En effet, en 2010, alors que la France baignait encore dans les paradigmes droitiers d’une Sarkozie aussi effervescente qu’impotente, une brochette de chercheurs, d’universitaires et de citoyens, économistes ou non, décidait de produire un pamphlet critique de la politique du moment, abondamment repris dans une presse toute entière acquise à leur cause, intitulé en toute modestie « Manifeste des économistes atterrés », qui détaillait les errements de l’équipe en place et en profitait pour proposer quelques mesures dont l’efficacité, évidente et décisive, ne manquerait pas de faire pencher favorablement l’économie du pays (et accessoirement, les votes à venir vers le candidat qui aurait l’idée lumineuse de les inclure dans son programme présidentiel).

Et dans les principales propositions, difficile de ne pas retenir les plus croustillantes. Je passe rapidement sur l’idée générale de modernisation de la statistique ; sa proximité avec des bricolages numériques éhontés afin de camoufler la situation économique du pays, comme on en retrouve le procédé dans les pays les plus proches de l’effondrement à l’instar du Venezuela ou de l’Argentine par exemple, n’est en rien fortuite : l’introduction forcenée de statistiques sociologiques pour quantifier le bonheur du peuple avec des indicateurs ad hoc fleure décidément bon le constructivisme le plus débridé, d’autant que des mesures de ce bonheur existent déjà, au travers de celles des libertés économiques, du pouvoir d’achat, ou de la mobilité sociale, qu’elles sont largement répandues, et d’autant plus décriées qu’elles ne vont jamais dans le sens des étatistes (comme c’est dommage !).
De la même façon, nos « économistes » proposent avec tact et doigté de modifier les buts officiels de la Banque centrale européenne, afin de substituer la lutte contre le chômage à celle contre l’inflation. Difficile de faire la part de sottise entre imaginer qu’une politique strictement monétaire pouvait avoir un effet durable positif sur l’emploi, et croire que mettre en veilleuse la lutte contre l’inflation pouvait mener à autre chose qu’une inflation record. On s’étonne encore, avec les douzaines d’expériences monétaires farfelues et couronnées d’échec douloureux qui ont déjà eu lieu au travers des banques centrales de douzaines de pays différents, que ces « économistes » persistent à proposer une énième version de planche à billets et de maquillages financiers pour créer de l’emploi. C’est parfaitement grotesque. Là encore, le Zimbabwe, l’Allemagne, la Hongrie ou d’autres pays souverains ont largement démontré que tripoter la monnaie aboutissait toujours à la catastrophe. En fait d’être atterrés, nos « économistes » sont plus certainement obstinés, voire butés.


Mais rassurez-vous, une chose au moins est sûre : question financement, tout est bordé. Là encore, nos « économistes » ont fait un travail remarquable en proposant — devinez quoi ! — … des hausses d’impôts, parce que c’est joyeux et festif (ils proposent même le slogan « Cotisons dans la bonne humeur »), une resucée de la taxe Tobin, exercice invraisemblable mais maintenant obligatoire dans ce genre de production à succès, et un tabassage des entreprises qui ont largement prouvé leur nocivité dans le paysage économique français en produisant toujours plus de chômeurs, à l’instar de la pluie qui produit de la sécheresse partout où elle ne tombe pas. Tout ceci se passera avec bien sûr l’indispensable zeste de traque contre la fraude fiscale et les paradis du même tonneau, parce que c’est facile, c’est pas cher, et que ça peut rapporter gros.
…
On pourrait croire futile l’exercice de décorticage de ces affolantes niaiseries. Il n’en est rien au vu de l’engouement irréfléchi des masses pour les propositions balancées sans complexe. Le premier manifeste, aussi atterrant que cette dernière production, avait réussi à se vendre à plus de 100.000 exemplaires. Ce succès n’est pas sans rappeler celui, mondial, des travaux de Piketty, où à des statistiques parfois hardiment extrapolées s’ajoutent des propositions très manifestement socialistes, ou, au moins, keynésiennes en diable.

C’est évidemment complètement con : non seulement, le socialisme n’a jamais marché, nulle part, ni en rêve ni même sur un malentendu, mais le keynésianisme et ses pendants d’interventionnisme étatique non plus. Jamais aucun pays n’a sauvé sa situation en dévaluant sa monnaie, en multipliant ses déficits, en accroissant ses dépenses publiques, en augmentant ses impôts tant et plus. Jamais aucun pays n’a sauvé son avenir en ensevelissant ses enfants dans les dettes.
Mais voilà, il faut reconnaître un avantage capital aux thèses de ces gens : elles offrent un rêve facile et la sympathique conservation des principes qui ont offert un confort inégalable aux générations au pouvoir actuellement.
Et ça, ça vaut largement le sacrifice des générations futures, non ?