. Yamina n’abandonne pas et persiste à contacter les journaux, forte de témoignages d’autres anciens bénévoles et présidents d’associations de la ville.
Ce matin, en lisant son journal, effarée, elle découvre son histoire reprise avec quelques judicieuses altérations qui la font passer pour une mauvaise gestionnaire aigrie et ingrate. S’y ajoute une bonne louchée de soupçons totalement infondés de détournements de fonds, afin de garder le sujet au chaud. Yamina aura beau pleurer, le regard de ses voisins, ses amis et ses collègues a déjà changé. Mais pas autant que son entité caritative, transformée en association de malfaiteurs.
Cette histoire est loin d’être totalement imaginaire. Si elle vous rappelle quelque chose, n’hésitez pas à en faire part dans les commentaires ci-dessous !
- En France, il est interdit de se passer des autres
- Présidentielle 2017 : une analyse intéressante
- [Redite] Les animaux sont enfin des humains comme les autres
- CSA, Marseillaise et petits drapeaux
- Ce que les prisons bataves pourraient nous apprendre
- Quand l’État-maman vous dit quoi manger et comment