Par exemple, profiter de la rue lorsqu’on est simple piéton, c’est parfois s’exposer à des déconvenues, surtout si on fait un peu n’importe quoi. C’est ce qu’ont pu découvrir 186 personnes qui avaient eu la triste idée de traverser en dehors des passages piétons et qui se sont fait verbaliser récemment à Saint-Étienne. Ah, que voilà fière police qui réalise ici un travail de véritable salut public puisqu’enfin elle admet que le piéton n’a pas tous les droits et peut, parfois, être en tort lorsqu’un véhicule motorisé lui passe dessus… La verbalisation était donc plus que nécessaire, salutaire même !
Et puis, lorsqu’on n’est pas piéton, on devra aussi bien faire attention à son environnement, notamment cette partie de l’écosystème routier qui verbalise à tout va. C’est ainsi qu’on découvre la traque mise en place par la gendarmerie sur les autoroutes … de l’information, où elle a décidé de choper quelques petits internautesqui ont eu la mauvaise idée de partager sur Facebook la localisation des forces de l’ordre et leurs radars dans l’Aveyron. On passera sur la qualification fantaisiste des délits poursuivis pour se concentrer sur le fait principal : les forces de l’ordre font ici encore preuve à la fois de discernement et d’intelligence pour s’attaquer à ces vrais problèmes qui rongent la France.
Entre les piétons poursuivis et les facétieux partageux de Facebook, policiers et gendarmes sont donc assez occupés. Ce qui explique probablement pourquoi ils ne sont pas là lorsqu’un rodéo a lieu en pleine ville. Rodéo impromptu organisé par des jeunes sur de grosses cylindrées de location (Mercedes, Porsche Cayenne, deux Ferrari et une Lamborghini), qui se termine malencontreusement lorsque la Porsche et la Mercedes écrasent un piéton (probablement récidiviste du passage hors des clous). Rassurez-vous : les autorités « compétentes » (ici, le Maire de la commune) se sont immédiatement emparées de l’affaire pour proposer des solutions viables et concrètes comme l’interdiction de la location de grosses cylindrées ou la création d’un nouveau permis de conduire pour ces engins puissants. Parce que la loi, ça marche, bien sûr.
Vous voyez, il se passe beaucoup de choses dans les rues de France, et à bien y réfléchir, tout indique qu’y circuler comme un individu insouciant et libre devient de plus en plus difficile. Heureusement là encore, les politiciens ont pensé à vous. En ayant fort habilement ponctionné les contribuables pour mettre en place des transports en commun, ils résolvent ainsi plusieurs problèmes : plus besoin de grosse ou de petite cylindrée, plus besoin d’être piéton ! Et puisque l’État s’occupe déjà de vous éduquer, de vous soigner, d’épargner pour votre retraite et de vous trouver un travail s’il venait à manquer, il va aussi vous transporter, du téton au sapin et de chez vous à l’endroit où vous comptez vous rendre (car vous êtes cerné).
C’est bien évidemment magnifique. Un rien coûteux, mais on s’en fiche puisque c’est de l’argent gratuit du contribuable.
Jusqu’au jour où certains décident que non. D’habitude, la saison de la gréviculture est plutôt Septembre, mais la déliquescence générale du pays, couplée à l’approche des vacances et à un temps qui pousse à la rêverie sous les cerisiers, additionnée d’une bonne louchée de Coupe du Monde de football qui incite clairement certains à rester chez eux devant la télé, tout cela aura favorisé l’émergence d’une nouvelle récolte de grèves dodues et chargées de bon gros slogans sucrés. Le bal fut ouvert en début de semaine par la SNCF, grévicultrice patentée et reconnue dans le monde entier depuis plus de 60 ans. Bien évidemment, le motif de ce débrayage complet des cheminots est absolument essentiel à la compréhension de cette action syndicale qui recueille bien évidemment le soutien complet des Parisiens en particulier et des Français en général, parce que tout le monde sait qu’ils se battent pour nos droits aussi et gros bisou. Bien évidemment, on lit déjà certains ronchons, perturbés par ces petits changements inopinés d’horaires et de disponibilités, s’épancher dans une presse bien trop complaisante pour ces vendus au turbolibéralisme apatride mangeur d’enfants communistes.
Bien sûr, lorsqu’une grève SNCF survient ainsi, le rompu des métros, l’habitué des navettes et l’usagé des transports se rabat sur ce qu’il peut. Le taxi est une option possible. Mais dommage, ces derniers ont aussi poussé leur petite grève pourprotester contre la concurrence des voitures de tourisme avec chauffeur (VTC), qui a le mauvais goût de saboter leur rente de situation et de remettre largement en question leur méthodes commerciales. Et rien de tel que
Tant pis pour les non-piétons qui voulaient tenter de se déplacer ces derniers jours, de grosses perturbations se sont donc accumulées pour le plus grand bonheur de tous, sachant que « grosses perturbations » est un délicat euphémisme pour « bordel total avec prise en masse ». Et ne comptez pas sur les prochains jours pour une éventuelle amélioration puisqu’au bal des pleureuses de la France Corporatiste s’ajoute le personnel de piste d’Air France de l’aéroport Charles-De-Gaulle. Entre les cheminots opprimés, les taxis malmenés et le personnel aéroportuaire maltraité, tout indique qu’enfin, les damnés de la Terre et les forçats de la faim se redressent et réclament ce qui leur est dû : du pognon, une protection contre le monde qui pique, plus de moyens (financiers), l’assurance de la conservation de leurs acquis sociaux, des augmentations de salaire et le retour au status quo ante.
Je passerais pudiquement sur le fait que cette grève aura poussé les usagers à toutes les extrémités pour parvenir à se déplacer, et ces derniers, redevenus piétons, n’en faisant qu’à leur tête et n’importe comment, se retrouvent parfois sous les transportsen commun qu’ils espéraient utiliser. Je laisse au lecteur le soin de savoir s’il faut verbaliser le piéton ou blâmer le conducteur de n’avoir pas fait grève.
…
À l’instar d’un tableau de Monet ou de Caillebotte constitué de petites touches de couleurs assemblées pour former un tout cohérent, cette pénible litanie de faits divers et de mouvements sociaux tous aussi consternants les uns que les autres montrent tous, par agglutination et juxtaposition, l’état général de la France en ce mois de Juin 2014. Loin d’une France apaisée, le pays n’a jamais été autant parcouru de tensions, d’aigreurs et de ressentiment.
À lire ces faits divers, on croirait que la police et la gendarmerie font absolument tout ce qui est dans leurs cordes pour se faire détester. Les corporations et les syndicalistes ajoutent à la nervosité ambiante en démontrant à tous leur implacable sens du foutage de gueule et leur mépris le plus profond pour ces clients qu’ils savent captifs. Tout, dans le pays, est fait pour que l’individu libre qui se déplace à son gré soit largement encadré, surveillé et considéré, par défaut, comme un délinquant potentiel, et lorsque ça ne suffit pas, on entravera purement et simplement ses déplacements. De cette façon, il faut faire comprendre au peuple qu’il doit maintenant rester chez lui et attendre sagement le dénouement des confrontations entre les meutes de loups pour savoir à quel sauce il devra être mangé. Ce peuple qui a jadis tant choyé sa liberté n’est plus qu’un esclave au service de petits maîtres, veules et sans scrupules. Finalement, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le Changement, c’est l’Immobilisation. Et le pire n’est même pas qu’elle soit imposée au peuple, mais que celui-ci s’en accommode.
Ce pays est foutu.