Et si vous ne savez pas ce que c’est, bien que le nom, pour une fois, soit particulièrement évocateur, rappelons qu’il s’agit tout simplement pour l’État de procéder sur vous comme il le ferait sur une population de rats : il va tenter de modifier vos comportements en vous infligeant de la douleur lorsque vous n’agissez pas comme il le veut. Bien évidemment, comme il ne peut pas vous tazer les fesses dès que vous commettez un acte qu’il juge moralement ou hygiéniquement répréhensible (mais autorisé par la loi), il a trouvé un autre système à peine plus subtil en cognant plus ou moins sauvagement dans votre portefeuille. Bonus supplémentaire : cela permet de faire croire que vous vous achetez une bonne conscience. Vous avez fauté, certes, mais vous avez payé pour. Et comme l’argent sert à la solidarité démocratique de la République Populaire, tout le monde est content.
Bien évidemment, savoir qui détermine ce qui est moralement ou sanitairement acceptable est laissé à l’appréciation des députés et des sénateurs tant ils ont montré leur lucidité dans le passé. Et tant pis si le bonus n’en est pas un, puisque les taxes supplémentaires récoltées affaibliront la consommation, la production, et ne pourront même pas compenser les dettes accumulées depuis des générations par les décisions des mêmes députés et sénateurs tous bien imbibés de cette lucidité qui semble tant faire défaut au peuple qu’ils s’acharnent à taxer (ou à tazer, au choix).
Dans cette clique de policiers de la morale au Taser taxatoire fou, certains sénateurs sont décidément de fiers pistoleros et n’hésitent pas à dégainer dès qu’ils le peuvent. À ce titre, le comportement d’un certain Yves Daudigny, évidemment socialiste, laisse songeur : c’est déjà lui qui avait absolument tout tenté pour introduire la Fat Tax en France (quand bien même son application dans d’autres pays fut un échec cuisant), puis une taxe (supplémentaire) sur le vin et les produits alcooliques, heureusement abandonnée devant la grogne assez vive des viticulteurs. Et c’est aussi lui qui est à l’origine de la taxe spécifique sur l’huile de palme (dite « taxe Nutella ») afin de bien montrer au reste du monde qu’il n’entendait pas se laisser conter des salades par la réalité économique ou la réalité médicale, pourtant contraires à ses petits délires hygiénistes.
Lobbying discret mais persuasif ? Intérêts financiers étranges mais bien compris ? Drame personnel allant du pantalon taché par une cuillerée de Nutella fort mal tombée jusqu’à la perte d’un proche à cause d’une trop grande ingestion d’huile de palme ? On ne saura pas ce qui motive vraiment Yves Daudigny, mais il revient donc, encore une fois, à la charge. Ce n’est pas un homme à se laisser faire, et devant ses précédents échecs, il n’a pas renoncé : sous sa houlette, il a donc fait sortir du Sénat un nouveau rapport sur les taxes comportementales évoqué dans Contrepoints ce 23 mars.
Quel est le but de ce rapport ? Évaluer la pertinence des taxes comportementales, justement. Quelque part, il était temps : il existe déjà pas mal de ces taxes, qui sont imposées sur les cigarettes, l’alcool et, de façon générale, tout ce qui déplaît de près ou de loin aux sénateurs, qui plaît aux Français, et qui peut donc potentiellement rapporter gros au budget d’un État surendetté et particulièrement incontinent de ses finances.
Et quelles en sont les conclusions ? De façon pas du tout étonnante, il apparaît essentiel à nos législateurs de continuer à distribuer de la taxe. La réalité n’a pas prise : quand bien même la Fat Tax fut un échec partout où elle fut mise en application, quand bien même l’élasticité des prix et les comportements des consommateurs ne permettent pas de contrôler leurs achats de façon suffisamment fine pour obtenir l’effet désiré à coup sûr, et quand bien même on obtient assez régulièrement l’effet contraire, la conclusion reste la même : taxer, c’est une bonne idée.
Dans le rapport d’information, on trouve ainsi des passages entiers décrivant les échecs et les dangers de ces taxes constructivistes : la taxation de l’alcool semble peu efficace pour lutter contre l’alcoolisme, celle contre les matières grasses porte préjudice à la consommation de nutriments essentiels à la santé, engendre des coûts en bien-être beaucoup plus élevés chez les ménages modestes que chez les ménages aisés, et n’induit que de faibles effets sur le poids des individus à court terme.
