Les Français ont un curieux rapport avec l’immobilier. Il est à la fois l’un de leur principal sujet de préoccupation et à la fois matière pour eux de pointer du doigt les professionnels de ce secteur, leur reprochant à la moindre occasion leurs pratiques et leurs honoraires. Les médias surfent sur ce phénomène, encourageant la dégradation de leur image auprès du public.
En 2014, nous apprenions ainsi dans un article du Figaro que « Seuls 39 % des copropriétaires sont satisfaits de leur syndic ». Dans un article du 19 mai 2015, le même média soulignait également le déficit d’image dont ces professionnels souffrent et c’est ce déficit qui pousse aux tentatives actuelles d’encadrer mieux la profession que ce soit par les professionnels eux-mêmes (par la création des syndicats comme la FNAIM) ou par le législateur (avec par exemple la loi Hoguet).
Depuis, les professionnels ont milité pour la création d’un ordre. Il aurait en effet permis de responsabiliser la profession en lui donnant l’occasion de s’organiser, se former et se discipliner. Cependant, cela lui a été refusé : le législateur a préféré profiter de la loi ALUR pour lancer et piloter directement le chantier de la réforme de l’activité des professionnels de l’immobilier.
Un nouveau Conseil national
C’est dans ce cadre qu’un Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières (CNTGI) a été instauré pour cornaquer cette réforme et qu’il a obtenu la participation des trois grands syndicats de l’immobilier (FNAIM, UNIS et SNPI) et d’associations de consommateurs. Parmi les propositions qu’il formule, celle relative à l’instauration d’un code de déontologie assorti d’une Commission de contrôle de la bonne exécution de ces dispositions est actuellement au cœur de toutes les polémiques.En effet, cette Commission de contrôle est destinée à instruire les litiges entre particuliers et agents immobiliers ou les gestionnaires. Composée de consommateurs, d’anciens professionnels de l’immobilier et de magistrats, elle est dotée d’un pouvoir de sanction assez étendu pour aller jusqu’à l’interdiction d’exercer.
Bref, la mise en place de cette nouvelle instance s’annonçait sous les meilleurs auspices… Le gouvernement s’était saisi de la question, une loi avait été promulguée avec diligence, on allait enfin pouvoir sanctionner et le problème était réglé …
Un problème bien analysé, une solution provenant de professionnels, et un État avide d’intervenir autoritairement ? Tous les ingrédients sont en place pour que cela se termine en fanfare. Dans sa hâte de sanctionner les vilains professionnels de l’immobilier, le législateur a tout simplement « oublié » de préciser les modalités de financement de son dispositif, dont le budget de fonctionnement se chiffre tout de même, à la louche, entre un demi et un million d’euros.
C’est ballot, non ?
Où prendre l’argent ?
On est en période de crise, les caisses sont vides mais ce n’est pas une raison de se laisser abattre. On continue donc de légiférer à tout va et on trouvera bien trouver un moyen de financer tout ça. D’ailleurs, ce qui pourrait être un problème n’en est jamais vraiment un lorsqu’on est au gouvernement. À tout problème, il trouve en effet une solution simple, directe et complètement fausse. Et pour tout besoin de financement, le gouvernement crée prestement un nouvel impôt, une nouvelle taxe ou une nouvelle ponction.Facile, ce n’est pas l’État qui paye.
Ainsi, dans le projet de loi « Égalité et citoyenneté », actuellement en débat à l’Assemblée Nationale, il envisage d’introduire, par ordonnance s’il vous plaît, une nouvelle taxe dont la base d’imposition sera les agents immobiliers et les administrateurs de biens.
Passons sur la manière de faire assez cavalière de ce gouvernement qui décide de dispositions, tout seul dans son coin, sans consulter personne et surtout pas les instances créées à sa propre initiative, ou sans même prendre avis auprès des professionnels, pourtant concernés au premier chef.
Passons aussi sur le déni de démocratie de ce gouvernement qui tente une nouvelle fois de retirer à l’Assemblée le pouvoir de décider de nouvelles taxations.
Passons.
