Et celui-ci fait bien les choses puisque c’est non pas par l’action vigoureuse du premier ministre, du président, du ministre de l’intérieur ou des services de renseignements mais bien par celle des pompiers qu’un terroriste a été récemment arrêté dans ses néfastes projets. L’histoire pourrait prêter à rire si l’avenir républicain du vivrensemble et de la Bisounoursie Démocratique Française n’étaient pas en jeu ici.
Comme le rapporte un RTL tout effaré, tout a commencé le week-end dernier par une intervention des pompiers pour un incendie dans un domicile d’Orléans. Surprise des secouristes qui, en arrivant, découvrent des armes et des drapeaux de l’État islamique. Le feu éteint, ils décident d’appeler la police. Ce coup de fil aboutira au placement en garde à vue de plusieurs suspects par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), et la mise en examen de l’un d’eux le mercredi 28 janvier. L’enquête ne fait, semble-t-il, que débuter.
D’ailleurs, c’est le même hasard qui a fait tomber, l’été dernier, un journaliste d’une agence voisine de la rédaction de Charlie Hebdo sur deux individus, particulièrement menaçants, qui posent des questions sur le siège de l’hebdomadaire, et ce alors même que la surveillance du journal vient d’être allégée. L’anecdote est relatée dans le Canard Enchainé daté du 14 janvier 2015, et l’auteur de l’article précise que les deux hommes sont suffisamment inquiétants pour qu’on relève le numéro d’immatriculation de leur véhicule et qu’un signalement soit effectué dans le commissariat du 11ème arrondissement, signalement qui aboutira à la rédaction d’un procès-verbal.
Apparemment, les bienfaits du hasard s’arrêtent là puisque ce signalement, qui aurait certainement pu mettre la puce à l’oreille de la DGSI et de ses cellules anti-terroristes, n’a déclenché aucune suite concrète. On connaît la suite.
De là à en conclure qu’en matière de surveillance de masse, nos services de renseignement ne font finalement pas mieux voire moins bien, que les pompiers, les journalistes et surtout, le pur hasard, il n’y a qu’un pas qu’on franchira prudemment en se référant par exemple à quelques statistiques simples (mais pas simplistes) et qui montrent assez clairement, comme le note Floyd Rudmin, professeur de psychologie à l’Université de Tromsø en Norvège, qu’une telle surveillance de masse est mathématiquement complètement inefficace à trouver des terroristes.
« Suppose that NSA’s system is more accurate than .40, let’s say, .70, which means that 70% of terrorists in the USA will be found by mass monitoring of phone calls and email messages. Then, by Bayes’ Theorem, the probability that a person is a terrorist if targeted by NSA is still only p=0.0228, which is near zero, far from one, and useless. »Bref : la surveillance de masse, pour repérer des terroristes peu nombreux au milieu d’une foule, très nombreuse ne marche pas. La surveillance de masse d’internet, des téléphones, des e-mails, des communications interpersonnelles diverses et variées, pour trouver des cellules terroristes, ça ne marche pas. Là où la surveillance ciblée, à partir d’un travail de terrain, d’infiltration, de renseignement bien plus traditionnel, marche de façon raisonnablement fiable, la surveillance de masse de toute une population ne marche pas.
« Si on suppose qu’un système de surveillance de masse comme celui de la NSA est efficace à 70% (ce qui veut dire que 70% des terroristes aux Etats-Unis seront trouvés par ce système), alors en appliquant le théorème de Bayes, la probabilité qu’une personne ciblée par la NSA soit effectivement un terroriste est à peine de 2.28%, ce qui est très proche de 0 et inutile. »
Le pire, c’est que tout le monde se doute bien que cette recherche minutieuse d’une aiguille dans une fabrique internationale de bottes de foin se soldera par une écrasante série d’échecs pour une toute petite poignée de réussites médiocres exhibées en trophées d’autant plus merveilleux qu’elles seront rares (et miraculeuses). Mais voilà : même si tout le monde s’en doute, tout le monde s’en fiche. La réalité nue et assez désagréable, c’est que l’écrasante majorité des Français veulent ardemment cette surveillance de masse.
Un article récent de ZDNet revient d’ailleurs sur l’état des lieux en matière de surveillance de masse, et notamment de surveillance sur les réseaux, à commencer par internet, avec les résultats qu’on connaît (c’est-à-dire à peu près nuls), et l’inquiétante montée parallèle et inexorable des demandes de plus en plus bruyante de la part du public pour un accroissement des moyens dans ce domaine, même et en dépit de ces échecs.
Accroissement irréfrénable et empilement d’échecs qui conduisent d’ailleurs Jérémie Zimmerman, cofondateur de la Quadrature du Net, à tenir des propos assez clair devant une Commission du Sénat consacrée à la question.
Pour lui (et on ne peut que lui donner raison), les empilements de lois sécuritaires et les dispositifs qui ont été mis en place ces dernières années n’ont à l’évidence pas empêché les attaques terroristes de début janvier, et on voit mal pourquoi un renforcement et une généralisation de la surveillance d’Internet seraient soudainement plus efficace. Il détaille d’ailleurs le mécanisme qui sera mis en place pour obtenir, en toute tranquillité, un nouvel accroissement de la surveillance de masse, en passant par la case « amalgame » pour le coup bien pratique, qui consistera donc à amalgamer la lutte antiterroriste avec la répression des propos haineux ou moralement douteux, la radicalisation ou que sais-je encore.
La suite, on la devine sans mal : sur-blocage qui affectera par effets de bord des sites nullement répréhensibles mais malheureusement dans la zone de bombardements législatifs, et surtout, multiplication des manœuvres d’évitement des terroristes qui se débarrasseront des technologies risquées pour passer intégralement sous le radar. Autrement dit, le système mis en place surveillera de très près les citoyens honnêtes et loupera complètement les cibles initiales. Encore un Epic Fail en préparation, et avec l’assentiment de la masse, de la majorité démocratique et joyeuse.
Je l’ai déjà dit dans de précédents billets : vous ne voulez pas de cette liberté qui vous fait peur ? Vous ne voulez surtout pas de la responsabilité qui va avec, parce qu’être un enfant qui court dans les jupes d’Etamaman est bien plus douillet ? Eh bien ça tombe très bien : nos politiciens sont justement là exprès pour vous retirer cette liberté qui vous encombre. Vous ne voulez pas du libéralisme ? Ça tombe encore mieux : plus personne ne vous en propose. Et de la surveillance de masse, vous allez en avoir.
Mais ne venez pas vous plaindre ensuite.