Charles SANNAT
L’expression « guerre des monnaies » est souvent utilisée dès que l’on assiste à des fluctuations dans les taux de changes.
Mais, on ne donne jamais de définition précise de ce que pourrait être une « guerre des monnaies ». Les définitions possibles, par ailleurs, ne cadrent pas avec ce que l’on constate, même si les mouvements des taux de changes n’obéissent pas à une logique unique. Si la « guerre des monnaies » n’est pas une impossibilité, et qu’il y a eu des cas où l’on cherché à déstabiliser un pays par sa monnaie, le risque d’entrer dans un conflit généralisé sur les monnaies apparaît beaucoup plus réduit que ce que l’on pense en général.
Qu’appelle-t-on « guerre des monnaies »?
L’expression revient souvent sous la plume de commentateurs dès que l’on est confronté à des fluctuations importantes des taux de change. Implicitement, l’idée est qu’un (ou des) gouvernement aurait la possibilité de faire baisser le taux de change de sa monnaie afin de dégager un fort avantage compétitif pour son pays au détriment des autres. On est donc ici dans une logique de prise d’avantages « hors marché » mais par l’intermédiaire du marché. La guerre des monnaies, dans cette définition, ne serait qu’une variante des politiques mercantilistes du XVIIème et du XVIIIème siècle.
Une autre définition possible de la « guerre des monnaies » concerne la possibilité pour un pays de tenter de déstabiliser un autre pays en provoquant une baisse (ou une hausse) importante de sa devise. Dans cette définition il faut que la dépréciation (ou l’appréciation) de la devise soit très rapide et très brutale afin de provoquer des troubles tant politiques qu’économiques et sociaux dans le pays visé. A cette définition on peut rattacher les mouvements de grande spéculation lancés par des opérateurs privés (et G. Soros fut ici un bon exemple au début des années 1990) visant à faire baisser une devise afin d’en tirer profit. Ils sont ce que la piraterie était à la guerre.
Dans tous les cas, la « guerre des monnaies » implique qu’un gouvernement ait les moyens d’agir soit sur le taux de change de sa devise soit sur celle d’un autre pays. A court terme, cela semble plus facile, surtout si un système bancaire développé existe dans le pays souhaitant mener une opération de type « guerre des monnaies ».
Sommes nous confrontés à une « guerre des monnaies »?
L’hypothèse d’une « guerre des monnaies » repose donc sur l’idée que les gouvernements auraient les moyens de contrôler le taux de change et que les mouvements de ce dernier ne pourraient pas être expliqués par des mécanismes économiques. En fait, pour que la première condition soit remplie, la spéculation, devraient être contrôlée. Il y a très peu de pays qui sont dans ce cas. Seule, parmi les monnaies qui comptent, la Chine maintient une forme résiduelle de contrôle des capitaux. Pour ce qui est de la seconde condition un état des lieux est nécessaire.
Il est cependant très difficile d’identifier des cas où des facteurs non-économiques expliqueraient les évolutions. Les fluctuations récentes du dollar s’expliquent à la fois par la situation économique des Etats-Unis (où se maintient un important déficit commercial) et par les incertitudes régnant sur l’usage financier du dollar, du fait des mesures prises par le gouvernement de Washington. La politique monétaire de la réserve fédérale (la FED) joue aussi, mais n’est que l’un des déterminants et probablement pas le plus important à long terme. Pour la Chine, il est clair que la dépréciation du Yuan de cet été a été voulue par le gouvernement. On est là, par contre, dans un scénario de « guerre des monnaies ». Mais, cette dépréciation a été très limitée. C’est plus un incident de frontière qu’une guerre! En fait, seul le Japon a réellement manipulé son taux de change fin 2013. Mais, la politique monétaire conduite par la BoJ correspond plus à une correction nécessaire par rapport au niveau antérieur qu’à une action particulièrement agressive. Quant à l’Euro, il est — très indirectement — la devise ou une action politique est la plus probable. En effet, si l’on considère à la fois l’ampleur de l’excédent commercial de l’Allemagne et l’absence de transferts et de redistribution de cet excédent dans l’ensemble de la zone Euro, il est clair que le taux de change de l’Euro vis-à-vis du Dollar (et des monnaies indexées sur le dollar) ne correspond pas à la logique économique. En l’absence de redistribution et de transferts, il serait logique que le taux de change de l’Euro, conçu comme un « quasi-DM » soit de 1,4-1,5 Dollar. Or, actuellement, il se situe à 1,13 dollar. L’Euro, si l’on considère les paramètres de l’économie allemande, est donc sous-évalué de 24% à 33%. Mais, si l’on considère les paramètres des autres économies, il est probablement surévalué de 10% à 15% pour l’Italie, l’Espagne et le Portugal, et de 20% à 25% pour la Grèce. Cette sous-évaluation de fait de l’Euro constitue un avantage compétitif majeur pour l’Allemagne, à la fois vis-à-vis des pays hors de la zone Euro que des pays de la zone Euro.
La dépréciation brutale du Rouble en décembre 2014 fut-elle un cas de « guerre des monnaies »?
Mais, si l’on peut dire que l’Allemagne conduit bien une politique mercantiliste par le biais des institutions monétaires, ce qui est une des définitions de la « guerre des monnaies », ce n’est pas le seul cas de manipulation largement politique du taux de change.
Dans une logique de court terme, il est clair que nous avons eu en décembre 2014, une attaque contre le rouble qui a eu des causes et des motifs politiques. La très forte dépréciation de la monnaie russe alors, suivie par une « contre-spéculation » efficace qui fit perdre des sommes considérables aux spéculateurs, fut bien un cas de « guerre des monnaies ». Mais, ce fut un cas où l’on laissa à des intermédiaires la responsabilité de l’attaque, même s’il est clair que cette attaque était coordonnée depuis un pays donné. Par ailleurs, l’efficacité de cette « guerre des monnaies » semble avoir été des plus limitée. Par contre, la dépréciation de la monnaie russe de juin 2015 à septembre 2015 s’explique entièrement par des motifs économiques, essentiellement la poursuite de la chute du prix du pétrole.
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