Malheureusement, un peu d’analyse oblige à tempérer violemment cette notion même d’État-stratège, voire à lui filer une solide claque, l’agacement montant. Et actuellement, on le constate sans problème avec l’immobilier.
Certes, c’est d’autant plus vrai que c’est Cécile Duflot, l’une des excuses paritaires du gouvernement, qui a échoué son flanc dodu sur le banc rocailleux du Logement, de l’Égalité des Territoires et du Veau Sous La Vache : la pauvrette n’avait jamais été outillée pour produire autre chose qu’une purée nauséabonde et la jeter avec plus ou moins d’adresse dans le ventilateur rapide des médias et de la politique française, avec le résultat (pitoyable) qu’on connaît (résultat qui, au passage, m’aura inspiré le mémorable schéma ci-dessous, représentation du parcours institutionnel des propositions de la ministre, et qui s’avère extraordinairement exact).

Mais quand bien même Duflot est exceptionnellement mauvaise, force est de constater que le n’importe quoi est, dans le domaine de l’immobilier, érigé en art depuis bien longtemps. La pauvre Cécile ne fait, finalement, que reprendre avec brio le flambeau déposé là lors d’un précédent vol plané catastrophique par d’autres minustres avant elle. Eh oui : cela fait des années qu’on massacre consciencieusement l’immobilier et la propriété privé dans ce pays, et qu’on le fait d’une façon extraordinairement brouillonne.
Il faut bien comprendre que, d’un côté, les propriétaires sont, par nature, des gens riches, qui spolient à l’évidence les locataires auxquels tout le monde sait qu’ils vouent un mépris évident. Dans l’imagerie traditionnelle, la France est peuplée de ces vendeurs de sommeil et autres richissimes propriétaires terriens qui, entre deux parties de chasses et d’entraînement aux pigeons d’argile, entassent les billets dans des coffres suisses et les locataires dans d’insalubres constructions précaires.
L’État aura donc pour mission d’éliminer un maximum de ces bourgeois ignobles, de gêner les autres et de bousiller toute velléité des pauvres de vouloir en devenir un plus tard.

Dilemme terrible : l’État stratège se retrouve donc dans le double-rôle de devoir cogner sur le propriétaire foncier parce qu’après tout, la république socialiste populaire française ne peut autoriser tel enrichissement bourgeois, et celui de devoir favoriser l’acquisition de logement suivant l’adage bien connu : « Quand l’immobilier va, tout va et finissons-en avec les bières tièdes ».
Dilemme qui ne sera donc pas tranché et qui n’est toujours pas résolu à l’heure où ces lignes sont écrites.
D’un côté, on lit que le gouvernement tente de supprimer certains abattements : ainsi, pour les plus-values de cession de terrains à bâtir, le gouvernement ne compte pas offrir de cadeaux fiscaux au-delà du 31 décembre 2013. Après cette date, les abattements existants pour durée de détention devraient être purement et simplement supprimés. La façon même dont ce changement fut « acté » est rocambolesque de confusion, comme le relate assez bien cet article de Contrepoints.
De l’autre, on soupçonne que l’État favoriserait les FCPI, et force est de constater que les différentes annonces hésitantes de Cécile ont eu, depuis le début de l’année, le mérite douteux de faire repartir (même si c’est artificiellement) le marché du neuf au deuxième trimestre (+8% des mises en chantier).
D’un côté, l’État favorise la location et l’accession à celle-ci en distribuant de la caution étudiante comme des bonbons à la Saint-Nicolas, avec les magnifiques effets de bord qu’on peut imaginer (à commencer par ceux qui s’inscriront à la fac exclusivement pour cet aspect).
De l’autre, on sent la mise en place d’une nouvelle embuscade, foncière cette fois (après la fiscale révélée dernièrement ici) : sous le prétexte gentil et mignon et moelleux et douillet et crédible d’aider le contribuable, Bercy lui proposera bientôt d’évaluer son bien immobilier grâce à une application ad hoc, « PATRIM Usagers » (ou PATRIE Usagée, allez savoir), en se basant sur les contrôles fiscaux effectués à côté de son bien et des transactions comparables enregistrées dans les petits fichiers de l’institution.
Miam, miam, tout ceci sent bon à la fois le big data, la protection des données personnelles à géométrie variable, une forte réutilisabilité dans des contrôles fiscaux prochains et une excellente idée pour traquer le pigeon encore plus près et encore plus fort. Du reste, la paranoïa qui m’anime semble partagée puisqu’on retrouve les mêmes préoccupations chez les agents immobiliers qui rouspètent déjàde la concurrence déloyale que ce logiciel fiscal fait peser sur leurs prestations. Gageons qu’ils n’auront pas autant gain de cause que les taxis contre les VTC, Bercy n’ayant réputation d’être mou du genou que lorsqu’il s’agit des intérêts des autres.
Et au-delà même de l’utilisation fiscale de cette application, on ne peut s’empêcher de se rappeler que la révision cadastrale approche à grands pas et ce nouvel outil pourrait s’avérer utile pour faire gober l’amère pilule qui s’annonce : c’est grâce à elle que sont calculés les impôts locaux et fonciers, dont on voit mal comment ils pourraient soudainement baisser, la dernière révision datant de … 1970. Pour les locaux professionnels, c’est déjà planifié ; les habitations individuelles ne devraient donc plus tarder.

Et comme absolument personne ne veut s’attaquer à la racine du mal, pourtant énorme et facilement identifiée, l’issue du tango morbide enlaçant l’État à l’immobilier est inéluctable.
Ce pays est foutu.