Attardons-nous plutôt sur les belles idées du gouvernement pour trouver les financements qui manquent.
Petites taxes entre amis
Comme les professionnels sont mauvais, faisons-les payer et personne n’y trouvera rien à redire. Personne, sauf les professionnels eux-mêmes !La première proposition du gouvernement était de taxer les trois grandes organisations syndicales. Petit souci : tous les professionnels de l’immobilier ne sont pas syndiqués et la Commission de contrôle est chargée d’instruire tous les conflits entre particuliers et professionnels, que ces derniers soient syndiqués ou non. Les syndicats ont bien sûr refusé de payer pour toute la profession ce qui a obligé le gouvernement à revoir sa copie.
Revenu sur le sujet, sa seconde proposition n’est guère plus lumineuse.
Pour pouvoir exercer, le professionnel de l’immobilier doit obtenir une carte spécifique. Le gouvernement a donc proposé d’asseoir sa nouvelle taxe sur l’ensemble des porteurs de cette carte. Autrement dit, on demande implicitement aux professionnels qui seront jugés et éventuellement sanctionnés par cette instance créée ad hoc de la financer eux-mêmes. Voilà qui, en terme d’égalité d’accès à la loi, laisse plutôt perplexe.
Cela laisse d’autant plus un goût amer en bouche lorsqu’on se penche sur les détails de la composition de l’instance de contrôle : on y découvre notamment un État franchement majoritaire. En somme, on demande à des professionnels, seuls responsables et seuls condamnables possibles, de prendre en charge le fonctionnement d’une instance à caractère majoritairement public, chargée de les sanctionner, et sur le fonctionnement de laquelle ils n’auront réellement aucun pouvoir.
Un enthousiasme modéré des futurs sanctionnables
Indépendants ou syndiqués, les porteurs de carte sont évidemment particulièrement remontés et semblent avoir engagé un bras de fer avec le gouvernement. Pour le moment, ils jugent ces propositions inamissibles et rappellent que s’ils ont jusqu’à présent collaboré à la réforme, ils n’entendaient pas se faire ainsi marcher dessus. La FNAIM a par exemple déclaré que ces propositions présupposent un « raisonnement pervers et humiliant pour les professionnels ».La situation est donc quelque peu tendue et on se demande comment le gouvernement se sortira de ce nouveau guêpier (un de plus).
En effet, si ces professionnels sont discrets, ils ne sont en revanche pas dépourvus de moyens de défense, tenant les clefs d’un secteur primordial de l’économie. Le gouvernement, si prompt à les déconsidérer, a grand besoin de leur collaboration. C’est ainsi que la grève du zèle dans la transmission des données qu’ils avaient entamée au moment des discussions relatives à l’encadrement de leurs honoraires avait fortement retardé la mise en place des observatoires de loyers et donc empêché la mise en œuvre du plafonnement des loyers.
Notons au passage l’attitude particulièrement paradoxale du gouvernement qui prétend ici œuvrer officiellement pour diminuer le coût de l’immobilier dans le budget des ménages, et qui, en pratique, n’a pas de scrupule à grever leur budget de ces nouvelles charges de manière indirecte. En effet, tout nouvel impôt et toute nouvelle taxe que ces professionnels devront supporter seront automatiquement répercutés sur les clients (via les honoraires, typiquement) ; après tout, les taxes sur le lait n’ont jamais été payées par les vaches, mais bien par les buveurs.
Enfin, une attention particulière devra être portée sur l’assiette, les modalités de collecte et la redistribution de la taxe nouvellement créée ; on l’a vu, le budget de fonctionnement de la Commission de contrôle est évalué entre un demi et un million d’euros. La précision diabolique de ces deux chiffres (du simple au double) n’est pas anodine. Comme il y a plus de 36.000 agences immobilières en France, et au moins autant de cartes immobilières valides, on peut raisonnablement se douter que la taxe collectée sera bien supérieure aux besoins de fonctionnement de cette Commission.
Quelle sera alors l’affectation du surplus des fonds collectés ? Comment ne pas voir ici l’occasion d’une nouvelle gabegie ?