Et cette fois-ci, ce sont les damnés de la terre version Spectacle Vivant (par opposition au numérique, au cinéma, à la télévision qui sont des spectacles morts, je suppose) qui se lèvent comme un seul corps social en proie aux affres d’une indicible agonie et qui, vibrant de leurs derniers souffles, pondent une tribune, abondamment parue dans la presse, et une lettre ouverte à la sucrerie oubliable attribuée au maroquin de la Culture.
Le geste est lancé, le cri lancé, et l’appel poignant :
« À l’heure où le populisme grandit, où le divertissement se substitue à la culture et où trop de responsables politiques semblent abandonner le défi de l’émancipation humaine, il n’est plus possible de se taire. »Fouchtra, voilà qui commence fort. La tribune, signée par une flopitude de grands noms qui font vendre comme Mathieu Amalric, Emmanuelle Béart ou Denis Podalydès, ne laisse donc aucune place à l’interprétation, même théâtrale et pose un décor de ruines et de désolation qui fait froid dans le dos. L’émancipation humaine est en jeu, mes petits amis, il n’est plus possible de passer sous silence les abominations dont les artistes font maintenant l’objet. D’ailleurs, Madeleine Louarn, la présidente du Syndeac, le syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, explique dans un sanglot difficilement réprimé que, je cite :
« Une conjonction d’éléments peut nous faire disparaître à grande vitesse s’il n’y a pas un sursaut. »Conjonction que détaille le Syndeac et qui déplore que « le budget consacré par la Nation à la culture n’a pas cessé de baisser en euros constants », tout en dénonçant aussi « des atteintes à la liberté de création » …
Pas assez de plugs gigantesques sur les grandes places de France ? Trop de rouspétance de certains malappris qui s’offusquent encore des performances artistiques alternatives de femmes dépoitraillées au milieu d’églises multicentenaires ? Accès trop difficile aux tribunes médiatiques alors que cette dernière a été reproduit sans souci dans les habituels opuscules trosko-capitalistes de milliardaires socialistes ? On en sera cantonné aux supputations, toujours plus sulfureuses que la réalité puisque les détails de ces atteintes sont absents.
Néanmoins, le message est clair : le robinet d’argent frais semble s’être un peu fermé, et c’est la panique chez les assoiffés de la culture. Devant les cris affolés et l’appel qui est quasiment présenté comme celui de la dernière chance avant une mort atroce, on pourrait s’attendre à ce que le budget du Ministère de la Culture et de la Communication ait été récemment ratiboisé ou que la coupe claire, près du tronc, ait massacré les plus belles ramures de ce joufflu maroquin. Que nenni. Comparé à 2013, il a baissé de 2%. Deux petits pourcents. Certes, sur une somme de plusieurs milliards, cela fait de gros millions dodus, mais il ne faudrait pas oublier trop vite l’obèse 98% qui reste à pavaner sur la plage, le nombril à l’air et le gras détendu.
Car oui, on pleurniche, on se tord les doigts, mais le budget 2014 de ce ministère s’élève quand même à 7,26 milliards d’euros. Pour rappel, celui de la Justice est de 7,82 milliards. La France consacre donc à peine plus à sa justice qu’à ses
À ce titre, peut-être serait-il plus qu’utile que le service public fasse, au bénéfice de cette justice douloureusement nécessiteuse, une petite cure d’amaigrissement, qu’il soit radiophonique, télévisuel ou de cette famille culturelle si vaste qu’elle englobe à la fois les inénarrables destructeurs d’intemporel à la truelle, les vibrants théâtreux toujours prêt à crier dans une bruyante tribune, et les clowns à roulettes qui nous gouvernent.
L’autre souci, c’est qu’avec ces méchantes restrictions budgétaires,
« On voit de plus en plus d’élus qui interviennent à la fois sur les budgets et sur les contenus mêmes. De nouveaux maires veulent choisir eux-mêmes la programmation des théâtres. »Eh oui : au Blanc-Mesnil, le directeur Xavier Croci s’est vu reprocher une programmation « élitiste ». Palsembleu ! Et à Roanne, le directeur du théâtre Abdelwaheb Sefsaf a été limogé brutalement par une municipalité ne s’embarrassant pas de préavis douillet. Vertuchoux ! Mais voilà : si demander que le théâtre municipal s’adresse au plus grand nombre est, probablement, une abomination digne des heures les plus sombres de notre histoire tralala fascime culture revolver tralala, on ne peut s’empêcher de penser qu’après tout, c’est justement ce plus grand nombre qui paye pour l’entretien des danseuses du cru parmi lesquelles ce Xavier Croci et, ne l’oublions pas, le maire du Blanc-Mesnil lui-même. Dès lors, il semble aussi normal qu’un président que les payeurs en aient pour leur argent (surtout actuellement où il vient à manquer) et qu’une programmation non-satisfaisante se traduise par un remerciement. Après tout, c’est ainsi que cela fonctionne partout ailleurs, et le monde continue de tourner.
Mais voilà. Nos artistes ont mal à la culture devant toute cette vilaine réduction budgétaire. Jugez plutôt :
- l’État vient d’imposer un gel de 8% aux crédits d’intervention du ministère de la Culture. Ce manque d’argent est abominable.
- Le Festival d’Avignon a vu son budget amputé de 302.000 euros. Ce manque d’argent est horrible.
- La baisse des dotations aux collectivités les a poussées à remettre en cause les conventions de deux orchestres d’envergure internationale, Les Musiciens du Louvre à Grenoble et Les Arts Florissants à Caen. Ce manque d’argent est scandaleux.
Mais tout de même. Jamais je n’aurais cru que tous ces hommes et ces femmes cultivé-e-s étaient à ce point intéressés par l’argent des autres. C’est vraiment étonnant qu’ils soient à ce point obsédés par l’argent public qu’ils en viennent à en réclamer de nouveaux tombereaux par voie de presse.
Moi qui croyais naïvement que brûlait en leur sein cette passion dévorante pour le métier qu’ils pratiquent ! Moi qui pensais qu’à l’instar de tant d’acteurs, de peintres, de musiciens, de chanteurs ou de sculpteurs qui, bien que jadis non subventionnés, laissèrent pourtant dans l’Histoire française les marques les plus resplendissantes de sa culture mondialement reconnue, ces nombreux et bruyants signataires feraient largement passer leur art avant leur ventre et qu’ils continueraient, coûte que coûte et vaille que vaille, à défendre leur vision culturelle quitte à se commettre avec des mécènes généreux et à devoir attirer un public payant pour leurs prestations.
Eh bien non. L’addiction est trop forte : l’argent des autres leur est si indispensable qu’ils n’ont pas hésité, sans la moindre honte, à en réclamer encore plus, haut et fort.
Décidément, de nos jours, la passion artistique est en solde.