Et côté scène, vous pouvez parier que le spectacle va donner. La situation, que voulez-vous, est grave, connue de tous et ne laisse guère la place à la rigolade : il n’y a plus un kopeck dans les caisses de l’État, ni dans les caisses de retraite à proprement parler ; augmenter les cotisations va faire sévèrement grogner des Français déjà lourdement mis à l’épreuve par la succession de « pauses » fiscales, de ponctions taxatoires heureusement « réservées aux riches », de diminutions d’impôts vers le haut, de croissance vers le bas et autre augmentation négative du pouvoir d’achat ; diminuer les pensions pourrait bien en faire sortir un paquet hors de leurs gonds, déjà bien dévissés ; éloigner l’âge de départ à la retraite provoque systématiquement des remous dans une population dont le but ultime, si l’on en croit les syndicats, est d’accéder le plus rapidement possible aux vacances perpétuelles. Et à tout ça, il faut ajouter une douloureuse réalité : 57% des Français ne croient plus à leur système de répartition. Bref : les débats parlementaires promettent des cris, des grincements de dents et de grands effets de manches.
Côté coulisses, en revanche, ce sera assez calme, comme à chaque fois. Et comme à chaque fois, la presse relaiera le côté scène, détaillera les petites et grandes différences entre les nombreux régimes que le pays au 300 fromages nourrit en son sein, fera des analyses plus ou moins pataudes de ce qui a été décidé et passera bien vite au sujet suivant. Et si un bijoutier se fait dessouder au passage, vous pouvez tout de suite être certains que toutes ces négociations et cette réforme passeront à la trappe.
C’est, on peut le dire, assez dommage. Cela l’est d’autant plus que, depuis que ces réformes et ces débats se succèdent à l’assemblée pour faire croire que nos députés et nos sénateurs se battent pour sauver l’usine à gaz, personne ne semble avoir évoqué un élément assez énorme et parfaitement scandaleux d’asymétrie, qui, s’il était connu de tous, révolterait cette partie des Français qui paye pour tous les autres.

Or, pendant que l’attention était habilement focalisée sur les mesures prises faisant tendre les taux de cotisation des fonctionnaires de 7,85% vers les 10,55% des salariés du privé, on masquait au grand public une injustice beaucoup plus importante : l’écart entre les taux de cotisation des employeurs.
Et pour illustrer, parlons chiffres : pour le privé, le taux de cotisation employeur est actuellement de 15,70% (10% pour le régime de base de sécurité sociale plus 5,70% pour la tranche A ARRCO) auquel vient éventuellement s’ajouter une tranche B (de 13,30% pour les non-cadres et de 13.90% pour les cadres, éventuellement complétée par une tranche C de 20,30%).
En revanche, pour le public, le feu d’artifice commence maintenant. En effet, le taux de la contribution employeur à la charge de l’État prévue au 1° de l’article L.61 du code des pensions civiles et militaires de retraite pour les fonctionnaires de l’État, les magistrats et les militaires est fixé à 62,14% pour les personnels civils et à 108,63% pour les militaires (décret n° 2010-53 du 14 janvier 2010). Oui, vous avez bien lu : un peu plus de 62% et 108%. L’État sait être généreux avec ceux dont il dépend.
Mieux encore : ces taux ne font que progresser comme en témoignent les décrets concernant les années suivantes (décret n°2011-2037 du 29 décembre 2011 et décret n° 2012-1507 du 27 décembre 2012) : pour les personnels civils, on passe à 68,59% en 2012 puis 74,28% en 2013, ces taux étant de 121,55% en 2012 puis 126,07% en 2013 pour les personnels militaires. On aura d’ailleurs une pensée émue (mais pas trop) pour les fonctionnaires territoriaux et hospitaliers affiliés à la CNRACL dont le taux employeur est fixé à 27,3% depuis 2005. Mais bon : à plus de 27%, on est encore assez largement au-dessus du taux employeur pour les salariés du privé. Et rassurez-vous : il en va de même avec les régimes spéciaux, qui dépassent les 50% en 2012 (SNCF 63%, RATP 57%,…).
Pour ceux qui ne comprennent pas bien les implications de ces petits chiffres qui se bousculent ainsi en paragraphes un peu serrés, cela veut dire que lorsqu’un employeur privé lambda débourse un peu plus de 15% pour son salarié pour abonder à sa caisse de retraite, l’État se fend d’un montant proportionnellement entre 3 et 8 fois supérieur. Et le plus beau, c’est que l’État ne peut, par construction, trouver les ressources pour ce genre d’abondement qu’en la puisant dans les poches des producteurs de richesses du secteur marchand, ou, via l’emprunt, dans celles des générations futures qui en rigolent déjà d’avance, les petits futés.

Tous ces chiffres, qui m’ont fort gentiment été fournis par une aimable lectrice que je remercie au passage, sont retrouvables dans un rapport de l’Assemblée Nationale, très commodément non médiatisé, et qui paraît chaque année pour faire le point sur les pensions. On pourra le consulter ici.
Et le pompon, bien sûr, que les plus sagaces d’entre vous auront noté, c’est que ces taux … augmentent !

Entendez-vous la ferme dénonciation de la droite parlementaire à ce sujet ? Que nenni. Entendez-vous ceux qui se gargarisent d’égalité parler de ces taux, envisager de les réaligner ? Des nèfles, oui. Entendez-vous les syndicalistes se battre pour un retour à l’équité ? Tu parles, Charles ! Bon, ok, soit, les parlementaires, les experts et les syndicalistes qui doivent discuter des réformes sont très majoritairement issus de la fonction publique. Mais n’y voyez là aucun hasard : personne n’en parle, moyennant quoi le cotisant du privé, cochon de payeur, reste dans l’ignorance, et son régime de retraite, rikiki, lui impose de payer toujours d’avantage pour que le cotisant du public puisse conserver ces avantages méconnus. Si ça se savait, j’en connais qui risqueraient de trouver ça anormal et refuser de payer.
Avouez que ce serait dommage, non ?