Aymeric Caron, pour ceux qui auraient l’excellente idée de l’ignorer, est ce chroniqueur du Camp du Bien qui jusqu’à récemment s’illustrait dans l’émission de Laurent Ruquier par une agressivité que les cuistres n’hésitent jamais à déployer. Depuis, il n’hésite pas à utiliser sa renommée essentiellement cathodique pour pousser son dernier « essai ». Ici, le terme d’essai est tout à fait adapté concernant la production de notre hyène herbivore, d’autant que c’est un mot facilement associé à l’idée d’échec.
Et c’est bien d’échec qu’il s’agit ici puisque notre écrivaillon s’est décidé à nous narrer sa vision du monde. Or, cette dernière s’appuie sur le marxisme et l’écologie, comme un cancéreux en phase terminale sur une canne en carton humide, car pour notre homme, aucun doute n’est possible : la société actuelle, pourtant baignée d’un écologisme éreintant de niaiserie et de stupidité coûteuse, ne va pas assez loin dans sa démarche.
Cela permet d’ailleurs à Caron de se payer Nicolas Hulot, l’hélicomane shampoïnophile, qu’il trouve bien trop mou dans ses démarches, et de réclamer dans la foulée qu’on s’attaque sérieusement à l’écologie profonde, forcément de gauche selon notre chroniqueur télévisuel, seule écologie qui pourra combattre l’affreux système ultra-libéral dominant et ultra-productiviste qui exploite l’homme, l’animal et l’autorise même, avec un cycnisme qu’Aymeric n’évoque même pas (la pudeur, sans doute), à écrire ses amusants pamphlets, de les imprimer sur du papier (recyclé) en un nombre assez consternant d’exemplaires et même d’en vendre quelques uns à des salauds de consommateurs pas assez conscientisés, et surtout franchement vivants donc a priori polluants.
Mais en définitive, le vrai combat d’Aymeric, c’est celui de l’antispécisme, c’est-à-dire le refus vigoureux, courageux et surtout très buzzable de l’introduction d’une différence de traitement entre les espèces, cette exploitation de l’animal par l’homme. Car Aymeric l’a bien compris : il faut à tout prix combattre le spécisme, cette idéologie qui soutient sottement qu’il existerait une hiérarchie entre les espèces vivantes et que l’espèce humaine se situerait au sommet de cette hiérarchie de manière «naturelle».
Ici, mes lecteurs attentifs et habituels hausseront un sourcil (on dira que le sourcilomètre atteint facilement 1.0). Et lorsqu’en guise de conclusion, notre brave Aymeric, le bourrichon tout remonté d’être en pleine campagne de placement produit pour son pensum, nous expliquera sans rire qu’un ver de terre, comme un cheval ou un toucan, doit tout de même en posséder quelques droits, là, sans doute possible, ces mêmes lecteurs hausseront le deuxième, bien haut (le sourcilomètre atteignant alors au moins 2.0).
L’action ayant eu lieu un peu vite, je vous propose de la repasser au ralenti.
D’une part, Caron le Penseur nous assène qu’il existerait donc une idéologie spéciste. C’est là qu’intervient le premier passage du sourcilomètre en zone positive, puisqu’en réalité, cette affirmation n’est guère étayée. De manière naturelle, tout prouve que l’homme n’est pas du tout en haut de la hiérarchie ; omnivore efficace et intelligent, disons qu’il se débrouille et que ses aptitudes intellectuelles et sociales lui ont permis d’éviter de disparaître quelque part dans la grande histoire du monde entre -2.000.000 BC et maintenant, mais il s’en est très certainement fallu de peu, à plusieurs reprises. Du reste, jetez le brave Aymeric en pleine jongle, et la Nature lui rappellera assez vite, comme le savent les zoologues et autre écologues (des scientifiques, des vrais, ceux-là), que l’Homme n’est pas du tout en haut de la hiérarchie animale, pour la simple raison qu’il n’existe pas de hiérarchie.
