Aux États-Unis, la situation est en tout cas franchement périlleuse, voire carrément « bullesque » : les prêts étudiants étant depuis quelques années garantis par l’État fédéral, le prix d’une inscription à l’Université n’a pas arrêté de grimper, l’endettement des étudiants d’exploser et avec lui, le taux de défauts de ces emprunts :
Pourtant, des solutions innovantes se dégagent progressivement, mettant en relation directe des étudiants, soucieux de trouver une source de financement adaptée à leurs possibilités, et de l’autre, des investisseurs qui recherchent un retour sur investissement ou une rémunération régulière de leur capital.
C’est ainsi qu’il y a deux ans, Upstart voyait le jour : l’idée de base consiste, comme le décrit assez bien l’article de The Economist alors consacré à l’idée, à faire valoriser son parcours d’étude et à « titriser son diplôme » ; l’étudiant s’engage à reverser un pourcentage de son revenu négocié à l’avance aux investisseurs qui auront financé ses études. Des garde-fous sont en place : s’il ne gagne pas assez, il ne verse rien, et lorsqu’il gagne beaucoup plus, le montant reversé est plafonné.
Même si elle n’est certainement pas parfaite, la solution est élégante. Mais son côté financier ne peut évidemment pas laisser de marbre l’intelligentsia française qui, à l’occasion, s’en est émue dans l’une ou l’autre colonne journalistique. C’est ainsi qu’on découvrait une analyse du phénomène dans Le Monde Diplomatique (oui, oui, ils existent toujours, grâce à vous et votre argent, ne vous inquiétez pas).
Bien évidemment, le Monde Diplodocus, toujours aussi embourbé dans sa doxa marxiste, persiste pendant tout son pénible article à confondre l’individu et la production de richesse qu’il est capable d’assurer : pour l’hebdomadaire gauchiste, il s’agit d’une titrisation d’un footballeur ou d’un scientifique, et non de la titrisation de ses revenus futurs ou de sa production estimée de richesse à l’avenir. Autrement dit, c’est t-absolument t-horrible et, très probablement, un nouveau début de la fin pour le capitalisme sauvage, tout ceci ne pouvant aboutir qu’à une nouvelle abomination à base d’exploitation de l’homme par l’homme et tutti frutti.
D’ailleurs, la conclusion ne laisse guère d’illusion sur l’opinion de la journaliste attitré sur une telle solution :
« pour assurer sa viabilité économique, l’université de l’Oregon aura tendance à réduire le plus possible les filières dites « non professionnalisantes » et à sélectionner les candidats selon leur potentiel non pas intellectuel, mais économique »… Parce qu’apparemment, il semble indispensable de conserver, coûte que coûte, les filières dites « non professionnalisantes », et que le système actuel, pourtant très médiocre de l’aveu de tous, ne sélectionnerait pas les candidats selon leur potentiel économique. Bah. La journaliste ne comprend manifestement pas ce qu’économique veut dire, puisqu’un sportif ou un artiste peuvent très bien trouver des mécènes ou des actionnaires sur leurs performances futures ; du reste, c’est ce qu’ils font tous, de facto, au travers des banques et même des bourses d’État puisqu’il leur faut, à chaque fois, monter des dossiers prouvant qu’ils valent bien les sommes qu’on (les banques, l’État) compte investir sur eux.
En revanche, la notion de « filières non professionnalisantes » permet de voir ce qui déclenche les petites larmes de l’auteur : snif, snif, un tel système défavorisera les filières pour lesquelles personne n’est prêt à payer, ce qui est t-abominable. Fini, les diplômes en carton sur des spécialisations à base d’air chaud et autres bricolages fumeux pour occuper des adulescents jusqu’à leur trentaine ! Vu comme ça, l’horreur prend toute sa dimension… Encore qu’à bien y réfléchir, rien n’interdit non plus d’imaginer des ONG spécialisées dans l’une ou l’autre cause obscure ou perdue demandant précisément des fonds pour financer les études de ces individus-là. Titriser les études de genres, celles sur les pingouins qui meurent noyés par la fonte des glaces et autres fadaises consternantes, voilà qui aurait du panache, non ?
Mais plus profondément, la journaliste ne semble pas supporter l’idée que, justement, tout ceci permette à l’étudiant de se financer en se passant complètement de l’État. Pire : à partir du moment où sont étendues ces pratiques, la notion même d’Université ou d’École « gratuite » (en réalité, payées par tout le monde et surtout par les autres) disparaît : non seulement, on peut attribuer un coût au savoir dispensé, mais – argh, c’est t-affreux – on peut attribuer un prix à ceux qui en bénéficient.
Cela a quelques conséquences bien visibles, dont on se doute qu’elles ont été identifiées par la journaliste du Monde Diplodocus, même si c’est bien caché derrière ses billevesées narratives, et que ça l’a visiblement tout fait frémir au-dedans d’elle-même rien que d’y penser.
Ainsi, avec un tel mécanisme, le message du prix devient clair, limpide même : certaines filières attireront bien plus facilement les capitaux à elles, et, par voie de conséquence, inciteront de façon assez spectaculaire les individus vers les demandes du marché (i.e. des gens prêts à payer pour). Immédiatement, les filières qui n’ont aucun débouché, ou dont la concrétisation sous forme d’un travail rémunéré représente une probabilité extrêmement faible, verront fondre leurs capitaux disponibles.
Dans ce schéma, il est probable qu’on arrêtera de voir des armées d’étudiants en lettres et en sciences humaines dont les perspectives d’emploi une fois formés sont pour le moment faibles ou nulles, et dont le gros se déverse actuellement
Autre conséquence évidente : avec un tel procédé, les études pour les études, la course au diplôme et la diplômosclérose qui touchent la France sont directement attaqués à la base. Est-ce réellement un mal ? Manquer de financement pour l’ENA qui a produit un nombre assez consternant de branlemusards coûteux, est-ce bien catastrophique ?
Enfin, on ne peut que souligner la position pour le moins étrange de l’article qui semble comprendre tous les avantages de cette méthode, et admet sans problème qu’ainsi, on peut visiblement éviter le surendettement étudiant, mais n’en conçoit pas moins une aversion pour cette horrible marchandisation des études. Gasp ! On met un prix sur des individus, c’est trop t-atroce !
Pourtant, le système actuel a amplement démontré tout son côté inhumain : si, en France, le problème du surendettement étudiant n’a pas atteint les proportions américaines, il n’en reste pas moins prégnant. En témoignent les campagnes d’information/propagande régulières mettant en exergue ces étudiants accumulant les petits jobs au détriment de leurs études pour parvenir à les payer ou à se loger. Et je n’aborderai pas les dérives prostitutionnelles évidentes qu’on nous jette à la figure dès que l’occasion se présente.
Autrement dit, tout indique qu’en se passant de l’État et en « titrisant les études », on résout à la fois le problème de financement de celles-ci et de l’Université en général, qu’on évite aussi l’écueil du surendettement voire de la prostitution estudiantine, qu’on resynchronise les formations universitaires avec les demandes du marché…
Mais non, décidément non, ce n’est pas suffisant puisque, voyez-vous, il y aura toujours un étudiant dans une filière « non professionnalisante » qui ne trouvera personne pour payer son bidule pan-cosmique en syntonisation avec Gaïa.