Et c’est donc dans ce contexte que le président pédalo-flambyste a lancé à Paris le Concours d’Innovation Mondiale qui, selon lui, doit permettre au pays de retrouver son rang dans ce domaine, car « La France est un grand pays de recherche » et surtout parce que mes petits amis,
Pendant ce temps, dans le monde réel, il en va un peu différemment et l’innovation n’est pas toujours accueillie avec la joie et l’ardeur qui serait pourtant utile à son développement. J’en veux pour preuve la récente mise sur le marché d’un nouveau service au travers des intertubes numériques et qui vise à dématérialiser ce bon vieux testament des familles qui était jusqu’à présent cantonné, pour ainsi dire, à l’artisanat local. En effet, deux frères viennent de lancer« Testamento », un site qui ne vend pas, contrairement à ce que le nom pourrait faire penser des esprits ludiques, un Mentos d’Outre-Tombe, mais bien la possibilité pour tout internaute de générer son testament en ligne, en tenant compte de quelques paramètres personnels, puis de le soumettre (ou pas) à l’enregistrement notarié.
Le principe est simple : il s’agit de proposer une aide internet à la rédaction du testament olographe, forme la plus simple et la plus courante des testaments, et qui consiste en un document manuscrit, daté et signé, et que tout le monde peut faire et conserver chez soi sans autre forme de paperasserie administrative (Car si, si, en France, des actes aussi simples peuvent exister sans l’onction – souvent extrême – de l’administration, même si, il faut bien le reconnaître, ils sont de plus en plus rares). Rassurez-vous, ce testament olographe ne met pas en danger la profession des notaires puisque dans 9 cas sur 10 en moyenne, il y a des omissions, des ambiguïtés, des imprécisions, des petits pâtés, des ratures, des trucs et des machins sujets à interprétations qui rendent le papelard juridiquement invalide et permettent ainsi de renvoyer la famille (et le mort) dans les bras des Notaires, qui se frottent alors les mains avec la componction qu’une perte douloureuse dans les familles de clients accompagne bien évidemment.
Dans le cas qui nous occupe, le document produit par Testamento permet justement d’éviter ces petits tracas (je parle des pâtés et des ambiguïtés, hein), en produisant un résultat juridiquement valable. Il n’en a pas fallu plus pour observer comme une petite réticence de la part des principaux concernés par cette innovation, les notaires. Choqués sur le fond comme sur la forme, la profession vient de se recroqueviller sur elle-même après un petit cri strident et quelques articles bien sentis.
Eh oui : franchement, internautes de peu de foi, imaginer qu’on pourra ainsi aider les gens par un tel service, c’est forcément du pipeau ! Me Laurent Mompert, porte-parole du Conseil supérieur du notariat, tempête ainsi :
« Vendre cette démarche juridique comme un produit fini sur Internet, laisser croire aux gens à cette simplification et à l’inutilité des conseils de l’officier public, c’est dangereux, contraire à la déontologie, inacceptable. »Ben oui quoi, un service qui se simplifierait par internet et qui obligerait une profession à se remettre en cause pour se concentrer sur sa vraie valeur ajoutée, c’est inacceptable ! Ne l’acceptons pas, d’ailleurs : tout le monde sait qu’on ne peut pas, qu’on ne doit pas rédiger un testament comme on achète une vulgaire baguette de pain, entre deux courses et dans des boutiques interlopes aux pratiques douteuses ! Non, môssieu, le testament, c’est un truc complexe de chez complexe avec des situations familiales tendues, des règles bien précises et un besoin évident de sur-mesure.
Bon. Certes. Mais il y a aussi tout de même un paquet de cas standards pour lesquels un testament de base peut très bien fonctionner, et on comprend qu’un tel service internet permettrait de démocratiser le testament olographe qui pour le moment est surtout réservé à une faible minorité de personnes. Mais non. Il ne faut pas. C’est mal. Ce serait la porte ouverte à un changement de routine dans laquelle les notaires sont maintenant placés depuis quelques siècles, ce qui provoquerait, à n’en pas douter, des angoisses et des ongles cassés.
Évidemment, on retombe ici sur la sempiternelle constatation d’un pays sacrément sclérosé face à l’innovation dont se gargarise pourtant François Hollande. Tout comme les chauffeurs de taxi qui s’affolent de plus en plus devant les VTC, tout comme s’exciteront sans nul doute les banques centrales à mesure que les crypto-monnaies prendront de l’importance, les notaires ne supportent pas l’intrusion des nouvelles technologies dans leur petit monde douillet.
Soit.
Cependant, on peut noter, en parallèle à la réaction outrée, passéiste, rigolote et parfaitement inutile des notaires, la façon très particulière que les médias ont choisie pour faire mention de cette nouveauté. Si l’article du Figaro était à peu près neutre (bien que donnant une parole démesurée aux notaires et quasiment rien aux entrepreneurs), il en va différemment des voix officielles de la République, à savoirFrance TV Info et France Bleu.
Le premier joue gentiment l’aspect didactique sur le mode « avant d’aller cliquer bêtement sur ce site louche, rappelez-vous qu’il vous sera difficile de vous passer de notaire », avec cette petite pointe de dénigrement subtile qui permet de bien remettre les inventeurs/entrepreneurs à leur place de vilains méchants qui tentent de piquer le travail des officiers de la République haletante et égalitaire. Le second, encore moins raffiné, se contente dès le titre de poser la question qui tue : « Le testament en ligne sert-il à quelque chose ? » puisqu’après tout, comme il va falloir à un moment ou un autre voir un notaire (mais si, puisqu’on vous dit qu’il faut, même quand ce n’est pas obligatoire), hein, bon, après tout, pourquoi se cogner les intertubes avec des clics complexes et des petits caractères flous sur des écrans qui scintillent ? Hein, Mamie, pourquoi tu ne laisses pas les jeunes jouer à Call Of Duty tranquillement au lieu de mobiliser connement ta machine pour entrer ton testament standard et t’éviter ainsi une péniblerie au notaire du coin ?
Pas de doute : si le corporatisme fossilisé des notaires ne surprendra bien sûr personne, la réaction des journalistes, en filigrane, est tout aussi charmante et parfaitement alignée avec cet état d’esprit si français face à l’innovation. Si, il y a quelques décennies de cela, le peuple français embrassait l’innovation à bras ouverts, tout indique actuellement que sa population est maintenant persuadée que tout changement provoquera des heurts, des bosses et des horions, justifiant dès lors impérativement de tuer dans l’oeuf toute velléité d’amélioration. Après tout, à tenter des trucs et des machins comme ça, on sait ce qu’on perd, ma brave dame, mais on ne sait pas ce qu’on peut gagner, alors ne faisons rien ! Principe de précaution !
Hollande est amusant. Avec son Concours d’Innovation Mondiale, il ne se rend pas compte qu’il ne s’adresse finalement pas du tout aux Français. Ceux qui innovent sont déjà partis, ceux qui restent n’innovent pas, et ceux qui tentent d’innover sont minutieusement pourchassés par les corporations zombies et les rabats-joie vendeurs de moraline par barils entiers.
Pas de doute. Ce pays est foutu.