Mieux : le rapport évoque clairement les comportements alternatifs des consommateurs et des producteurs pour contourner les taxations (le fait pour les premiers d’aller acheter les marchandises hors frontières, et pour les seconds de modifier les recettes de fabrication, par exemple), et démontre à l’envi qu’un bricolage taxatoire supplémentaire ne saura jamais résoudre ces problèmes-là. Damned, le consommateur n’est pas aussi démuni que prévu, et le producteur n’est pas complètement stupide. Zut alors.
Mais comme je le disais, il en faut plus pour calmer les ardeurs de ces gens et le brave Yves ne se laissera pas faire ! Malgré les problèmes évidents, récurrents et insolubles, la mission qu’il dirige a tout de même trouvé que, je cite,
« les pouvoirs publics peuvent légitimement recourir à l’utilisation de l’outil fiscal à des fins sanitaires au regard des coûts humains et financiers associés au tabac, à l’alcool et à l’obésité. »Oui, ça ne marche pas top, les individus contournent les effets directs de la taxe, les problèmes censés être corrigés par celle-là ne sont pas corrigés, et finalement, cela nuit à tout le monde, MAIS ce n’est pas grave, les pouvoirs publics peuvent recourir à son utilisation parce que, parce que, parce que bon…
Enfin, parce que bon, vous comprenez, le Trou De La Sécu, c’est de la faute du peuple, aussi, et il faut bien trouver une méthode pour à la fois le punir et combler les dettes, non ? Oui, je sais, dit comme ça, cela peut choquer. En revanche, il suffira de l’expliquer ainsi pour que cela passe mieux :
« Les arguments tendant à conduire les pouvoirs publics à recourir à l’outil fiscal pour modifier les comportements des individus ne manquent pas : l’importance des conséquences sanitaires et financières entrainées par certaines habitudes de consommation milite en effet contre un « laisser faire» que la théorie économique peine elle-même à justifier devant l’importance des imperfections du marché. »Ben voyons, rappelons lourdement les imperfections du marché qui, taxé de tous les côtés, est composé de ces consommateurs et de ces producteurs qui doivent tous les jours faire un peu tout et n’importe quoi pour parvenir à vivre eux-mêmes ET, en même temps, à faire vivre l’État, composé notamment par ces sénateurs et ces députés, qui, eux, n’ont qu’assez rarement à payer pour leurs comportements, y compris alimentaires. C’est vraiment magique, et le fait que, depuis que l’État s’est entiché de gouverner nos comportements (alimentaires notamment), il n’y a jamais eu autant d’obèses sur Terre indique à l’évidence qu’il a magnifiquement réussi sa mission.
Taxation comportementale il y aura donc, vous n’y couperez pas. Et pour faire passer la pilule, on apprend qu’on va remplacer le terme de « fiscalité comportementale » qui frotte un peu douloureusement sur les bords de parois épithéliales du contribuable par le terme « contribution de santé publique », qui, lui, glisse tout seul dans la citoyenneté et le vivrensemble. Souriez, vous êtes taxés.
Je ne peux m’empêcher de conclure en retenant de l’épais rapport d’information une phrase qui m’apparaît illustrer tout à fait ce que ces gens pensent réellement du bon peuple qui les nourrit. Cité dans le rapport p. 37, on trouve ceci :
« les taxes et subventions sont alors des mécanismes d’autocontrôle que les consommateurs, s’ils sont conscients de leur manque de rationalité, peuvent souhaiter voir externaliser dans les mains d’un tiers, en l’occurrence l’État. De surcroît, il est difficile d’accorder aux enfants un degré de rationalité similaire à celui que l’on prêterait aux adultes. »
Eh oui : les gens, trop peureux d’avoir une responsabilité dans les mains, s’empresseront bien sûr de la refiler à l’État. La comparaison contigüe avec les enfants est tout à fait éclairante et pas du tout fortuite : ces sénateurs sont nos parents, nous sommes leurs enfants à l’intelligence un peu amoindrie qui avons ce besoin mal défini de nous faire mener, gentiment, chaleureusement, vers les comportements idoines
Dans ce schéma, je reste cependant surpris de constater qu’au contraire d’une relation familiale saine, l’argent de poche va des « enfants » vers les « parents », et non le contraire. Il est peut-être temps que cela cesse, ne trouvez-vous pas ?