Ici, je pourrais bien sûr m’étaler sur les aventures rocambolesques de la Loi ALUR, malencontreuse production législative d’une Cécile Duflot au top de sa méforme et qui fut l’occasion d’illustrer de façon légendaire le parcours institutionnel moyen dans notre beau pays. On sait maintenant tous, après quelques mois de pratique, les effets tout simplement catastrophiques que l’entrée en vigueur même progressive de cette loi aura provoqué sur l’immobilier français (et l’environnement forestier, la charge de papiers administratifs divers liés à la cession immobilière ayant explosé).Cependant, c’est d’un autre (nouveau) rebondissement dans ce domaine que je voudrais évoquer le temps d’un billet. Pour cela, je vous invite à revenir un peu dans le temps, dans ces années bénies où la France allait si bien et où la majorité d’alors, intelligente et pragmatique, faisait passer des lois bien conçues et drôlement pratiques, et plus précisément en 2002, cette année qui vit un président pourtant parfaitement incompétent se faire réélire avec un score de république bananière grâce à l’élimination du candidat socialiste bien trop falot par le patron du Front National d’alors. Et au début de cette année pendant laquelle la France découvrait l’euro, le gouvernement, toujours aussi finaud, faisait joyeusement passer le décret d’application de la Loi SRU dont les effets, plus de 10 ans après, se font encore douloureusement sentir.
Cette loi, rappelez-vous, pose la notion d’habitat décent. On le sait : l’État sait mieux que vous ce qui est décent ou non, et il peut donc, à loisir, le définir et l’imposer à tous. Et le décret d’application de la Loi SRU du 30 janvier 2002 fut justement l’occasion de bien préciser tout cela en imposant notamment que la surface de ce logement ne soit pas inférieure à 9m², et que son volume ne puisse être en dessous de 20m³.
Immédiatement, les chambres de bonne, typiques des grandes villes françaises à commencer par Paris, deviennent insalubres de jure, parce que, parce que, parce que bon et puis c’est tout. Ceci n’est évidemment pas sans conséquence : outre l’immédiate indisponibilité de toutes ces chambres de bonne ce qui accroît un tantinet les petites tensions sur le marché de l’immobilier locatif, notamment à Paris, la perte subite de revenus liés à ces chambres de bonne n’incitent pas des masses les propriétaires, capitalistes veules à l’ultralibéralisme chevillé au corps, à les entretenir. Rapidement, ces ex-logements se dégradent.
Le problème de la lutte contre les méchants propriétaires qui louent des logements trop petits, finement géré par l’État, se transforme en une nouvelle lutte contre les méchants propriétaires qui ne louent pas, donc ne rentrent pas dans leur frais, donc n’entretiennent pas. Rassurez-vous, l’État a des solutions pleins les bottes.
À Paris, la force publique, très maligne, crée donc la SIEMP (Société immobilière d’économie mixte de la Ville de Paris) qui se verra chargée de l’éradication de l’habitat indigne, vilain et cracra. La convention publique d’aménagement, conclue en 2002 avec cette SIEMP, s’achevant fin 2010, une société publique locale d’aménagement, la Société de Requalification des Quartiers Anciens (Soreqa), est créée dans la foulée en mai 2010. L’immobilier parisien continue donc de nager dans le bonheur car, comme l’explique alors Céline Brodovitch, sa nouvelle directrice, « L’enjeu est d’assurer la relève et de poursuivre le travail de résorption de l’insalubrité accompli depuis huit ans par la Ville de Paris ». Et en avant, ♪♬ fiers administrateurs de la Soreqa, ♩ en avant tagada sur vos petits poneys tagada ♪♬ de la résorption de l’insalubrité tsoin-tsoin ♩♩ !
Cette Soreqa, dont la notoriété et le succès immense ne sont plus à discuter, se charge donc depuis 2011
En parallèle et de façon totalement fortuite (parce qu’en Socialie, le hasard fait tout simplement assez bien les choses), l’article 87 de la loi Macron récemment votée modifie quelque peu le droit de préemption. C’est fort pratique puisque, comme je l’avais montré dans un précédent article, cette modification permet de donner de nouvelles facilités d’action de la force publique en matière de préemption en donnant notamment la possibilité à cette dernière de déléguer ses actions sur le terrain à des sociétés d’économie mixte qui ont alors de bonnes latitudes pour agir prestement.
Youpi. Bien sûr, pendant ce temps et du côté des petits logements parisiens, tout se déroule comme prévu. Les chambres de bonne redeviennent salubres et…
Ah tiens non, ça ne marche toujours pas, il y a toujours autant de chambres de bonne inoccupées. Mais qu’à cela ne tienne : moyennant une belle impulsion politique, la ville de Paris va pouvoir lancer une nouvelle stratégie qui permettra de les remettre rapidement sur le marché, ce qui se traduit par un joli petit site web. Pour être précis (parce que les termes sont importants), les chambres de bonne inoccupées sont « un vivier de logements dont la Ville va s’emparer ». Pour situer, rappelons que les synonymes de « s’emparer » sont entre autres : approprier, attraper, capter, confisquer, dérober, faucher, intercepter, prélever, saisir ou soustraire. Réjouissant, non ?
Et comme « une étude de l’Atelier Parisien d’Urbanisme (l’APUR) l’indique dans une étude » (sic), ce sont plus d’un million de mètres carrés qui dorment dans ce vivier de logements exigus mais inexploités, et, en plus, plus de la moitié « dans des arrondissements déficitaires en logement social », donc méchants. Ces chiffres sont bien sûr tout à fait crédibles.
Tous ces logements, toute cette place, toutes ces opportunités de s’immiscer dans la propriété privée des autres, d’imposer du logement social aux communes et aux propriétaires déviants, ce serait vraiment dommage de passer à côté. Il faut agir, et ça tombe bien : la loi le permet aux autorités publiques. Et comme en Socialie, le hasard fait franchement assez bien les choses, on va confier à la Soreqa la réalisation d’une étude d’ingénierie sur le sujet.
Je résume.
Grâce à la loi, des logements qui remplissaient une fonction, modeste mais bien précise, sont déclarés impropres à la location. Ces logements, devenus indisponibles, provoquent des tensions sur le marché de l’immobilier, et deviennent plus ou moins insalubres. Grâce à la loi, la préemption par la force publique est privatisée. Grâce à la loi, une société d’économie mixte va pouvoir s’occuper de recenser ces biens, probablement de les préempter (le moment venu) et de les louer pour combler le vide de leur disparition.
C’est beau.