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Je suis naturellement grand, beau, j’ai le teint buriné par le soleil et le sourire enjôleur et des mocassins à gland, un très gros zizi et une absence totale de lucidité sur mes qualités et mes défauts !
J'ai un blog sur lequel j'aime enquiquiner le monde : Petites chroniques désabusées d'un pays en lente décomposition...
Bac 2016 : à quand un handi-bac ?
Audience de l'article : 1259 lecturesLà où, il y a encore dix ans, à la faveur d’un reportage aussi télévisuel que journalistique, on s’occupait un peu des pleurs des candidats malheureux devant les panneaux de résultats, la nouvelle bonne idée du moment consiste à revenir en détail sur les épreuves elles-mêmes et sur les difficultés que ces candidats ont rencontrées. Et là, pas question de louper l’occasion de donner la parole aux bousculés du système, qui se seront d’ailleurs bruyamment fait entendre au moyen de pétitions tonitruantes.
Cette année n’échappe pas à la tradition qui s’installe : comme l’année passée où la « question M » avait déclenché un prurit pétitionnaire virulent, il s’agit cette fois d’une violente poussée d’urticaire signatural au sujet d’une vilaine méchante question. Et tout comme l’année dernière où la pétition concernait l’anglais, cette année encore, l’anglais est à l’honneur.
La question qui pique porte sur un un extrait du roman d’Alice Hoffman, The Museum of Extraordinary Things qui décrit l’urbanisation du quartier de Manhattan au début du XXe siècle, en évoquant aussi l’Hudson et Harlem, ainsi que les nombreux gratte-ciels de la ville.
Pour les candidats, il s’agissait dans un premier temps d’indiquer dans quelle ville se déroule l’histoire. Pour nos chatons conquérants de la langue de Shakespeare (note aux plus jeunes lecteurs : c’est un auteur anglais, pas un personnage de jeu vidéo ni un acteur porno), c’en est bien trop : l’épreuve verse inutilement dans la culture générale et la nécessité de connaître l’architecture new-yorkaise. Or, pour des petits jeunes qui n’ont qu’un accès fort limité à la culture moderne (nous sommes en France, je vous le rappelle), il leur est difficile d’imaginer que Manhattan puisse être un quartier de New-York ou qu’on y trouve Harlem, l’Hudson ou des immeubles en alignements rectilignes.
À l’évidence, la question A n’a pas lieu d’être !
Petit-à-petit, un rituel s’est donc mis en place.
Étape 1 : la déconfiture.
L’épreuve passée, plusieurs élèves (généralement, pas les lumières) se rassemblent et constatent tous qu’ils ont bêtement séché sur l’une ou l’autre question, l’un ou l’autre aspect.
Étape 2 : « ce n’est pas normal ! »
Très vite, l’évidence fait jour : parce qu’ils n’ont pas compris, parce qu’ils n’avaient pas cette indispensable connaissance que le sujet présupposait naïvement, leur moyenne est compromise, leur avenir est en danger. Le précieux sésame universitaire ne leur sera probablement pas accordé, alors que tout dans leurs têtes indiquait que le bac n’était qu’un rite de passage et qu’il n’était plus guère conditionné qu’à la présence de poils pubiens sur les corps frétillants de nos adulescents. L’échec étant impossible, le bac étant dû, la question insoluble de l’exercice apparaît alors pour une erreur de la froide administration, qui n’est d’ailleurs pas en reste pour en produire régulièrement.
Et si ce n’est pas une erreur, c’est, tout simplement, une provocation. Oui, une véritable provocation !
Étape 3 : la pétition.
La douleur est forte, insoutenable même. Et comme le 50/50 ou le coup de fil à un proche ne sont pas possibles, la seule réponse envisageable est, bien évidemment, l’appel au public. Quoi de mieux qu’une pétition ? Moyennant l’utilisation habile de sites plus ou moins putassiers destinés justement à faire entendre les moindres cris, conjointement à la pratique des réseaux sociaux (massive pour nos adulescents en pleine révolte existentielle), l’appel prend immédiatement des proportions importantes : entre ceux qui n’ont effectivement pas compris l’épreuve et la question infamante, et ceux qui, ayant de toute façon échoué, s’en trouveraient fort aidés de la voir annulée, rapidement, c’est la bousculade au portillon des signatures.
