Comme à chaque rentrée, les articles de presse se multiplient pour revenir sur les évidentes difficultés que traversent (dans l’ordre) les petits bambins découvrant la maîtresse, les parents quand ils parcourent les listes de fournitures et les rayonnages de magasins bondés, les professeurs lorsqu’ils découvrent leur établissement ou leurs élèves et la ministre lorsqu’elle tente de lire une recette de cuisine. Comme à chaque rentrée, on insistera sur les nouveautés et sur les changements de l’organisation ou des programmes scolaires. Et comme à chaque rentrée, on s’attend bien sûr à quelques communiqués de presse, du ministère ou des syndicats pour dénoncer ceci ou expliquer cela. Rien que de très normal, en somme.
Sauf que cette année, en plus des inévitables articles lacrymogènes du Monde ou de Libération, on sait déjà queça ne pourra pas bien se passer.
Il faut en effet se rappeler que l’année scolaire précédente s’était soldée par un constat d’échec au sujet de l’actuelle réforme des collèges tant les différents acteurs du dossiers s’étaient crispés sur leur position. D’un côté, le corps enseignant, à commencer par les professeurs de lettres (latines et grecques) et ceux de langues, avait compris la mise en pièce de leurs discipline par le ministère. De l’autre, la ministre, enfilant mensonges et propos dilatoire pour noyer un poisson de plus en plus gros et de plus en plus frétillant, refusait de bouger d’un iota ; sa réforme était en route, rien ne pourrait plus l’arrêter.
On aurait pu croire que les vacances auraient apaisé les tensions. Il n’en est rien. Déjà, la période estivale fut l’occasion pour beaucoup d’enseignants de continuer d’exprimer leur mécontentement, tant sur les réseaux sociaux que dans la boîte à lettre du ministère en lui envoyant l’une ou l’autre carte postale rappelant que l’actuelle réforme ne leur plaît guère. En outre, les vacances furent aussi propices à la préparation d’un inévitable mouvement de grève dont on ne sait pas encore quand il tombera mais qui marquera aussi, avec une régularité saisonnière touchante, la rentrée syndicale.
Notons au passage qu’en marge des grognements de plus en plus vifs liés à la réforme du collège et à la bulldozerization des programmes scolaires, on retrouve dans la bouche des syndicats les sempiternelles demandes d’augmentation de moyens. Quelque part, ces demandes marquent bien l’écart entre la base enseignante inquiète des directions idéologiques prise par l’actuel gouvernement dans l’élaboration des programmes et les syndicats, encore et toujours arque-boutés sur des réclamations financières et humaines : elles apparaissent outrancières au vu de l’état général des finances du pays et du rapport pourtant sans ambiguïté entre l’argent cramé dans l’éducation et les résultats minuscules obtenus en retour.
À ces tensions malgré tout entretenues pendant les vacances et qui promettent de se développer encore dans le mois à venir quand les petits soucis de programme seront connus de tous, il va falloir ajouter celui de la gestion toute politico-médiatique du Conseil Supérieur des Programmes (CSP) par le ministère de l’Éducation Nationale. Le CSP, c’est cet appendice organisationnel ajouté en octobre 2013 par Vincent Peillon, en remplacement plus ou moins heureux du précédent Haut Conseil de l’éducation, lui-même évolution du Conseil national des programmes datant de 1989. L’idée derrière ce
La réalité, bien sûr, est un peu plus pastel : depuis son installation, on est à la quatrième démission d’un de ses membres. Et après la démission d’Alain Boissinot, son propre président, qui reprochait à cette structure de ne pas être en capacité« fabriquer les programmes, très concrètement, à tous les niveaux du système éducatif », c’est au tour d’Annie Genevard de claquer la porte. Pour la député du Doubs, le CSP n’est absolument pas indépendant du ministère (« Chaque semaine, le président du Conseil supérieur des programmes rencontrait un membre du cabinet de la ministre. On est indépendant, ou on ne l’est pas. ») et, en outre, « la feuille de route donnée à ce Conseil n’est pas tenable. Réformer neuf niveaux en même temps est une folie ».
Plus enquiquinant pour le pouvoir en place, on observe depuis le début la multiplication des reproches envers la ministre de partis pris idéologiques et pédagogiques pour l’élaboration de ses programmes ; par exemple en Histoire, on découvre le mélange d’une approche chronologique et d’une approche thématique ou la mise en valeur de certains aspects au détriment d’autres, ce qui n’arrangera rien à la confusion qui règne déjà dans la matière. En Français, un projet de programme recommandait dans sa première mouture de respecter la parité entre les auteurs, ce qui posera, on s’en doute, quelques petits soucis dans les textes classiques.
Plus les jours avancent, plus les discussions s’enflamment, plus les fuites des différentes recommandations, circulaires et modifications des programmes laissent entrevoir une réforme qui entraîne encore un peu plus l’enseignement français vers l’abîme. Tout semble ainsi fait pour faire s’évaporer l’excellence, pour que le goût de l’effort et que le niveau d’exigence soit suffisamment abaissés afin de ne laisser personne sans un diplôme, et ce même si sa valeur résiduelle pratique devient nulle.
Devant ces éléments, l’inquiétude est de mise.
On pourra toujours arguer que le corps enseignant a pris conscience des dégâts possibles de cette réforme, puisqu’il bataille déjà âprement pour un retour à des bases plus saines. Cependant, le mouvement est enclenché et la bureaucratie éducative semble tous les jours plus puissante, plus lourde et plus implacable. Et du point de vue des parents consciencieux, on ne peut pas décemment leur demander de tout miser sur la présence d’esprit de professeurs qui, en définitive, devront choisir entre leur carrière et des programmes cohérents, entre leur tranquillité d’esprit (voire leur paye) et un combat de tous les jours pour essayer de faire passer des savoirs que toute l’institution tente de morceler, d’éparpiller et de diluer dans une myriade de sous-matières rigolotes mais parfaitement inutiles.
Autrement dit, la fuite des élèves de familles les moins défavorisées vers le privé continuera, s’accentuera même. Ceux qui le pourront mettront leurs enfants dans le privé sous contrat, puis hors contrat, le mal s’étendant, montrant à tous que chaque nouvelle réforme, chaque nouvelle dose massive d’idéologie, de collectivisme et de nivellement par le bas sera une raison supplémentaire pour pousser les parents à reprendre en main l’éducation de leurs enfants. La rentrée 2015 devrait voir le mouvement de repli des parents vers le privé, ou vers l’auto-éducation (à la maison) atteindre de nouveaux sommets.
Jamais le décalage n’aura été aussi fort entre ce que les individus réclament, ce qu’ils payent avec leurs impôts et leur travail, et ce que l’État leur jette au visage.
Là encore, force est de conclure que ça va forcément bien se passer.