Et cette année innove un tantinet puisqu’à la bonne grosse grève qui paralyse le pays pendant plusieurs jours voire plusieurs semaines et permet à certains ministres de se découvrir des facilités d’acrobates russes pour courir prestement le pantalon sur les chevilles (hat tip Alain Juppé), les habituels rouspéteurs aigris de la SNCF ont substitué la grève sur une journée, pendant plusieurs semaines — ou plusieurs mois, si l’envie leur dit, et par région, au petit bonheur la chance.
Et pour savoir exactement qui fait grève, où et pourquoi, il faut éplucher les annonces diverses et variées d’une presse qui a bien du mal à y retrouver ses petits.
Ainsi, en Aquitaine, ce sont les lundis et mardis qui sont perturbés. C’est comme ça. (Les raisons sont laissées à l’imagination du lecteur). On ne sait pas combien de lundis seront concernés, mais on en présage un bon paquet si on s’en tient aux habitudes des autres régions.
Ainsi, entre Poitiers et la Rochelle, ce sera la même chose, dans la bonne humeur qu’on pressent déjà, accolades chaleureuses entre voyageurs compréhensifs et conducteurs / contrôleurs / acrobates du rail divers. Les papouilles humides des uns sur les tronches des autres rougies par le froid et les rudes conditions du sacerdoce du chemin de fer seront à n’en point douter un véritable baume tant on sait que c’est aussi pour les salariés du privés qu’ils luttent ainsi pour de meilleures conditions de tout.
Ainsi, en Midi-Pyrénées, on a aussi une grève hebdomadaire. L’article, écrit dans le style journalistique habituel (confus et hâché) parle d’un sixième lundi de grève pour les agents de conduite (qui ont les yeux tout humides à cause de la rénovation des lignes, de salaires trop petits et d’effectifs trop faibles), et évoque aussi la grève des contrôleurs les vendredis. Car en matière de grève hebdomadaire à la SNCF, le panachage, c’est possible.
Ainsi, relier une ville de province à la capitale est devenu un véritable parcours du combattant cauchemardesque qui permet à chaque contribuable, confronté à l’absolu mépris de la société nationale vis-à-vis du contrat de transport passé avec lui, de bien comprendre la notion de prise en otage, de spoliation, d’extorsion de fonds par voie armée (eh oui, les impôts, c’est aussi ça), le tout dans un package simple avec un joli logo et un slogan aguicheur.
Bien sûr, on retrouve de méchants actes de malveillance qui semblent excuser sans expliquer (ou expliquer sans excuser ?) les retards homériques subis par les trains de la société nationale. On trouve aussi des pannes inattendues de matériel. Des pannes, plus attendues, de personnel. Des pannes de contrôleurs. Des pannes de sandwich. Des pannes de guichets. Des pannes de poinçonneuses. Bref.
Petit à petit, de merdages mémorables en naufrages du rail au retentissement national (voire international), la compagnie de trains se mue en location de taxis et de car interurbains pour déplacer les myriades de
8 février 2010
5 mai 2012
2 novembre 2012
En fouillant plus, on doit trouver sans problème une intéressante collection de dépêches et autres brèves AFP pour les années précédentes, et, en affinant (en prenant en compte tous les « petits retards » de moins de 5h, en incluant les retards sur le réseau français des compagnies-sœurs comme Eurostar ou Thalys), on aura une meilleure idée de la ponctualité et du sérieux de la SNCF. Un exercice avait d’ailleurs été lancé en 2011 par la CFDT qui avait trouvé qu’un tiers des trains … arrivaient à l’heure (oui oui, seulement un tiers).
Il est intéressant de constater que cette dégradation n’est pas seulement technique et physique, mais bel et bien un phénomène structurel, que la société de chemins de fer vit de l’intérieur et parfaitement visible dans l’utilisation de slogans de plus en plus éthérés et loin de la réalité du rail (ou duraille) que tout client connaît. Ainsi, en 1970, la SNCF, c’était un «Prenons le train» bien factuel. En 83, on restait là encore dans le terre-à-terre un peu basique avec «Le train, du bon temps à petit prix». À partir de 1988, on a commencé à voir émerger une entreprise qui vendait du rêve, des voyages lunaires et des concepts acidulés et rigolos, avec son «SNCF c’est possible» qui aura fait date. En 1991, il n’était plus question de trains, mais de progrès, qui ne valait que s’il était partagé par tous (comme la facture, salée). En 1995, la SNCF tentait de nous faire préférer le train, et paralysait le pays dans une grève qui coûta à la nation plusieurs milliards d’euros (dont un demi rien que pour la SNCF et la RATP). Depuis 2005, la SNCF s’échine à donner à ses trains des idées d’avance, sans que ceux-ci semblent en trouver.
Pendant ce temps, les subventions, soultes et autres bail-out bedonnants d’une société de chemins de fer en quasi-faillite ne s’arrêtent pas (avec les mêmes effets que tousles autres secteurs subventionnés : la déroute) ; malgré ces rivières d’argent public en pure perte, la grogne monte de plus en plus chez les usagers excédés d’un service lamentable. Si l’on y ajoute, comme révélé par Philippe Herlin sur son blog, la gestion non plus fantaisiste mais carrément criminelle de l’argent injecté dans des montages financiers qui ont prouvé (en Grèce par exemple) leur nocivité, on comprend que l’avenir pour la société nationale est catastrophique.
La SNCF, comme je le disais en introduction, est une vieille dame complètement incontinente des vastes océans d’argent du contribuable qui lui sont attribués tous les ans et qui partent dans une myriade de postes divers, sans que le client, le contribuable ou l’usager puisse constater une quelconque amélioration des conditions de transport : les rames vieillissent, les horaires sont passés d’indicatifs à facultatifs, les services à bord frisent souvent l’humoristique, et les tarifs sont maintenant une référence en matière d’opacité (à côté de Black/Quadri, Pantone va insérer Tarifs/SNCF dans ses nuanciers).
À l’heure où les finances et les économies des uns et des autres se font plus tendues, il devient plus qu’urgent de remettre en question les statuts et les habitudes des vieilles institutions qui ont largement démontré leur totale incapacité à faire des réformes en profondeur. À ce titre, la SNCF n’échappe pas à la règle. Quand on revient, comme je viens de le faire, sur tous les éléments consternants qui caractérisent maintenant le rail français, on ne peut aboutir qu’à une unique conclusion : il faut en finir avec cette abomination. La libéralisation du rail français, timidement envisagée par la contrainte européenne, n’est plus seulement souhaitable, mais elle devient nécessaire, indispensable et urgente : chaque jour qui passe, cette entreprise accroît mécaniquement ses pertes et donc le malheur autour d’elle. Chaque année supplémentaire sans la moindre remise en cause ajoute à la pile des vexations, des frustrations, des déficits, des dettes, des problèmes non traités qui débouleront un jour, inévitablement, tous ensembles.
Ce jour approche, soyez-en sûr. Et ce jour-là, ne prenez pas le train (même en marche).