D’autre part, dévalant sa pente glissante comme un adolescent sur sa planche de skate pour tenter un 900 dont on sait qu’il va très mal se terminer, Caron le Jeune nous explique ensuite qu’un ver devrait posséder quelques droits et c’est donc là que le sourcilomètre pète facilement le 2.0. Il faut dire qu’il y a, pour tout être doué de raison (non, les vers de terre n’en font pas partie) quelques difficultés conceptuelles que le petit Aymeric semble vouloir balayer rapidement d’un geste auguste de semeur de trouble : oui, bien sûr, il va être compliqué de déterminer quel animal a quels droits, mais bah, tout ceci est accessoire, nos amis scientifiques sauront répondre à la question.
Dommage. Parce que finalement la question n’est pas une question scientifique, mais une question philosophique de droit. Si des droits sont donnés aux animaux, des devoirs, penchants logiques et philosophiquement face opposée d’une même pièce conceptuelle, doivent y être attachés. Quels devoirs pourra-t-on attacher à un animal, en plus d’être éventuellement goûtu ?
Et si, comme le réclame Aymeric en fermant ses petits poings et ses petits yeux d’enfant qu’on dira aimablement poète, le ver a le droit de ne pas souffrir, quelle sanction devra-t-on infliger à la taupe qui lui aura croqué la moitié du corps au petit-déjeuner ? Mmhm, vraiment, les réflexions de Caron semblent ficelées avec la même cordelette que celle des saucissons industriels de piètre fabrication.
Oui, vous l’aurez compris : un droit pour un animal est avant tout un devoir pour un humain, du reste seul animal à se construire un arsenal juridique. L’amusante geste d’Aymeric est, encore une fois, une nouvelle batterie de contraintes que l’Homme s’imposera … à lui-même, le reste du règne animal n’ayant absolument rien à carrer de ses lubies.
Et puis, notre gentil mâchouilleur de verdure, en faisant appel aux scientifiques en lieu et place de vrais penseurs du droit, commet une bien lourde erreur. Que penser, en effet, des travaux scientifiques qui montrent assez clairement que les plantes, celles-là même que broute affectueusement Caron, ressentent la peur et la souffrance lorsqu’elles se font manger ? Si notre essayiste venait à l’apprendre, gageons que sa salade lui donnerait un autre goût.
Cependant, bien qu’on puisse assez facilement taxer d’âneries les saillies de Caron, il serait trop rapide d’arrêter là : notre animal n’est pas dénué de finesse dans son appréciation de l’air du temps et le timing avec lequel il présente ses billevesées est bien choisi : on apprend en effet qu’à la suite des vidéos abominables réalisées dans certains abattoirs (tous publics – un hasard, sans doute), le gouvernement veut créer un délit de maltraitance à animaux .
Soyons bon joueur : si les gesticulations comiques d’Aymeric parviennent au moins à faire disparaître ces pratiques scandaleuses, ce sera toujours ça de pris. La lucidité impose cependant de rappeler que le résultat dépendra en grande partie de la bonne volonté publique et des moyens que l’État consentira à déployer en face de ses belles intentions ; or, force est de constater que, jusqu’à présent, cette bonne volonté et ces moyens ont régulièrement fait défaut pour la justice entre humains. Et avec lucidité, comment croire que les tribunaux, engorgés de criminels sans victimes, de victimes sans crimes, vont avoir le temps et les moyens pour traiter ces nouveaux droits et ce nouveau délit ?
Plus à propos encore, l’Homme ne mérite-t-il pas qu’on s’occupe d’abord de ses droits, d’autant plus qu’il les réclame sans ambiguïté, et qu’il est possible de lui faire respecter les devoirs qui s’y attachent ?
Dans ce cadre, les gaudrioles de Caron montrent surtout qu’à mesure qu’on ne s’occupe plus correctement des droits fondamentaux des humains, on détourne l’attention avec d’hypothétiques droits animaux. L’échec de notre Justice à gérer le bien-être animal montre surtout son immense faillite à gérer celle des humains.