Etape 4 : la médiatisation.
Il suffit ensuite de laisser mijoter quelques heures. Les candidats au rattrapage par vox populi sont nombreux et sans nul doute, la pétition gagne en importance. Les médias traditionnels, exsangues de lecteurs et de principes, se jettent sur cette médiocre nouvelle comme la misère sur le pauvre monde et lui donnent alors le retentissement maintenant habituel de ce genre d’opérations de sauvetage.
C’est génial : tout ceci est rôdé comme un spectacle comique. On attend le bac 2017 pour découvrir quelle question de quelle épreuve déclenchera une nouvelle salve de protestations ridicules, mais on peut compter sur nos amis journalistes pour la relayer.
En revanche, on devra sans doute attendre un peu pour que les blancs-becs qui lancent ces initiatives consternantes se prennent la sévère branlée qu’ils méritent amplement.
Malgré la timide présence de quelques tweets, ici et là, pour railler l’indigente pétition, il ne semble pas encore venu le temps pour les médias de rentrer vertement dans le lard de ces petits choux bousculés, et c’est donc avec un sentiment d’agacement de plus en plus fort qu’on est, cette année encore, obligé de se cogner leurs chouinements grotesques.
Parce que le plus beau, c’est que, tous les ans maintenant, on finit par donner raison d’une façon ou d’une autre à ces pleureuses de cinéma, soit officiellement (et on baisse alors le barème de l’exercice incriminé, voire on n’en tient plus compte du tout), soit officieusement (et on ré-étalonne discrètement les notes sans le dire en poussant à la plus grande largesse des correcteurs, voire à leur laxisme le plus douillet). La pétition, même idiote, paye, surtout si elle finit par être médiatisée.
Pourtant, il faudra bien faire comprendre à nos adulescents fragiles, par voie de presse peut-être, que non, les questions du bac (que ce soit en anglais ou dans les autres matières, du reste) ne sont pas trop complexes. Elles sont en réalité bien trop simples : le niveau moyen du bac n’a pas arrêté de chuter pendant qu’augmentait sans cesse la quantité de semi-lettrés qui parvenaient à le décrocher.
Pourtant, il faudra bien leur faire comprendre que l’échec est aussi un apprentissage, qu’il est même indispensable pour savoir ce qu’il faut corriger, et qu’il permet justement d’étalonner ses connaissances. Le renoncement, que dis-je, l’aversion à l’échec est devenu si fort dans la société française qu’elle s’est durablement calcifiée sur l’absence de toute prise de risque, de toute tentative d’amélioration et s’est donc contenté d’une médiocrité maintenant si institutionnelle qu’elle est ancrée dans les esprits des plus jeunes.
Et alors que cette médiocrité devrait normalement se faire terrer de honte ceux qui en sont victimes, ces imbéciles frétillants l’affichent presque fièrement en affirmant haut et fort avoir échoué parce que leurs connaissances sont dramatiquement lacunaires, et qu’ils s’en foutent mais veulent leur bac, merdalors. Pire que tout : les voilà maintenant, armés de leur orthographe digne d’un CM2 dissipé, réclamer qu’on leur organise des épreuves taillées sur mesure, pas trop violentes en termes de longueur, de contenu et de connaissances présupposées pour tenir compte de leur formation indigente.
À ce rythme, à côté d’un bac déjà dévalorisé, on va devoir organiser un handi-bac pour ces semi-habiles, afin que tous, de façon indiscriminée, puissent repartir avec le bout de papier officiel signifiant que eux aussi ont gagné quelque chose à l’école des Fans de la République. Et quand tout le monde sera enfin dans l’élite, l’égalité sera atteinte, grand porridge froid où s’ébroueront joyeusement ces larves.
Charmante perspective.
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